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: Modalités de traitement de la pluralité des paradigmes hors-STAPS

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 96-131)

M ODALITES DE TRAITEMENT DE LA PLURALITE EPISTEMIQUE HORS -STAPS

Chapitre 1 : Modalités de traitement de la pluralité des paradigmes hors-STAPS

97 Confronter les paradigmes concurrents

Clarification-cartographie-balisage Schèmes d‟intelligibilité.

Echelles d‟analyse.

Explicitation des présupposés et des apports-achoppements.

Recherche d’interférences et de traductions locales.

Objectivation systématique réciproque.

Mise à l’épreuve empirique simultanée.

Version radicale : expérience cruciale.

Version modérée : apports différentiels.

Territorialiser les paradigmes concurrents

Une pertinence relative à des catégories spécifiques de contexte.

Le schéma pluri-processus.

Une pertinence relative à des échelles singulières d’observation.

La relativisation historique.

Le principe de complémentarité et de mutuelle exclusivité.

Intégrer les paradigmes concurrents

Le schéma pluri-processus intégré théoriquement.

L’englobement dual fondamental/particulier.

L’intégration hiérarchique multi-niveaux.

La production d’une voie médiane, mixte.

Réduire la pluralité des paradigmes

Version radicale : élimination de la pluralité.

Argumentation en faveur d‟un programme de recherche.

Proposition d‟une troisième voie dépassant les controverses.

Version atténuée : proposition d’une alternative soumise à confrontation réglée.

Tableau n°1 : Modalités de traitement de la pluralité des paradigmes hors-STAPS

98 Confronter les paradigmes concurrents :

Suivant cette modalité relationnelle, chaque paradigme est maintenu dans sa spécificité. Il n‟est pas question de réduire la pluralité mais plus modestement d‟instaurer un dialogue, lequel peut revêtir des formes et des degrés d‟élaboration variables.

Clarifier et cartographier la diversité paradigmatique :

Le préalable nécessaire à tout dialogue réside dans la clarification des axes de divergences et de convergences entre les divers programmes impliqués. Une sorte de cartographie de la configuration paradigmatique est ainsi réalisée. Le champ de dispersion des programmes est balisé, mis à plat. Une telle intention d‟ordonnancement peut, dans les pratiques scientifiques, se réaliser au moyen de différents outils analytiques.

L‟intention cartographique trouve une expression formalisée chez Berthelot (1990, 1996, 2001). L‟auteur utilise un formalisme léger pour identifier les schèmes d‟intelligibilité structurant les divers programmes sociologiques. Les schèmes sont définis comme des

« matrices d‟opérations de connaissance ordonnées à des points de vue ontologiques et épistémiques fondamentaux » (Berthelot, 1990, p.23). Ils « permettent d‟inscrire un ensemble de propositions empiriques dans un système d‟intelligibilité, c'est-à-dire d‟en rendre raison, d‟en fournir une explication ». Ils sont structurés par une relation explicative fondamentale entre le phénomène à expliquer et le phénomène explicatif. L‟enjeu est de « dégager la forme logique des schèmes pour proposer une géographie des modes d‟approche de l‟objet en sociologie » (Berthelot, 1990, p.43).

A partir d‟une analyse des textes canoniques de la discipline, l‟auteur identifie six schèmes :

-le schème causal : le phénomène à expliquer est la conséquence d‟un phénomène explicatif qui lui est antérieur, chronologiquement et logiquement.

-le schème fonctionnel : on rend compte du phénomène à expliquer par son inscription dans un système où il exerce une fonction nécessaire.

-le schème structural : le phénomène à expliquer ne prend sa signification que par rapport à une structure où il s‟oppose à d‟autres termes avec lesquels il ne peut s‟associer.

-le schème herméneutique : le phénomène à expliquer est la traduction signifiante d‟un autre phénomène qui recèle son sens profond.

-le schème actanciel : le phénomène à expliquer est pensé comme la résultante du comportement des acteurs impliqués dans le contexte d‟actions.

99 -le schème dialectique : le phénomène à expliquer est considéré comme la résultante d‟un système contradictoire, défini par l‟existence de deux termes à la fois indissociables et opposés.

L‟intention cartographique de Berthelot se prolonge dans deux directions :

-vers l’aval : l‟auteur identifie les ramifications possibles d‟un même schème dans des programmes de recherche contrastés. Ainsi le schème causal s‟actualise-t-il dans deux programmes respectivement qualifiés de « nomothétique » et de « causalité structurelle ».

