VOLET 2 : HUMOUR
2. Quels sont les modèles cognitifs de lhumour ?
2.1. Modèle cognitivo-développemental de lhumour (Shultz, 1972 ; Suls, 1972)
A notre connaissance, très peu de modèles théoriques ont été proposés sur la genèse ou le développement de lhumour chez lenfant comme chez ladulte. Chez ladulte, deux célèbres modèles, aujourdhui controversés, ont longtemps rythmé les recherches sur cet objet : le modèle social de Bergson (1901) et le modèle psychanalytique de Freud (1905). Chez lenfant, certains chercheurs se sont appliqués à décrire le développement du rire et du sourire (pour une rapide synthèse voir Bariaud, 1983). Seuls Shultz (1972) et Suls (1972), partageant une vision commune du développement de lhumour, ont chacun tenté de le modéliser. Ils proposent un modèle séquentiel de lappréciation et de la compréhension de lhumour. Ce modèle est basé sur la résolution dincongruité, processus en série qui se développe en deux phases. Une première phase qui consiste à la détection de lincongruité (décalage entre ce qui est attendu et ce qui arrive) et une deuxième phase, analogue à la tâche de résolution de problème, qui réside dans la résolution de lincongruité grâce à la recherche de règles cognitives. Ils montrent que les jeunes enfants ont seulement besoin de détecter lincongruité pour apprécier lhumour (ils sont « surpris » par lincongruité et trouvent donc cela drôle) alors que les enfants plus âgés et les adultes, en plus de la reconnaissance de lincongruité, doivent aussi la résoudre pour apprécier et comprendre lhumour. En dautres termes, il y aurait deux étapes de développement dans lappréciation et la compréhension de lhumour. Une première étape est caractérisée par lappréciation de la seule détection de lincongruité amenant à une émotion de surprise due au caractère incongru du stimulus humoristique, et se traduisant pour les jeunes enfants par une réponse comportementale de rire ou de sourire. Une seconde étape est caractérisée par lappréciation qui émane de la résolution de lincongruité conduisant les enfants les plus âgés et les adultes à exprimer soit une réponse comportementale de rire ou de sourire dans le cas dune résolution réussie soit une émotion de
116 perplexité dans le cas dun échec de résolution. Malgré les nombreuses études sefforçant de valider ce modèle (Bariaud, 1983 ; Lefort, 1992 ; Loizou, 2006 ; McGhee, 1971a ; Pien & Rothbart, 1976), les particularités de celui-ci soulèvent toujours plusieurs questions : lhumour naît-il nécessairement de la surprise engendrée par lincongruité ? Comment expliquer que nous puissions rire plusieurs fois de la même blague ? Comment expliquer que nous riions avant même davoir eu la chute de la blague ?
2.2. Modèle cognitivo-émotionnel (Aillaud & Piolat, 2013)
Aillaud et Piolat (2013 ; 2012 ; 2014 ; Aillaud, 2012), ont récemment tenté de répondre à ces interrogations en réalisant une revue de questions sur le modèle en deux phases de Suls (1972), détection et résolution de lincongruité, sans toutefois différencier les processus de fonctionnement des adultes de ceux des enfants. Elles ont ainsi pointé dans un premier temps lobsolescence de ce modèle puis ont proposé un modèle révisé en donnant plus de poids à la dimension émotionnelle. Lappréciation et la compréhension de lhumour ne seraient pas seulement une résultante des phases de détection et de résolution mais elles seraient aussi dépendantes des émotions engendrées par la perception de lhumour plus nombreuses que ce quavait annoncé Suls (1972). Les émotions ressenties à la perception de stimuli humoristiques ne seraient ainsi pas limitées à la surprise (concernant la détection dincongruité) amenant soit à de lamusement observable par une réponse comportementale de rire (dans le cas de résolution) soit à de la perplexité (dans le cas de non résolution) voire à du dégoût dans le cas dun rejet. A linverse de Suls (1972), lhumour noir et lhumour non noir mobiliseraient de nombreuses émotions mixtes (émotions négatives et émotions positives) chez ladulte (Aillaud & Piolat, 2014). Ces émotions dépendraient notamment du type dhumour (e.g., lhumour noir), du genre de la personne réceptrice et du degré de transgression des conventions sociales opéré dans le stimulus humoristique. Par exemple, lexposition à de lhumour noir permettrait dinduire un état émotionnel négatif chez les femmes mais pas chez les hommes (Aillaud & Piolat, 2012). Plus précisément, Aillaud et Piolat (2012) ont montré que les femmes déclarent les dessins dhumour noir comme étant plus incongrus (transgressent les normes sociales), moins bien compréhensibles et moins drôles que les dessins dhumour non noir. Chez les hommes, aucune différence significative nest observée entre les deux types dhumour. A noter que pour eux, lappréciation (drôlerie) de lhumour noir est influencée positivement par la surprise et la compréhension.
117 Dans le prolongement du modèle de Suls (1972), Aillaud et Piolat (2013) proposent un modèle « cognitivo-émotionnel » en cinq étapes que nous allons tenter de décrire très brièvement. Les trois premières étapes sont relatives à la première phase du modèle de Suls (1972) : la détection de lincongruité. Les deux dernières étapes font référence à la phase de résolution du modèle de Suls (1972). La première étape du modèle révisé correspond à la découverte du stimulus humoristique. La deuxième étape intervient à larrivée de la chute délivrant lincongruité. Ces deux premières étapes conduisent lindividu à faire appel à ses connaissances spécifiques et générales du monde relatives au stimulus, à activer son système de croyances, à élaborer des suppositions et interprétations, etc. Dès ces deux premières étapes, le traitement du stimulus humoristique pourrait être arrêté si le système de croyances de lindividu est en dissonance avec celui véhiculé par le stimulus humoristique. Cette dissonance enclencherait chez lindividu des « réactions affectives négatives » comme la « contrariété ». Lors de létape 3, lindividu tente de faire coïncider les deux premiers modèles. Sil y parvient, la surprise nest plus. Sil ny parvient pas, naît alors lémotion de surprise. Mais, cette émotion de surprise pourrait aussi laisser place à des « réactions
affectives » ou à des émotions négatives si elle est trop intense comme « la contrariété » ou
« lembarras ». La phase suivante de résolution de lincongruité est découpée par Aillaud et Piolat (2013) en deux étapes. La première étape conduit lindividu à chercher « des règles
cognitives » régissant les deux premières étapes du modèle. La « perplexité » ou un « faux rire » et larrêt du traitement du stimulus humoristique survient lorsquaucune règle nest
trouvée. Dans certains cas, un « vrai rire » peut être opéré à cette étape lorsque la situation ne pouvant être résolue laisse place « au non sens » de la situation amusant finalement lindividu. Les auteurs précisent que les enfants de six ans peuvent à tort penser avoir résolu lincongruité alors que les éléments pour sa résolution ne sont pas présents. Enfin, lorsque la règle est trouvée, la dernière étape de ce modèle est enclenchée et amène lindividu à répondre émotionnellement de deux manières. Dans le cas dune consonance des deux systèmes de croyances (de lindividu et du stimulus humoristique), la réponse comportementale de lindividu est traduite par le rire. Lorsquil ny a pas conformité entre ces deux systèmes (e.g., le cas de « lhumour noir »), lindividu peut être enclin à ressentir de la « gêne » ou du « dégoût » mais il peut aussi répondre par le rire si transgresser son propre système de valeurs lui plaît. Ainsi, le type dinformations humoristiques aurait un impact sur lévaluation de celui-ci.
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3. Quen est-il de lhumour dans la prime enfance ?