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: Quelles approches de la pluralité épistémique ?

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 61-68)

D EFINITION DE L ’ OBJET DE RECHERCHE

Chapitre 2 : Quelles approches de la pluralité épistémique ?

La problématique de la pluralité épistémique sera explorée suivant des approches diverses et complémentaires en philosophie des sciences.

Paragraphe 1 : Approche analytique et logique de la pluralité épistémique :

L‟objectif prioritaire du présent compte-rendu est de formaliser la diversité des modalités de traitement de la pluralité mises en œuvre aux étages épistémiques distingués ci-avant. Dit autrement, dans leurs pratiques quotidiennes, comment les chercheurs affrontent-ils la coexistence d‟entités épistémiques plurielles censées traiter d‟un même objet ? La démarche ici déployée peut être triplement qualifiée (Berthelot, 1990, p. 10) :

-elle est analytique : en philosophie des sciences, Berthelot la définit comme une posture

« descriptive et empirique ». En dehors de toute perspective normative, il s‟agit d‟étudier les modes effectifs de construction de l‟argumentation développés in actu dans les textes scientifiques. Un corpus circonscrit a été constitué et une analyse critériée lui a été appliquée.

-elle est logique : il convient de prêter attention à l‟armature, à l‟architecture, à la trame épistémiques et logiques des productions scientifiques. Comment sont structurées les opérations cognitives sous-jacentes aux discours scientifiques ? S‟opère un mouvement de déconstruction par lequel on passe du constitué aux constituants, de la théorie à l‟axiome. La mise en œuvre d‟une telle approche logique ne signifie en aucun cas que nous considérons la science comme une activité anhistorique, désincarnée, coupée des contingences contextuelles, collectives et existentielles. Il s‟agit simplement d‟y opérer une « réduction méthodologique »

62 légitime et argumentée sans que celle-ci ne se convertisse en une « réduction idéologique et ontologique » injustifiable (Besnier, 2005a ; Andrieu, 2007a).

-elle est typologique : l‟objectif de l‟analyse logique est de produire une typologie de la diversité des modalités de traitement de la pluralité pour chaque niveau épistémique considéré. Une typologie correspond à un ensemble hiérarchisé de catégories et de sous -catégories mutuellement exclusives bien que combinables. Chaque catégorie correspond à la description d‟une modalité spécifique de gestion de la pluralité. Cette modalité s‟incarne in actu dans plusieurs contributions scientifiques, à propos d‟objets variés et depuis des théories, paradigmes et disciplines divers. Au final, « la multiplicité des positions et des orientations est ramenée à un certain nombre de points de vue fondamentaux » (Berthelot, 1990).

Comment, dans l‟analyse empirique du corpus, procéder pour repérer une configuration caractérisée par une pluralité épistémique ? Deux procédures complémentaires sont ici mises en œuvre : à un premier niveau et conformément à une posture que l‟on pourrait qualifier de « pragmatique » (Collinet & Terral, 2006), l‟analyste prête attention au repérage opéré par le chercheur lui-même d‟une situation de pluralité épistémique. Des expressions comme « les résultats divergent… » ; « plusieurs paradigmes s‟opposent… » sont ici déterminantes à l‟identification. Toutefois, dans de nombreux cas, les chercheurs n‟identifient pas explicitement la situation de pluralité, alors même que celle-ci existe. Ici, l‟analyste compensera cette mise sous silence en mobilisant ses propres connaissances des approches plurielles. Ces connaissances sont nécessairement limitées et plus étoffées dans certai ns champs (psychologie, sociologie…) que dans d‟autres (biomécanique, physiologie…). La complémentarité de ces deux stratégies permettra d‟identifier de nombreuses situations de pluralité épistémique, sans pour autant que l‟exhaustivité puisse être revendiquée : en effet, certaines configurations de pluralité ont nécessairement été omises, tout à la fois parce qu‟elles n‟ont pas été repérées explicitement par les chercheurs et parce que l‟analyste, du fait d‟un manque de connaissance, n‟a pas été en mesure de combler cette mise sous silence.

Au final, cette première ambition analytique peut être rapprochée du « programme logiciste d‟analyse des conflits d‟interprétation » formalisé par Gardin (1997). Pour cet auteur, il s‟agit « moins d‟expliquer les controverses du point de vue socio-historique » que de

« mieux définir les voies choisies pour les résoudre, les éludes ou les dépasser, selon les cas ».

Les phénomènes de « multi-interprétations dans le champ d‟une discipline » sont pris comme objet ; les diverses sources des divergences théoriques sont mises en lumière au même titre que les critères de décision permettant de départager les rivaux. Ce programme s‟attache en

63 outre à « schématiser l‟architecture des constructions théoriques », tâche que nous nous assignons pour les stratégies de traitement de la pluralité.

