• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Cadre théorique

3. Quel est le rôle de la production d’inférences en compréhension de textes ?

3.4. L’inférence prédictive

Campion et Rossi (1999) nous apprennent également qu’un type d’« élaboration

optionnelle », particulièrement importante, en jeu lors de la découverte d’un texte est la

« prédiction d’évènements » ou inférence prédictive. Gygax (2010) rappelle que ce type d’inférence n’est pas nécessaire pour la formation d’une représentation mentale cohérente de la situation décrite dans un texte. Ces « élaborations optionnelles permettent d’anticiper les

49

évènements à venir dans le cours d’un récit ». Au cours de la découverte d’un texte, le lecteur

anticiperait sur ce qu’il va se passer dans la suite d’un texte. Chez l’adulte, de nombreuses questions se sont posées : la production complète de l’inférence prédictive se produit-elle pendant ou après la lecture ? Quel est le contenu de l’inférence prédictive (partiel ou global) qui est encodé en mémoire ?, etc. Pour tenter de répondre à ces questions, différentes tâches ont été proposées aux participants adultes comme la dénomination ou la reconnaissance des mots cibles à inférer après la découverte d’un court texte. De ces diverses études décrites par Campion et Rossi (1999), sur la production d’inférences prédictives en temps réel, deux apports ressortent. Pour que l’élaboration de l’inférence prédictive soit complète, l’attention du lecteur doit être focalisée sur l’inférence prédictive à produire. Ce renforcement pourrait être induit par la mise à disposition du lecteur d’une suite cohérente du texte avec l’inférence prédictive élaborée précédemment. En outre, le lecteur doit disposer d’un temps suffisant pour réaliser l’inférence prédictive. Pour résumer, Gygax (2010) définit cette notion simplement à l’aide deux questions : « que va-t-il maintenant se passer ? » sous-entendu dans l’histoire et « que va faire le protagoniste ? ».

Le travail de Gouin-Décarie, Quintal, Ricard, Deneault et Morin (2005) s’inscrit dans la lignée des recherches menées sur la capacité des enfants à produire des inférences prédictives (i.e., la capacité à anticiper ce qu’il va se passer dans la suite d’une histoire). Il s’agissait de voir si les enfants étaient capables de concevoir quatre émotions (i.e., joie, tristesse, colère et peur) comme cause de l’action. Autrement dit, la question était de savoir si quarante enfants d’âge moyen quatre ans et trois mois étaient capables de prédire les conséquences des émotions.

Pour ce faire, quatre histoires étaient présentées, de manière contrebalancée et individuelle, aux enfants : soit une histoire pour chacune des quatre émotions susmentionnées. A noter qu’un pré-test sur onze enfants (âgés de trois ans et quatre mois à quatre ans sept mois) a permis aux auteurs de s’assurer que le contenu des histoires et la procédure de l’expérience étaient bien accessibles aux jeunes enfants. Aussi, le genre des personnages principaux des histoires a été contrôlé, deux histoires ont une fille pour personnage principal et les deux autres un garçon. Pour chacune des quatre émotions en jeu dans les quatre histoires racontées par l’expérimentateur, cinq vignettes en couleur étaient présentées aux enfants :

- la première vignette présentait la situation initiale de l’histoire (e.g., pour l’émotion de la joie : « Le grand-papa de Françoise lui apporte un cadeau. »),

50 - la deuxième vignette concernait l’évènement engendrant une émotion, (dans cet exemple, une émotion positive de joie, qui était repérable par l’expression faciale –grand sourire – de la petite fille et également explicitement nommée par l’expérimentateur : « Françoise ouvre son cadeau et découvre une poupée.

Françoise est très, très contente. »).

- Enfin, trois vignettes réponses étaient proposées aux enfants : une qui illustrait une action appropriée à la situation décrite dans les deux première vignettes (e.g., « Françoise s’est jetée dans les bras de son grand-papa et lui donne des

becs »), une illustrant une action inappropriée (e.g., « Françoise brise son cadeau ») et une dernière montrant une simple activité usuelle (action

déconnectée de l’histoire racontée, e.g., « Françoise va jouer avec son casse-

tête »). Un dernier pré-test a permis aux auteurs de vérifier que la vignette

réponse appropriée était bien la plus souvent choisie par vingt étudiants (voir l’annexe 7 pour un exemple du matériel utilisé concernant l’histoire relative à la joie).

L’expérimentateur racontait à l’aide des deux premières vignettes l’histoire et demandait à l’enfant de choisir en pointant du doigt ou en la désignant verbalement la vignette qui finissait de manière appropriée l’histoire parmi les trois vignettes réponses. Les enfants devaient donc choisir, après mention d’une émotion de personnage principal, la vignette qui complétait de manière appropriée la séquence des deux dessins et ils devaient expliquer leur choix. Cette tâche évitait donc à l’enfant de raconter verbalement ce qu’il allait se passer à la fin de l’histoire.

Les auteurs ont coté chacun des trois types de réponses : deux points étaient accordés à la réponse appropriée, un point à la neutre et zéro point à l’inappropriée. Un point supplémentaire était ajouté lorsque les enfants donnaient une bonne explication à leur choix des vignettes appropriées ou neutres. Ces explications étaient analysées par deux juges. Les résultats nous apprennent que, dans l’ensemble, les dessins appropriés sont davantage choisis que les deux autres types de réponses (inappropriés et neutres). Aussi, les principaux résultats mettent en évidence le statut particulier de l’émotion colère. Les enfants cernent mieux les conséquences de cette émotion que celles des trois autres émotions. Les enfants, pour celle-ci, choisissent plus souvent la réponse appropriée que l’inappropriée ou la neutre. Pour la joie, les enfants choisissent autant les réponses appropriées qu’inappropriées. Concernant la tristesse et la peur aucunes différences significatives n’apparaissent entre les trois types de

51 réponses. Par ailleurs, aucune différence de genre n’apparait dans cette étude. Ainsi, les résultats suggèrent que près de la moitié des enfants comprend la fin logique des histoires relatives aux quatre émotions bien que la colère semble bénéficier d’un statut particulier car les enfants trouvent plus facilement les actions qui en découlent logiquement. Ce dispositif semble donc permettre l’étude précoce du développement des habiletés de compréhension concernant une compétence de haut niveau : la production d’inférences prédictives. Ces auteurs nous apprennent que, dès l’âge de quatre ans, les enfants sont capables d’effectuer des inférences prédictives sur de courtes histoires.