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VOLET 2 : HUMOUR

3. Qu’en est-il de l’humour dans la prime enfance ?

A notre connaissance, assez peu de recherches ont porté sur le développement de l’humour chez l’enfant et encore bien moins sur le développement de l’humour dans la prime enfance, notamment lors de la première année de vie (Reddy, 2001 ; voir aussi Brun, 2001 ; Mireault, Poutre, Sargent-Hier, Dias, Perdue & Myrick, 2012). L’étude de l’humour lors des premières années de vie s’est appuyée sur la création de l’humour, pour des raisons pratiques. Dans cette lignée, Reddy (2001) a justement mené deux études longitudinales sur des enfants âgés de sept à douze mois. Douze enfants âgés de sept à onze mois ont participé à la première étude et vingt enfants âgés de huit et onze mois étaient présents à la deuxième étude. Reddy (2001) a porté intérêt aux habiletés des enfants à créer de l’humour sans faire usage de la parole dans le but de faire rire d’autres personnes qu’eux-mêmes. Lors de la première étude, Reddy (2001) a observé à leur domicile, deux fois par mois, les enfants de leur septième mois à leur douzième mois en filmant ses visites. Concernant la deuxième étude, les enfants ont seulement été visités à huit et à onze mois. Aussi, pour les besoins de ces deux études, les parents ont été formés à la détection des manifestations de comportements humoristiques de leurs enfants (en dehors des visites de l’expérimentateur et donc des caméras) ainsi qu’au compte-rendu de celles-ci lors des entretiens de restitution. Deux critères pour l’identification de la création de l’humour par les enfants dans leur vie quotidienne ont été retenus :

1. recherche de situations ou actes délibérément répétés afin de « reprovoquer » ou entretenir le rire d’autres personnes qu’eux-mêmes,

2. recherche de ressemblance entre les situations ou les actes humoristiques produits par les enfants et ce que l’on connaît de l’humour des adultes.

Le premier critère est utilisé dans l’observation et le rapport fourni par les parents sur la création d’humour de leurs enfants. Les détails de chaque situation ou acte humoristique sont demandés aux parents et permettent ensuite de faire une comparaison avec celle ou celui de l’humour des adultes. La création d’humour par les enfants est considérée comme telle lorsque les parents rapportent au moins un incident en détail de la répétition intentionnelle d’une situation ou d’un acte émis dans le but de « reprovoquer » ou entretenir le rire d’autrui.

Premièrement, pour ces deux études, la fréquence et la nature des situations ou actes a été calculée et dévoile que les tentatives des enfants à provoquer le rire d’autrui augmentent et se complexifient avec l’avancée en âge. A huit mois, les tentatives d’humour sont davantage

119 basées sur la répétition immédiate d’un acte s’il a provoqué le rire d’autrui (e.g. barbotage et frappement de l’eau fréquemment plus importants lorsque cela induit le rire d’autrui). Ces tentatives restent isolées et peu réitérées dans le temps. Néanmoins, à onze mois les tentatives d’humour sont en majorité répétées dans le temps. Voici des exemples d’actes humoristiques relevés par les parents : mouvements bizarres du corps (tête rentrée dans les épaules), marche rigolote et expression bizarre du visage (faire les gros yeux, visage grimaçant). Les résultats de ces deux études montrent ainsi que les enfants âgés de sept à onze mois sont capables, de manière délibérée, d’actes humoristiques afin d’entretenir le rire chez autrui (résultats aussi supportés par Loizou, 2006). L’humour commencerait donc à se développer dès la prime enfance. Deuxièmement, les actes humoristiques des enfants relevés présentent de nombreux points communs avec ceux des adultes car ce sont les réactions des adultes qui indiquent aux enfants en bas âge s’ils doivent ou non continuer un acte humoristique, bien qu’au départ ces enfants se soient engagés dans de tels actes pour leur propre plaisir (comme le plaisir moteur procuré par la répétition d’un acte). Pour Reddy (2001), la genèse du développement de l’humour chez les enfants serait ainsi sociale et émotionnelle. En effet, l’utilisation de l’humour chez l’enfant est fonction de la réaction d’autrui. Par la suite, ces actes humoristiques seront accompagnés et/ou renforcés par l’utilisation du langage oral.

3.2. Création de l’humour : le rôle du langage oral

Pour Tessier (1990, p. 20), le développement de la création de l’humour suivrait le développement du langage : vers deux ans les enfants réaliseraient des « jeux sur les sons du

langage » sans se soucier du sens des mots (jeux sur la phonétique), à quatre ans ils joueraient

sur la création de mots (jeux sur la morphologie, le signifiant). Enfin, vers dix ans, les jeux seraient basés sur le sens des mots (jeux sur la sémantique, le signifié) en élaborant des métaphores, des parodies et plaisanteries. Cet auteur suggère qu’il existe différents types d’humour qui se développent en fonction de l’avancée en âge des enfants sans pour autant donner plus de détails. Bien qu’elle reconnaisse, comme Reddy (2001), que l’apprentissage de l’humour se fait précocement et implicitement au contact des renforcements positifs de l’adulte, elle milite en faveur d’un apprentissage scolaire de l’humour à l’aide de la littérature de jeunesse, de la presse enfantine et de programmes télévisés. Elle considère qu’une pédagogie de l’humour est possible et favorise les apprentissages scolaires fondamentaux (e.g., lecture fine et écriture).

120 Elle préconise l’utilisation de matériaux écologiques, livres de jeunesse (e.g., album d’humour), presse pour enfants, petits programmes télévisés, afin de familiariser les enfants aux ressorts humoristiques. Dans le cadre scolaire, elle suggère de travailler sur un thème en particulier et ne faire appel qu’à un seul type d’humour. Elle propose de rendre explicite les ressorts humoristiques et de soutenir les enfants dans leurs réflexions. Pour elle, l’école doit familiariser les enfants à l’humour qui n’est pas uniquement l’apanage familial. L’humour peut donc faire l’objet d’un apprentissage scolaire. Elle propose après la phase de découverte de matériaux humoristiques, une phase de création d’œuvres humoristiques. Sont repris des albums humoristiques ou programmes télévisés humoristiques, des thèmes, types d’humour, formes d’écriture, qui serviront pour la phase de création. Cette phase peut aller de la création de mots à six ans (CP) suivant un ressort humoristique décelé dans un album d’humour (e.g., humour provenant du nom de rue ou du nom de personnages) à un court récit humoristique à dix ans (CM2) en passant par des recettes de cuisine farfelues (e.g., pour un ogre ou un lutin) à sept ans (CE1). L’humour peut servir de levier aux apprentissages littéraires. Il permet d’amener les enfants de manière ludique à prendre conscience des différents moyens que les écrivains utilisent pour rendre humoristiques leurs œuvres. La création de l’humour favorise d’autres apprentissages fondamentaux comme celui de la grammaire, du vocabulaire, de la typographie (e.g., pour un dialogue), des styles de textes variés : monologue, dialogue, poésie, etc. Tessier (1990) milite en faveur d’une « école pour les médias » pour laquelle elle propose de faire réfléchir les enfants aux procédés télévisuels qui créent l’humour (e.g., « comment un

montage télévisuel peut-il faire rire ? », p.104). Pour conclure, elle considère que l’humour

peut favoriser certains apprentissages fondamentaux et doit aussi faire l’objet d’un apprentissage à part entière.

4. Et l’humour à l’âge scolaire (école primaire) ?