Paragraphe 2 : Approche normative de la pluralité épistémique:

La posture analytique et logique ci-avant présentée se définit comme une mise à distance des perspectives normatives : il s‟agissait de décrire ce que les scientifiques eux-mêmes font lorsqu‟ils affrontent la pluralité épistémique. Toutefois, les diverses tentatives de traitement ne présentent pas nécessairement une productivité scientifique équivalente. Suivant les cas, elles peuvent s‟avérer plus ou moins fécondes, pertinentes, progressives, valides…

L‟objet de la seconde approche, qualifiée de normative, est à cet égard d‟évaluer la valeur différentielle des divers efforts d‟articulation. Toute évaluation des productions scientifiques, pour ne pas être assimilée à une dénonciation arbitraire voire ad hominem, doit nécessairement expliciter ses critères d‟appréciation. Seront notamment mobilisées les notions de « prédiction de faits inédits » (Lakatos, 1994), d‟adhocité (Popper, 1973), d‟« efficacité prédictive » (Soler, 2001)…

L‟approche normative sera également l‟occasion de spécifier l‟attitude épistémologique à adopter vis-à-vis des tentatives de résolution des antagonismes paradigmatiques. Celles-ci ne doivent pas être considérées a priori comme plus légitimes que les programmes qu‟elles articulent mais être soumises à des évaluations critériées au cas par cas.

Le développement d‟un tel regard normatif est une façon de récuser les postures relativistes radicales stigmatisées par Berthelot (2008, p. 15). Pour ce dernier, la pluralité constitue d‟une certaine façon un « danger » pour la science lorsqu‟elle tend à être instituée en norme tacite. En effet si toutes les interprétations se valent, l‟entreprise scientifique comme quête du vrai est près de ne plus rien valoir.

Paragraphe 3 : Approche compréhensive de la pluralité épistémique :

Les approches analytique et normative ci-avant explicitées s‟intéressent prioritairement à ce que Popper (1973) a qualifié de « contexte de justification », c'est-à-dire au versant achevé des discours scientifiques, aux résultats produits, en un mot à la « science faite » (Latour, 2001). Or, la problématique de la pluralité épistémique concerne également le

« contexte de justification », la « science en train de se faire », « le processus de recherche », chaud, incarné, teinté d‟affects et de croyances. Plus précisément, il s‟agira de prêter attention aux chercheurs plaçant au cœur de leurs contributions scientifiques la volonté d‟organiser la

64 pluralité : quelles motivations les y incitent ? Une telle approche compréhensive ne peut être qualifiée de « psychologie du scientifique » (Holton, 1981) dans la mesure où ce qui nous préoccupe est bien le lien entre contextes de découverte et de justificatio n, entre recherche et science, entre processus et produit. Nous émettons l‟hypothèse suivant laquelle la compréhension des motivations sous-jacentes aux efforts d‟articulations permet d‟affiner la formalisation des stratégies logiques effectivement mises e n œuvre.

Paragraphe 4 : Approche critique de la pluralité épistémique :

La combinaison des approches analytique, normative et compréhensive de la pluralité épistémique permet enfin le développement de mises en perspectives plus fondamentales, critiques, sur cette question. Seront notamment proposées des réflexions relatives à la genèse de la pluralité, à ses intérêts épistémiques et au durcissement des controverses épistémologiques. Il s‟agira d‟autre part d‟apprécier les modalités de gestion de la plur alité dans des contextes autres que l‟activité scientifique afin d‟identifier d‟éventuels mécanismes génériques et transversaux d‟articulation. Au final, les analyses empiriques initiales permettent une prise de hauteur critique vers des préoccupations phi losophiques et anthropologiques de portée générale.

Chapitre 3 : De la difficulté de délimiter le champ « Sciences du sport » :

Les diverses approches exposées ci-avant seront appliquées au champ des STAPS ou Sciences du sport. Ces deux appellations seront, dans le présent compte-rendu, utilisées de façon indifférenciée. Nous sommes conscients qu‟elles recèlent des débats de nature socio-épistémique et normative sur la « délimitation des frontières » et sur ce que devrait recouvrir la 74ème section (Klein, 1998 ; Gleyse, 1995). Il n‟est pas ici question d‟y participer et utiliser de façon indistincte les divers intitulés est une façon d‟étayer cette posture.

Celle-ci ne doit toutefois pas conduire à faire l‟économie d‟un effort de définition minimale de ce que recouvre ce champ, définition qui s‟avère délicate à plusieurs égards.

Tout d‟abord, comme entrevues précédemment, des tensions existent quant à la détermination des frontières disciplinaires des STAPS (Terral, 2003, p. 47). Il n‟y a pas consensus sur son objet, son identité, sa spécificité (Jarnet, 2005). En outre, ce champ apparaît comme multiplement clivé, voire éclaté (Colinet, 2003a). Les dissensions apparaissent notamment dans la diversité des stratégies de publication (Collinet & Sarremejane, 2003) : les chercheurs rattachés institutionnellement aux STAPS diffusent leurs travaux dans des revues généralistes

65 ou spécialisées en sciences du sport ; dans des revues thématiques (sur l‟action, le mouvement, la perception, la pédagogie à l‟instar du Travail humain, Human movement science, Motor control, Revue française de pédagogie…), dans des revues disciplinaires généralistes (Acta psychologica, Cahiers internationaux de sociologie, European journal of applied physiologie, Behavioral and brand science…). Cet éclatement est accentué par la variété des profils sociologiques des chercheurs (Collinet & Payré, 2003, p. 100) ; par exemple, certains « entrants » ont suivi un cursus extérieur à la 74ème section et l‟ont intégrée à la faveur d‟un recrutement sur un poste d‟enseignant-chercheur.