-vers l’amont : l‟auteur tente de regrouper divers schèmes en familles ou en pôles. Par exemple, les schèmes causal et fonctionnel sont qualifiés de « schèmes de dépendance » en ce qu‟ils privilégient une dépendance du phénomène à expliquer vis-à-vis d‟une série de facteurs objectifs ; les schèmes structural et herméneutique considèrent quant à eux le phénomène explicatif comme une signification ; les schèmes actanciel et dialectique conçoivent enfin l‟explication au sein d‟un procès. Ailleurs, Berthelot (2001) montre que la pluralité paradigmatique en sociologie peut être ramenée à trois pôles : celui des structures et des enchaînements causaux ; celui des acteurs, de leurs croyances et préférences ; celui des significations et des codes.

Au final, Berthelot cartographie le paysage de la pluralité programmatique en sciences sociales sur un mode arborescent, lequel est composé de divers schèmes, se regroupant en familles et pôles et se ramifiant en programmes. Les divergences paradigmatiq ues ne sont pas artificiellement atténuées mais radicalisées au service d‟une formalisation.

Grossetti (2006a) poursuit une intention homologue de balisage de la pluralité programmatique tout en mobilisant un outil cartographique différent. Il ne s‟agit plus de formaliser les schèmes d‟intelligibilité mais de spécifier les niveaux ou échelles d‟analyse auxquels se situent les divers programmes. L‟auteur part de l‟idée suivant laquelle une partie des querelles entre les courants de la sociologie relève de différences dans les niveaux d‟analyse considérés. Dès lors, comprendre la pluralité revient à dégager les niveaux respectifs d‟observation des divers programmes. L‟auteur définit l‟échelle comme une « suite de degrés » ; elle est constituée d‟un ensemble de niveaux. Trois échelles de nature différente sont identifiées : l‟échelle des masses (nombre d‟unités d‟action impliquées dans le phénomène considéré) ; l‟échelle des durées (empan temporel du phénomène) ; l‟échelle de généralité (nombre de contextes impliqués dans le phénomène). Au final, la proposition de trois échelles, présentant chacune des niveaux différenciés d‟analyse permet à Grossetti de

100 situer les divers programmes de recherche. L‟auteur parle d‟une grille générale de repérage des diverses postures théoriques.

L‟intention de clarification et de cartographie est parfois moins outillée analytiquement. Elle peut consister en une explicitation des présupposés ontologiques respectifs des différents programmes et/ou de leurs apports et limites res pectifs. Ainsi Benatouïl (1999) clarifie-t-il les divergences entre sociologies critique et pragmatique : il s‟agit d‟« expliciter ce qui, dans ces deux approches, rend conflictuelles les rencontres théoriques et pratiques » (p.281). Les dissensions sont envisagées au travers de trois indicateurs (le projet théorique, les méthodes de construction de l‟objet, les usages politiques) inhérents aux stratégies d‟écriture. Celles-ci « ont pour contrepartie des principes divers de lecture dont la maîtrise théorique et pratique est susceptible de dissoudre le sentiment d‟incompréhension suscité par ces textes lorsqu‟ils sont abordés à partir de principes qui leur sont étrangers » (p. 282).

Au final, une première stratégie de traitement de la pluralité des programmes par la confrontation a consisté dans sa clarification, son balisage, sa cartographie. Cette intention peut s‟armer d‟outils de repérage divers (schèmes d‟intelligibilité, échelles d‟analyse).

L‟ambition cartographique peut déboucher sur une recherche seconde d‟interférences et de traductions locales entre programmes concurrents.

Recherche d’interférences et de traductions locales :

Après avoir organisé la pluralité des paradigmes, certains auteurs tentent d‟identifier des points de passage, des rapprochements partiels, des opérateurs locaux de traduction. Il ne s‟agit en aucun de chercher à réduire la pluralité paradigmatique ni même à l‟intégrer dans une théorie surplombante mais simplement d‟engager des dialogues ponctuels.

Berthelot (1990), tout en reconnaissant l‟irréductibilité logique des programmes concurrents ordonnés à des schèmes d‟intelligibilités non superposables, soutient la possibilité d‟interférences et de traductions. L‟auteur repère ainsi des « isomorphismes partiels entre schèmes dessinant des voies de passages possibles de l‟un à l‟autre » (pp. 89-90). Du fait de ces isomorphismes, une proposition empirique initialement produite depuis un système explicatif donné peut être traduite dans les termes d‟un autre système d‟intelligibilité.

