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La littérature sur les ondes, un petit milieu lettré

B. Des outils révolus, toujours vecteurs de ventes

3. La littérature sur les ondes, un petit milieu lettré

La première émission littéraire radiophonique apparaît en  1966 (soit 10  ans après les débuts de la radio elle-même). Parmi les chaînes de radio très connues pour avoir leur pendant littéraire, nous comptons évidemment France Inter et sa cousine France Culture. En détenant pour chacune au moins dix émissions littéraires, les deux chaînes à elles-seules sont un énorme vecteur de diffusion littéraire. Sur les épaules de

Darwin, Evalsitude, ou encore la fameuse Compagnie des auteurs, les deux radios

savent parler lettres. Avec des émissions rétrospectives, d’autres thématiques ou encore des entretient, elles dépeignent de long en large l’actualité et l’histoire littéraire française.

Comme nous l’avons vu précédemment, la radio publique représente à elle seule une réelle identité littéraire, celle de la bonne littérature. Comme l’indique Héron dans son article sur La Matinée, « Le vrai titre de La Matinée littéraire, son titre officiel à défaut d’être celui sous lequel le magazine s’est fait connaître, est on ne peut plus net sur le sujet exclusif de l’émission  : La Littérature. Manière de dire, à une époque qui aime le mélange des genres, des disciplines, des arts, l’attachement de Vrigny à ce que la littérature a d’unique »  . Le professeur démontre bien que la radio 82

et ses acteurs, ici, Vrigny ne rigolent pas avec les grandes œuvres. Tout y passe, classique, contemporain, prisé, subversif (parfois tant bien que mal, Héron rappelle pour l’article la haine de Vrigny pour les auteurs du nouveau roman). C’est comme l’indique le titre de l’article « un esprit NRF », un esprit grande Culture avec un grand « C ».

En outre, la radio a sa spécialité, l’entretient d’auteur, les bons entretiens. Sans le spectacle et les faux publics de la télévision, l’entretient est à la radio plus intime, plus secret, plus profond, plus long également ! L’auteur à la radio se voit souvent accordé une heure à lui seul, sans nécessairement partager l’affiche avec d’autres invités. Le genre de l’entretient-feuilleton connaît un gros succès des années  1960 aux années 1970 et perdure par la suite parfois dans un format plus court (spécialement dans les années 1990). L’idée subsiste malgré tout que l’écrivain tient une voix sur les ondes, qu’il peut parler librement. Le journaliste Jean-Marie Borzeix dira à propos de Vrigny en particulier «  Roger Vrigny, c’est la curiosité, la jeunesse et l’ouverture d’esprit. Roger comprend et admet toutes les sensibilités littéraires. Il n’est jamais méchant ni agressif, et quand il lance des pointes, c’est toujours avec courtoisie. Son HÉRON, Pierre-Marie. La Matinée littéraire de Roger Vrigny  : un esprit NRF à France Culture. Komodo21

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[En ligne], 08/2018. Op cit. Ibid note 82.

émission est très appréciée des écrivains, qui s’y sentent écoutés »  , ce n’est pas pour 83

rien qu’on l’appelle «  Monsieur livre » dans les bureaux. Selon Héron la sacralité de l’écrivain y est reconnue. Cependant Héron reconnait la tension élitiste de la radio, l’esprit grandes lettres, étiquette qui lui restera collée jusqu’à aujourd’hui encore, il ajoute également que la chaîne (qui deviendra France Culture) veut s’imposer comme « chaîne de connaissances ».

Enfin la radio a elle aussi une large audience fidèle et disciplinée. Son pouvoir de prescription est donc redoutable. En figure d’autorité installée, son jugement est rarement remis en cause par ceux qui l’écoutent. Le professeur parle dès l’introduction de son article de la forte influence de la radio. Si les chiffres de ventes à la clef sont moins provoquant qu’au XXe siècle, l’audience est toujours importante et les ressorts

suivent. En janvier 2019, le programme de télévision C à vous fit une émission spéciale radio française pour saluer l’audience de France Inter, radio la plus écoutée du pays  . La journaliste Anne Elisabeth Lemoine dirige alors un entretient avec les 84

trois journalistes radiophoniques Léa Salamé, Charline Vanhoenacker et Sonia Devillers, tout en commençant par les flatter de ce « résultat historique ». Elle tend à montrer que la radio française d’actualité et de culture n’a pas dit son dernier mot. Enfin, lors du fameux 7/9 de France Inter, Nicolas Demorand indique en l’espace de quatre-vingt secondes que bien que la radio baisse dans sa puissance prescriptive (19 % selon l’enquête citée de Livres Hebdo), elle est encore importante en terme de ventes  . Certes derrière la télévision en première place, puis suivie de la presse et 85

d’internet, les livres traités sur les ondes sont cependant rapidement écoulés. Enfin les libraires encore parlent ouvertement «  de la force de prescription  » des émissions radiophoniques, ou encore de Augustin Trappenard et de son émission Boomerang. Il semblerait donc que la radio n’ait pas dit son dernier mot.

