VOLET 2 : HUMOUR
5. Quelle place prend lhumour à lécole ?
5.2. Effet positif de lhumour
Dun autre côté, chez lenfant comme chez ladolescent et le jeune adulte, des recherches ont montré que lhumour pouvait être un levier efficace pour favoriser certains apprentissages scolaires (Blanc, Brigaud & Creissen, 2014, 2015). Chez les enfants décole primaire, Delahaye (2008) sest interrogée sur lintérêt de la lecture duvres humoristiques. A laide dun dispositif particulier de travail (i.e., alternance de lectures silencieuses de textes humoristiques, décrits personnels, de débats, etc.), elle a conclu que lintérêt des nouvelles humoristiques résidait dans le plaisir que les enfants en retiraient en les lisant. Lhumour contenu dans les histoires aurait pour avantage de colorer de façon positive lactivité de lecture des enfants. Aussi, Delahaye (2008) explique que le plaisir des élèves naîtrait de la
144 brièveté des textes humoristiques qui permettrait à lenfant deffectuer avec plus de facilité des va-et-vient et des réajustements concernant leurs représentations de la situation. Enfin, Delahaye (2008) remarque que les histoires humoristiques conduiraient les élèves vers une autonomie plus grande de la lecture liée au plaisir retiré de cette activité.
Ziv et Ziv (2002) ont également remarqué que lhumour pouvait colorer de façon positive latmosphère de la classe. Tout dabord, ils se sont intéressés à la perception de lhumour de lenseignant par les élèves. Ils ont testé sept cent quatre-vingt-dix-sept enfants de six à dix-huit ans (environ cent enfants pour les sept classes dâges constituées). Un questionnaire comportant douze questions sur les caractéristiques des enseignants a été présenté aux enfants avec une échelle de réponse en quatre points (« pas du tout important », « pas tellement important », « assez important » et « très important »). Pour les résultats, les auteurs ont regroupé les enfants en trois classes dâges (entre six et douze ans, treize et dix- sept ans ainsi que les étudiants) et nont considéré que les réponses « très important » aux différentes questions. Les résultats principaux révèlent que limportance accordée au « sens de
lhumour » de lenseignant augmente avec lavancée en âge des enfants. Aussi, ils ont trouvé
une différence quant au genre, à savoir que le « sens de lhumour » chez lenseignant apparaît plus important chez les garçons que chez les filles. Ensuite, Ziv et Ziv (2002) ont réalisé des entretiens sur dix enfants des sept classes dâges (en tout soixante-dix entretiens) afin de mieux comprendre limportance que les enfants accordent au « sens de lhumour » de lenseignant. Les résultats font apparaître cinq thèmes principaux explicatifs de cette importance : « la diminution de la distance psychologique entre lenseignant et ses élèves », « la perception différente du rôle de lenseignant », « le message daimer lenfant » ainsi que « la création dune atmosphère agréable dans la classe » et « laide à la concentration et à
lapprentissage plus aisé ».
Ils se sont aussi intéressés à leffet du « sens de lhumour » de lenseignant sur latmosphère de la classe. Tout dabord, les auteurs ont identifié les enseignants ayant le « sens de lhumour » à laide de la technique de la « sociométrie de lhumour », technique qui permet de connaître ce que pensent les membres dun groupe les uns des autres (donc dans ce cas ce que pensent les enseignants les uns des autres concernant leur « sens de lhumour »). De plus, les auteurs ont mesuré les attitudes (positive plutôt « démocratique » versus « autoritaire » plutôt négative) des enseignants en classe avec le « test dattitude pour
enseignant du Minnesota » (Minnesota Teacher Attitude Inventory, 1951). Les résultats
145 test mesurant les attitudes des enseignants au sein de la classe. Plus la note à la « sociométrie
de lhumour » est élevée, plus lenseignant fait preuve dattitude positive en classe. Au final,
quarante-huit enseignants ont été retenus. De plus, Ziv et Ziv (2002, p. 128) ont mesuré « latmosphère psychologique de la classe ». Les élèves des quarante-huit enseignants participant à la recherche ont répondu à un questionnaire (comprenant quarante-et-une questions dont une question sur lutilisation de lhumour en classe de la part de lenseignant) qui évaluait leurs enseignants. Le questionnaire est rempli par les élèves en classe entière et le caractère confidentiel des réponses est rappelé. Pour répondre aux questions, une échelle en sept points a été utilisée de « pratiquement jamais » à « pratiquement toujours ». Les résultats révèlent quil existe une corrélation positive entre le sens de lhumour de lenseignant et latmosphère en classe. Ainsi, les élèves qui évaluent leur enseignant comme étant drôle jugent également que latmosphère en classe est meilleure que ceux qui évaluent leur enseignant comme nétant pas drôle. Lutilisation de lhumour, avec mesure, au sein de la classe ne nuit donc pas à la qualité de lenseignement et nenlève en rien à la qualité du message que veut faire passer lenseignant. Les auteurs pointent une perspective de recherche intéressante qui consisterait à porter attention à linfluence de lhumour dans le degré de relâchement de la tension en classe.