Plus classiquement, les auteurs cherchent à repérer, au-delà des divergences entre programmes, des lignes de convergences. Grossetti (2006b) repère par exemple des axes de

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« compatibilités » entre la théorie des associations de Latour et les modèles classiques en sociologie des réseaux. Il est notamment proposé de préserver les acquis de l‟analyse des réseaux sociaux pour ce qui concerne les humains et d‟introduire des notions nouvelles pour les non humains.

Pour sa part, Truc (2005) fait dialoguer les conceptions de l‟identité développées par Ricœur (1990) et Bourdieu (1986). Au-delà de leurs divergences réelles (non prise en compte de l‟identité-promesse chez Bourdieu), sont formalisés des points de passage, parmi lesquels l‟homologie entre identité-idem de Ricoeur et habitus de Bourdieu.

Au final, des convergences, compatibilités, interférences et traductions partielles peuvent être repérées entre programmes concurrents, notamment sur des problèmes théoriques précis. Un pas de plus peut être franchi dans la logique de confrontation lorsque chaque paradigme se voit érigé en instance de problématisation et d‟interrogation de son concurrent pour lui permettre une sophistication interne.

L’objectivation réciproque systématique :

Suivant cette logique de confrontation, le programme de recherche A, de par sa spécificité ontologique, théorique et méthodologique, sert de trame pour questionner le programme B et lui permettre de se perfectionner (et inversement). L‟interrogation critique par l‟alternative programmatique permet d‟améliorer la validité et la pertinence du programme ciblé. Peuvent notamment être rendues saillantes certaines limites non perceptibles si l‟on demeure prisonnier d‟une seule perspective paradigmatique. L‟alternative permet une décentration par l‟introduction d‟un changement de référentiel : en effet, si l‟on suit Morin (1991), tout paradigme comporte en son noyau dur des zones aveugles sur lesquelles il n‟a aucune prise ; la seule manière d‟instaurer une lucidité polémique sur ces zones est de disposer d‟un méta-point de vue, fonction occupée par l‟alternative paradigmatique. Cette modalité relationnelle est incarnée, de façon typique, par Benatouïl (1999).

L‟auteur part tout d‟abord de l‟idée suivant laquelle le conflit entre deux théories scientifiques ne pourra jamais être résolu par des critiques frontales et des expériences cruciales (problème Duhem-Quine) : « tout phénomène proposé par un programme comme décisif et tranchant le débat en sa faveur peut recevoir une interprétation satisfaisante dans le cadre de l‟autre, soit par la contestation de la pertinence voire de la réalité du phénomène soit par la remise en question d‟hypothèses secondaires qui laisse les principes de la théorie

102 intacts » (p. 308). Ainsi, chaque argument polémique fourni par l‟une des deux approches contre l‟autre a pu être disqualifié. Constatant que le débat direct est peu fécond, l‟auteur refuse cependant de condamner les approches rivales à l‟incommunicabilité. Pour ce faire, il s‟agit de « relativiser la valeur épistémologique du concept de paradigme selon Kuhn » : « si ce concept a le mérite de contraindre l‟épistémologue à analyser chaque approche dans sa spécificité, son autonomie, sa cohérence, il rend en revanche aveugle aux compromis et échanges effectifs ou possibles entre approches qu‟il tend à réduire à des méconnaissances de l‟incommensurabilité des principes entre ces paradigmes » (p. 308).

Sur cette base, Benatouïl va identifier des zones de transaction à propos desquelles les approches pragmatique et critique en sociologie vont pouvoir dialoguer, échanger localement, sans tentative de rapprochement. La zone de transaction est un « lieu » (un problème théorique, un instrument, une expérience…) situé à la frontière entre plusieurs sous-cultures scientifiques où se développent des coordinations certes locales mais efficaces entre membres de ces sous-cultures. La spécificité de ces zones de transaction est que les partenaires s‟accordent localement dans l‟échange même s‟ils s‟opposent sur la signification générale de ce qu‟ils échangent : chacun campe sur ses positions, l‟autonomie de chaque partie est maintenue ; néanmoins, chacun profite de certaines compétences spécifiques de l‟autre : « malgré les principes fondamentaux qui les séparent, il existe des problèmes précis autour desquels sociologies critique et pragmatique se rencontrent » (p. 309). L‟auteur identifie quatre problèmes au cœur des préoccupations de la sociologie et signalant des zones de transactions où des échanges entre les deux approches ont commencé et peuvent continuer à se développer : le constructivisme, les opérations de connaissance, la réflexivité, les usages sociaux de la sociologie.