Au final, les sources susceptibles de complexifier la tâche d‟identification de la réalité épistémique, sociale et institutionnelle, des STAPS sont multiples. Il conviendra donc d‟en poser une définition minimale, nécessairement imparfaite et incomplète, mais jugée suffisamment utile dans le cadre de la présente étude. Plusieurs critères sont ainsi convoqués.

A un premier niveau, les STAPS peuvent être caractérisées par les divers objets d‟analyse concentrant l‟attention des chercheurs. Ces thèmes d‟étude ne doivent pas être décrétés a priori mais identifiés a posteriori, conformément à la position de Jarnet (2005, p. 35) pour qui ce champ doit être défini en référence aux traditions de recherche qui, historiquement, le composent. Ainsi, les domaines suivants ont été particulièrement investis : corps et corporéité ; sport, activité physique et éducation physique ; contrôle et apprentissage moteurs, posture ; action et conduite motrices ; exercice physique et fatigue… Ces divers objets peuvent contribuer à caractériser a minima l‟activité scientifique développée en 74ème section.

Cette dernière n‟a cependant pas le monopole d‟étude de ces thèmes, également explorés par des chercheurs issus d‟autres sections du CNU.

Un second critère, institutionnel, peut ensuite être proposé : les Sciences du sport correspondraient aux travaux scientifiques menés par des chercheurs qui y sont administrativement rattachés. Cependant, chez certains de ces acteurs, l‟affiliation statutaire aux STAPS semble être l‟une des seules attaches qui les y lient : ils n‟investiguent pas les thèmes précédemment évoqués, ne publient dans aucune revue portant l‟intitulé sport, s‟insèrent dans des laboratoires non rattachés aux STAPS…

Un dernier critère peut être mobilisé : il s‟agirait de s‟intéresser aux revues historiques du champ, notamment STAPS et Science & Motricité. Bien qu‟ayant contribué à la construction épistémique et sociale de ce domaine, elle n‟en constitue toutefois aujourd‟hui qu‟une facette comme le reconnaît Delignières (2006) dans un éditorial : « la revue Science &

Motricité offre une belle image de la diversité et du dynamisme de la recherche en STAPS.

Encore n‟en est-elle qu‟un reflet singulièrement limité, de nombreux travaux réalisés dans nos

66 laboratoires étant publiés dans les revues disciplinaires internationales » (p. 7). Notons au passage que ces deux revues ne figurent pas dans le classement AERES pour la 74ème section qui comporte, par ailleurs, de nombreuses revues non spécifiques à l‟objet sport (Léziart, 2012).

Au final, pris isolément, ces trois critères, proposant respectivement une entrée définitionnelle par les objets spécifiques d‟étude, les rattachements institutionnels et les revues historiques, apparaissent comme imparfaits et insuffisants. Cependant, leur croisement permet l‟atteinte d‟une certaine validité.

Au final, devant la difficulté à délimiter ce que recouvrent les Sciences du sport et compte-tenu de la masse potentiellement énorme des textes scientifiques susceptibles d‟en relever plus ou moins directement, il a été décidé :

-d‟une part de circonscrire un corpus systématique d‟articles sur lequel sera appliquée l‟analyse logique des modalités de traitement de la pluralité épistémique. Ce corpus principal (dont les principes de constitution sont détaillés dans la partie « Matériels et Méthodes ») se compose d‟articles publiés dans les deux revues historiques du champ (STAPS et Science &

Motricité) depuis 2002.

-d‟autre part, de prolonger l‟analyse sur un corpus de textes scientifiques, non systématique mais « occasionnel provoqué » (voir « Matériels et Méthodes ») : seront ainsi analysées, de façon tout aussi rigoureuse, des contributions jugées particulièrement intéressantes de par leur souci de traiter la pluralité et satisfaisant au minimum un des critères d‟inclusion exposés ci-avant (étude des objets classiques du champ et/ou rattachement institutionnel à la 74ème section).

Un tel corpus ne pourra bien évidemment épuiser la richesse et la diversité du champ STAPS. Nous posons alors que les analyses restituées dans le présent compte-rendu valent a minima pour le corpus empirique étudié. Ce dernier offre une représentativité satisfaisante bien que non exhaustive du champ des Sciences du sport. Enfin, nous formulons le pari, à éprouver empiriquement, que les analyses réalisées (notamment les typologies produites) puissent rendre compte, avec une certaine efficacité prédictive, de travaux originaux relevant des STAPS, non inclus initialement dans le corpus.

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Partie II

Matériels Et

Méthodes

68 La problématique du traitement de la pluralité épistémique en Sciences du sport sera principalement étudiée au moyen de trois approches épistémologiques, qualifiées respectivement d‟« analytique et de logique », de « normative » et de « compréhensive ».

Nous explicitons, précisons et justifions les choix méthodologiques supportant chacun de ces regards.

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 61-68)