Par ailleurs, chez ladolescent, Ziv et Ziv (2002 ; voir aussi Ziv, 1979) ont réalisé une étude sur linfluence de lhumour sur les apprentissages scolaires. Ils se demandent si lhumour favorise les apprentissages (aiderait donc à mieux apprendre et mémoriser). Dans cette étude, lhumour est utilisé pour illustrer un point théorique, une idée du cours, et permettre aux étudiants et étudiantes de « mieux comprendre et retenir le matériel enseigné », (Ziv & Ziv, 2002, p. 148). Lhumour est donc lié au matériel enseigné. Deux groupes de trente-deux étudiants et étudiantes sont testés : lun reçoit un enseignement portant « sur les
approches daide en psychologie », (Ziv & Ziv, 2002, p. 148), en utilisant lhumour, lautre
reçoit le même enseignement sans lutilisation de lhumour. Cest le même enseignant qui intervient dans les deux groupes et utilise ces deux types denseignement (avec et sans humour) afin de contrôler les effets éventuels lié à la personnalité de lenseignant. Lhumour présent dans chaque cours était préparé à lavance. Aussi, chaque cours durait une heure et trente minutes. Lhumour utilisé dans les cours était de forme verbale (blagues et anecdotes) et visuelle (caricatures). Lhumour est utilisé au maximum trois fois durant un cours. Cet enseignement est réalisé sur tout un semestre (environ trois mois et demi : apprentissage sur
146 du moyen voire du long terme) et les deux groupes ont passé le même examen sous la forme dun QCM (questionnaire à choix multiple) comprenant cinquante questions. Les résultats montrent que les étudiant(e)s du groupe avec humour ont des notes plus élevées que ceux du groupe sans humour. Il semblerait donc que la présence de lhumour dans les cours ait facilité les apprentissages. Dans cette étude, lhumour était au service de lenseignement et devait être relié à ce qui était donc enseigné. Aussi, les auteurs soulignent limportance du dosage dans lutilisation de lhumour. Lhumour ne doit donc pas être en surabondance, installant dans ce cas un climat défavorable aux apprentissages. Aussi, ils soulignent la nécessité détudier les effets de lhumour dans les apprentissages en utilisant des moyens de présentation plus riches que la présentation verbale et visuelle, comme les dessins animés et films.
Dans la même veine, Garner (2006 ; voir aussi Deiter, 2000 ; Ghaffari & Mohamadi, 2012) avait pour objectif de montrer que lhumour pouvait favoriser la rétention dinformations lors de la présentation de cours chez quatre-vingt-quatorze étudiants (dont quarante-et-un hommes). Le cours était consacré aux méthodes en statistiques. Deux versions de ce même cours ont été construites : lune était dénuée dhumour alors que lautre était empreinte dhumour. Chaque séance durait en moyenne quarante minutes. Pour la version humoristique, trois moments humoristiques (des histoires, métaphores humoristiques, etc.) en relation avec le contenu du cours étaient insérés. Les participants étaient assignés de manière aléatoire dans lune de ces deux conditions. Ce cours était présenté à distance via une vidéo en trois séances. Le rythme de la présentation du cours pouvait individuellement être modulé par les étudiants. Pour chaque séance, les étudiants devaient évaluer le cours à laide dun questionnaire après lavoir visionné. Les questions étaient centrées sur leur impression générale du contenu du cours, sur la présentation des informations du cours, sur leur perception de lenseignant, et sur le support de présentation du cours. En outre, à lissue des trois sessions, un exercice supplémentaire évaluait la compréhension et la rétention des informations délivrées dans le cours. Les étudiants étaient informés de cette évaluation finale. Les résultats principaux indiquent que les étudiants ayant reçu la version humoristique du cours ont des performances plus élevées à lexamen que ceux exposés à la version non humoristique du cours. En outre, les étudiants ont évalué plus positivement le contenu, la présentation des informations et lenseignant de la version humoristique du cours.