A propos de ces problèmes théoriques communs, les deux approches gagneraient à s‟objectiver mutuellement dans leurs propres termes plutôt qu‟à s‟opposer frontalement. Ces objectivations mutuelles sont des voies possibles d‟approfondissement pour chacune des deux approches dans leur mode spécifique d‟appréhension de ces « problèmes-frontières » : « les objectivations par la pragmatique de la sociologie critique sont susceptibles d‟un usage critique et les objectivations par la critique de la sociologie pragmatique sont susceptibles d‟un usage pragmatique » (p. 310). Dit autrement, « sociologies critique et pragmatique ne sont ni empiriquement concurrentes ni épistémologiquement complémentaires, elles peuvent pourtant entrer dans une relation circulaire d‟objectivation mutuelle : les thèses que l‟une travaille et examine empiriquement sont les principes épistémologiques qui fondent l‟autre.

103 Les catégories et modèles dont l‟une fait usage, l‟autre les traite comme des problèmes et des objets » (p. 314).

Par exemple, l‟objectivation de la pragmatique par la critique incite à étudier systématiquement « les conditions sociales, politiques et historiques suivant lesquelles se distribuent et se transforment les mises en œuvre des régimes pragmatiques d‟action » :

« selon l‟époque, le pays ou le groupe social, certaines cités sont plus légitimes et plus fréquemment mobilisées que d‟autres dans certaines situations sociales pour des raisons liées à l‟état des structures sociales et des luttes entre les différents groupes et institutions » (p.

313).

La mise à l’épreuve empirique simultanée

L‟enjeu est ici de départager empiriquement deux paradigmes au moyen d‟une expérimentation commune prétendue cruciale et décisoire. Les conséquences vérifiables (ou prédictions déduites) de chaque programme concurrent sont identifiées et mises à l‟épreuve d‟un test empirique unique.

Cette stratégie, dans sa version radicale, est mise en œuvre par Norman (2002).

L‟auteur commence par radicaliser les prédictions des approches constructiviste versus écologique de la perception visuelle : ”if distance is taken into account, as the constructivists theorists claim, then the response times should be affected by the proximal ratios. But if the ecological theorists‟ claim that distance does not play a role in the perception of size is correct, then only the distal ratios should affect the response times” (p. 77). Un protocole empirique est conçu pour supporter la comparaison simultanée de ces prédictions et permettre, idéalement, de statuer sur la supériorité d‟un programme au détriment de l‟autre. Les résultats obtenus par Norman sont plus nuancés et débouchent plutôt sur une « territorialisation » des paradigmes concurrents dont la pertinence respective dépendrait des conditions de la tâche.

Mais, l‟ambition originelle était bien de départager les rivaux du point de vue de l‟efficacité prédictive.

Bien que régulièrement mis en œuvre, ce type de stratégie « décisoire » semble, d‟un point de vue logique, voué à l‟échec quant à ses effets recherchés (Soler, 2001) : en effet, la mise en évidence d‟une éventuelle supériorité prédictive d‟un programme sur un autre à partir d‟une expérience unique ne débouchera jamais sur l‟abandon mécanique de ce dernier.

Comme stipulé dans le problème Quine-Duhem de l‟holisme épistémologique, tout paradigme peut être préservé de la réfutation empirique via la transformation d‟une hypothèse périphérique autorisant le maintien intact de son noyau dur. Le verdict du test est ainsi amorti.

104 D‟autre part, une option ontologique structurant un programme de recherche est indécidable d‟un point de vue logique et ne peut être réfutée par une quelconque contradiction empirique.

Ce que confirme Berthelot (1990) pour qui « seules des propositions explicatives spécifiques peuvent être invalidées ; les propositions générales et les théories qui les étayent peuvent être affaiblies ou légitimées mais non confirmées ou invalidées » (p. 221).