4. Et la mauvaise presse ?

Enfin, si la prescription traditionnelle a encore plus d’un tour dans sa manche, quel est le rôle et quels sont les enjeux de la mauvaise critique  ? Si longtemps

Note original dans l’article :

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Cité par Armelle Cressard dans un portrait de Roger Vrigny, « Le besoin d’écrits », Le Monde, 20 mai 1996. LEMOINE, Anne Elisabeth. « Les femmes les plus écoutées de France ! », 15/01/2019, C à vous [En ligne].

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Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=YLpmv8-ot3s&t=1s (09/08/2019)

DEMORAND, Nicolas. « La radio, un média qui fait vendre des livres ? », 24/09/2018, France Inter [En ligne].

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Disponible  sur  : https://www.franceinter.fr/emissions/les-80-de-nicolas-demorand/les-80-de-nicolas- demorand-24-septembre-2018 (09/08/2019)

redoutée et plutôt rare sur le net, la mauvaise presse a-t-elle encore sa place dans les médias ?

En effet si celle-ci se fait rare, la critique négative est encore induite dans les relais de prescription traditionnels. Récemment, Les Inrockuptibes ont par exemple assassiné le dernier livre d’E. L. James, auteur de Cinquante nuances de Grey  . Dans 86

sa chronique, Kaprièlian déconstruit la suite de la série, à son sens déjà médiocre, pour le réduire à un mauvais porno. Elle dit du titre qu’il reprend la structure des contes les plus connus de notre enfance pour le tourner à une sauce perverse et légèrement débile « Le problème, outre son absence d’écriture et sa sottise, c’est sa misogynie ». Comme on peut le voir, la journaliste ne mâche pas ses mots et s’évertue d’analyser le chef d’œuvre de bêtise le long de trois petits paragraphes. La critique la plus redoutée à donc encore sa place dans les papiers des journalistes.

Paradoxalement, la critique négative n’est pas si mauvaise pour la médiation littéraire qu’elle ne semble y paraître. Dans un article du Harvard Business Review, le professeur de marketing Jonah Berger démontre que celle-ci peut parfois accélérer les ventes de son sujet. En effet selon le professeur, si un article meurtrier peut largement briser la publicité d’un titre connu du grand public, il peut a contrario doper les ventes d’un méconnu  : «  S’agissant de livres d’auteurs renommés, une presse négative provoque une chute des ventes d’en moyenne 15% – là encore, pas de surprise. Mais s’agissant d’ouvrages d’auteurs peu connus, une mauvaise presse génère une hausse des ventes de 45% en moyenne  »  . Ainsi encore une fois, la 87

presse et ses tenant semble toujours avoir sa place parmi la prescription littéraire et ses résultats sont loin d’avoir été balayés par le web.

C. Livre et littérature à l’écran

Enfin, la télévision, malgré son arrivée tardive, est également considérée aujourd’hui comme un média traditionnel de prescription littéraire malgré son arrivée tardive. Si la radio apparaît à la fin du XIXe  siècle, la télévision elle n’apparaît

démocratiquement qu’au milieu du XXe. L’insertion des lettres, et surtout de l’écrivain,

KAPRIÈLIAN, Nelly. «  On a lu le nouveau livre de l’auteure de “Cinquante nuances de Grey”  (et c’était

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éprouvant)  », Les Inrockuptibles [En ligne], 12/07/2019. Disponible sur  : https://www.lesinrocks.com/ 2019/07/12/livres/livres/edito-monsieur-de-l-james-encore-du-cul-cucul/ (09/08/2019)

BERGER, Jonah. « De mauvaises critiques peuvent doper les ventes », Harvard Business Review [En ligne],

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01/04/2013. Disponible sur  : https://www.hbrfrance.fr/magazine/2013/04/162-de-mauvaises-critiques-peuvent- doper-les-ventes/ (09/08/2019)

à l’écran fut progressive, eut son heure de gloire, pour ensuite se restreindre. Patrick Tudoret parle de naissance en  1950, «  d’apothéose  » en  1980 et de «  déclin  » en  1990  . Malgré toutes ces tergiversations, la littérature dans le petit poste a fait 88

couler beaucoup d’encre et déclencha diverses querelles. Sujet polémique, beaucoup considèrent les deux domaines antinomiques et incompatibles, on ira même jusqu’à dire que la télévision et son univers médiatique pervertie les lettres. Alors qu’en est-il réellement de cet outil de diffusion et des ses moyens de communication  ? La littérature s’est-elle jamais adaptée au support  ? Et surtout l’ère de la médiatisation littéraire de masse est-elle révolue ?