A travers la présentation de ces études, nous pouvons donc voir que lhumour exerce un effet positif sur latmosphère de la classe et sur les apprentissages scolaires en favorisant la
147 rétention des informations. Aussi, ces études nous apprennent quenvisager lhumour comme outil pédagogique nécessite que soit respectées certaines règles (dosage, cohérence entre le contenu du cours et lhumour) ainsi quune solide préparation.
Ziv (1987) sest intéressé aux effets bénéfiques de lhumour dans la diminution de la tendance agressive des adolescents mis en situation de frustration lors dun examen. Dans une première expérience, lauteur sest assuré quune situation déchec provoquait bien, chez les adolescents, une augmentation des réponses agressives. Pour ce faire, cent-trente-six adolescents âgés de seize et dix-sept ans (dont soixante-deux garçons) répartis dans quatre classes ont pris part à lexpérience. Deux de ces quatre classes étaient des groupes contrôles et les deux autres des groupes expérimentaux. Dans un premier temps, les participants du groupe expérimental ont eu à répondre à la série la plus difficile des matrices du test standardisé de Raven (1936), comprenant douze items. Tandis que les participants du groupe contrôle étaient confrontés à la série facile de ce test comprenant également douze items. Les quatre groupes avaient cinq minutes pour répondre à lensemble des items du test. Pour la série la plus facile, ce laps de temps était suffisant alors quil ne létait pas pour venir à bout de la série difficile. De plus, pour accentuer le sentiment de frustration des participants du groupe expérimental, lauteur ajoutait la consigne suivante, consigne fournie à lensemble des groupes : « cest un
test facile et la plupart des adolescents de votre âge sont capables de le compléter correctement dans le temps imparti ». Suite à ce test, un deuxième test standardisé était
proposé à lensemble des participants. Le test de frustration en images comportant vingt- quatre items mettait en scène deux personnages dans des situations de frustration. Typiquement, lun des deux était en train de frustrer lautre. A coté du personnage frustré se trouvait une zone de réponse dans laquelle les participants devaient écrire une réponse à destination du personnage responsable de la frustration. Trois types de réponses étaient considérés dans ce test :
1. Les réponses « extra-punitives » (i.e., agressivité tournée vers lextérieur)
2. Les réponses « intra-punitives » (i.e., agressivité tournée vers lui-même, lorsque le personnage se blâme lui-même)
3. Et les réponses non punitives (aucune expression dagressivité).
En outre, Ziv (1987) ne sintéressant quaux réponses « extra-punitives » les a différenciées selon trois niveaux dintensité : faible, moyen et fort.
148 Enfin, dix adolescents choisis au hasard dans chacun des deux groupes (expérimentaux et contrôles) ont été interrogés afin de recueillir leurs impressions face à cette expérience. Les adolescents du groupe expérimental exprimaient davantage démotions négatives comme la colère, la frustration et parlaient également déchec. Alors que ceux du groupe contrôle manifestaient des émotions positives et avaient trouvé cela « amusant ». Le principal résultat de cette première expérience met en évidence, comme attendu par lauteur, que les adolescents (filles et garçons) en situation de frustration manifestaient davantage de réponses agressives que les adolescents non frustrés.
Lobjectif de la deuxième expérience était de montrer que lhumour pouvait réduire les réponses agressives des adolescents mis en situation de frustration. Cent-trente-deux autres adolescents du même âge que la précédente expérience, répartis dans quatre classes, ont pris part à cette deuxième expérience. Comme précédemment, deux classes constituaient le groupe expérimental et les deux autres le groupe contrôle. Pour les besoins de cette deuxième expérience, deux petits films vidéo (de dix minutes) ont été sélectionnés. Un pré-test a été réalisé pour permettre à lauteur de sassurer que lun des deux films était bien considéré comme humoristique et lautre comme non humoristique. Il a été demandé aux deux groupes de répondre à la série difficile des matrices de Raven. Puis, deux des quatre classes (une contrôle et une expérimentale) remplissaient douze des vingt-quatre items du test de frustration. Ensuite, le groupe expérimental voyait le film humoristique et le groupe contrôle le neutre. Enfin, tous devaient remplir les douze items restant du test de frustration. Le résultat principal qui ressort de cette deuxième étude montre que le film humoristique permettait de réduire le niveau de frustration des adolescents (filles et garçons). Ainsi, lhumour aurait pour effet de réduire les tensions, lagressivité engendrées par la frustration.
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