D‟autres auteurs, soucieux de comparer les paradigmes rivaux du point de vue de leurs prédictions, mais conscients des limites inhérentes au problème Duhem-Quine, proposent une version « atténuée » de la confrontation empirique entre programmes. Berthelot formalise ainsi une « procédure de confrontation réglée entre programmes ». L‟auteur constate tout d‟abord que « le problème de la validité différentielle des théories concurrentes est rarement posé tant les théoriciens cherchent à prouver l‟une aux dépens de l‟autre en les considérant comme inéluctablement incommensurables. Mais, ce faisant, on nie la spécificité explicative des théories » (p. 217). Il s‟agit donc d‟élaborer une procédure de confrontation, réglementée par une norme commune permettant de reconnaître la qualité scientifique d‟une explication par-delà ses choix méthodologiques et ontologiques. Cette exigence générique n‟impose aucune technique particulière de la preuve et laisse à chaque programme le soin d‟élaborer celle qui est la plus appropriée à son schème. En effet, la première étape du procès de confrontation entre théories rivales doit porter sur la structure explicative associée à chaque option en y appliquant les normes de validation et de réfutation congruentes avec le schème d‟intelligibilité mis en œuvre. La seconde étape s‟appuie ensuite sur l‟idée qu‟il y a toujours une base empirique partiellement commune aux théories adverses. En effet, un même phénomène peut être appréhendé selon des schèmes contrastés. Le fait de la preuve est dans l‟aptitude des théories à se dégager de cette gangue originelle que constituent les options épistémologiques et ontologiques fondamentales pour tendre vers un langage commun. La question centrale devient : quel est le gain de connaissance autorisé par le passage d‟un schème à l‟autre ?

Lahire (1996a) soutient une position proche : la confrontation des paradigmes rivaux doit être envisagée de façon différentielle, en appréciant les gains et pertes explicatifs associés au passage d‟un langage d‟analyse à un autre : « il nous semble scientifiquement fécond de prendre acte de la variation des effets de connaissance selon le contexte adopté. Dès lors qu‟on ne se place pas en position polémique par rapport aux différentes manières de contextualiser les faits sociaux, on découvre les effets de connaissance propres à chaque mode de construction des contextes » (p. 398).

105 Territorialiser les paradigmes concurrents

La modalité de gestion de la pluralité paradigmatique par territorialisation diffère de la confrontation en ce qu‟elle ne cherche pas véritablement l‟instauration d‟un dialogue entre les paradigmes ; elle vise plutôt à démontrer que chaque paradigme est intrinsèquement valide et pertinent mais dans des zones de pertinence et de validité circonscrites et disjointes.

Formellement, cette modalité d‟articulation considère que la pluralité des paradigmes est la transposition voire la conséquence dans le champ théorique de la diversité du réel : pour Lahire (1998), « les théories qui s‟opposent ne reposent pas dans le vide mais systématisent des aspects différents de nos formes de vie sociale » (p. 244). « Les tensions conceptuelles reproduiraient in fine dans l‟ordre théorique des différences empiriques réelles » (p. 16). Dès lors, un programme de recherche apparaît apte à rendre compte avec rigueur d‟une région du réel ; en revanche, il perd de sa validité lorsqu‟il sort de son « champ propre de pertinence » (Wittgenstein, 1958) ; il doit alors être relayé par un programme alternatif plus approprié.

Chaque paradigme peut produire des descriptions valides, mais dans des territoires empiriques respectifs et disjoints. Les controverses paradigmatiques seraient dues à la tendance commune aux divers paradigmes à outrepasser leur domaine propre de compétence : ainsi, pour Bachelard (1940), les contradictions ne naissent pas des concepts mais de l‟usage inconditionnel de concepts qui ont en fait une structure conditionnelle. Avec la modalité par territorialisation, prévaut la logique du « chacun chez soi et le réel sera bien décrit ».

Au final, l‟enjeu des stratégies par territorialisation est de dégager après-coup les limites de validité (spatiales, temporelles, processuelles) de chaque paradigme concurrent.

Nous insistons sur le caractère « après-coup » de l‟opération : en effet, la délimitation de la portée de chaque paradigme est souvent rétrospective dans la mesure où originellement les programmes de recherche se voulaient de portée et de validité universelles. Pour territorialiser, il convient de revenir rétrospectivement sur les étapes historiques de construction du programme de recherche, afin de révéler une éventuelle contingence des objets originels d‟étude, point de départ de généralisations ultérieures incontrôlées. La logique générique de la territorialisation peut s‟actualiser selon diverses sous-modalités.

Une pertinence relative à des catégories spécifiques de contextes

Lahire (1998) illustre de façon typique cette modalité. L‟auteur part de l‟idée suivant laquelle diverses théories sociologiques générales partagent une prétention déplacée à couvrir

Lahire (1998) illustre de façon typique cette modalité. L‟auteur part de l‟idée suivant laquelle diverses théories sociologiques générales partagent une prétention déplacée à couvrir

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 96-131)