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: Les études sur les Sciences du sport et la pluralité des normes de scientificité :

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 22-26)

Réflexions de premier degré : pour les auteurs étudiés ci-après, chaque discipline charrie son système propre de normes de scientificité, de critères de recevabilité. La diversité de ces normes devrait être respectée pour une cohabitation authentique entre disciplines. Or, dans les pratiques scientifiques réelles des STAPS, il semble en aller différemment : les disciplines les plus puissantes semblent imposer leurs propres critères de scientificité aux regards scientifiques dominés. Les tenants de ces derniers revendiquent dès lors la reconnaissance de leur identité épistémique propre : la validité et la pertinence de leurs travaux doivent être

23 évaluées à l‟aune de leurs propres critères de recevabilité et non en référence à l‟idéologie des disciplines dominantes.

Il en va ainsi chez Le Pogam (1993, 1998) militant pour une « conception plurielle et non réductrice de la rationalité ». L‟auteur part du constat d‟une volonté hégémonique du modèle des « sciences dures », positiviste, objectiviste et réductionniste, à produire L’Explication, ultime et exclusive (Le Pogam, 1998, p. 28). Il existerait, comme démontré dans le modèle bourdieusien des champs de pouvoir (Bourdieu, 1984) une lutte pour la définition légitime et unique de la scientificité. Ces rapports de force sont exacerbés en STAPS où « la norme intériorisée de scientificité modelée sur les sciences de la nature ne fait l‟objet d‟aucune discussion ». Or, toute rationalité devrait être nécessairement pensée en référence au champ analysé et à la méthode déployée (Stengers, 1987). Dès lors, il devient nécessaire de reconnaître une légitimité éq uivalente aux diverses normes de scientificité.

Chaque discipline formule des critères singuliers de recevabilité et ne peut être qualifiées d‟« idéologique » ou de « métaphysique » parce que s‟écartant des canons de la science classique. Dit autrement, la psychanalyse ne devrait pas avoir à fonder sa reconnaissance académique « sur l‟application de schémas causalistes validés par une méthode permettant la distanciation » mais plutôt sur la mise en œuvre rigoureuse et contrôlée de ce qui fait son noyau dur, c'est-à-dire la prise en compte du symbolisme, de la subjectivité et de l‟intersubjectivité.

Liotard (2001) développe un argumentaire homologue, plaidoyer pour la reconnaissance des approches plurielles. Par un double jeu « des imaginaires du savoir » et des « enjeux de pouvoir », se manifesterait une « domination scientiste » contraignant les sciences humaines et sociales à l‟alternative vicieuse suivante : disparaître ou développer une approche physicaliste. Plus précisément, pour Liotard, la critique rationnelle par les pairs constitue une ressource indéniable du progrès des connaissances ; à la condition que « les critères de scientificité ou d‟objectivité qui devraient permettre de trancher les controverses ne leur préexistent pas puisqu‟ils sont au contraire l‟enjeu majeur des discussions scientifiques » (p. 192). Dès lors, les critères de recevabilité du modèle des sciences qui se veulent « dures » (Liotard note au passage la fantasmatique sexuelle virile contenue dans cet épithète) s‟imposent de façon uniforme à toutes les approches. Les STAPS, de par leur institutionnalisation récente et rapide, ont accéléré « l‟histoire des querelles disciplinaires » et

« la crispation scientiste sur des critères exclusifs » (p. 195). Or, la compréhension de certaines réalités sociales (imaginaires, affects et subjectivité, significations…) ne peut s‟opérer qu‟au travers de stratégies d‟exploration (herméneutique, clinique, narrative) et

24 d‟exposition (formats d‟écriture) adaptées à l‟objet d‟étude. Ici, les approches qualitatives permettent de saisir les nuances, l‟imbrication de divers niveaux de complexité (p. 201).

Une telle domination a également été fustigée par Gleyse (1991, 1995, 2001) et Midol (1998). Pour le premier, les STAPS, branche récente de la connaissance, semblent encore touchées par le positivisme et le physicalisme en privilégiant une certaine discursivité. Elles respectent en cela l‟axiologie dominante qui privilégie les sciences de la nature, les sciences mathématiques et qui les valorisent socialement et institutionnellement. Non seulement les STAPS ont reflété cette domination mais elles l‟ont en outre exacerbée. Par exemple, ne sont favorisés, en termes de carrières et de qualifications, que les acteurs se rapprochant de cet idéal. Or, toute science se constitue en fonction d‟un objet propre et d‟une méthode spécifique. Ainsi, « peut-on étudier des activités spécifiquement humaines avec des approches autres que spécifiquement humaines ? Afin de permettre l‟expression des normes de scientificité propres à chaque type d‟approche, Gleyse propose de créer au sein du CNU trois sous-sections « sciences de la vie et neurosciences ; sciences humaines et sociales, technologie des APS ».

Midol émet pour sa part l‟idée suivant laquelle la tendance, dans le champ scientifique, à identifier un adversaire dominé pour l‟écraser en lui imposant ses propres normes de scientificité serait récurrente et se reconfigurerait à plusieurs niveaux. Il en va ainsi de la

« drôle de guerre du dur contre le mou » ; cette catégorisation n‟est pas liée au contenu respectif des regards concurrents mais relève d‟une structure profonde consistant à inférioriser pour l‟éliminer la spécificité du dominé. Ainsi, à chaque nouvelle subdivision scientifique, l‟opposition entre le dur et le mou se renouvelle : « la chimie et la biologie sont considérées comme molles par les physiciens alors qu‟en STAPS, c‟est justement la biologie alliée aux sciences cognitives qui trouve mou le social. Et au sein des sciences sociales, ce sont les approches cliniques (par opposition aux démarches expérimentales) qui deviennent molles, ces dernières se méfiant encore d‟une certaine approche didactique de l‟EPS » (p. 22). Là où l‟on aurait pu penser que le dur qualifiait un système de preuves particulièrement robuste, Midol soutient qu‟il n‟existe « aucun consensus sur ce qui est dur et ce qui est mou ». En fait, ces qualificatifs ne correspondent qu‟à « des labels » (p. 22). Le mou signifie la stigmatisation, une forme de désignation péjorative visant la dé-crédibilisation. L‟auteure resitue ce jeu d‟attribution de qualités dans les « stratégies de conquête faisant des sciences une histoire jonchée de perdants réduits au silence » (p. 26). Il s‟agirait d‟affirmer sa dureté en discréditant son concurrent par un procès de mollesse (p. 25).

25 Au final, les tenants des approches « qualitatives, herméneutiques, phénoménologiques, cliniques » tentent de réhabiliter la pluralité des normes de recevabilité scientifique là où d‟autres avaient eu tendance à étendre de façon hégémonique la validité de leur propre système d‟évaluation. Pour Terral (2003), ce type de plaidoyer épistémologique est l‟œuvre des « dominés » au sein de l‟espace concurrentiel que constituent les STAPS ; les dominants ayant eux intérêt au statut quo que pourrait menacer une réflexion critique.

Réflexions de second degré : des auteurs ont cherché à saisir en acte le travail de normes divergentes de scientificité. Il en va ainsi chez Collinet (2003b) à partir d‟une étude des

« univers discursifs » des textes sociologiques et historiques en STAPS. L‟auteure y démontre la cohabitation de deux espaces de contraintes : d‟une part, « des logiques scientifiques dictées de l„extérieur par les disciplines de référence » ; d‟autre part, des logiques internes, historiques, sociales et épistémologiques, propres au domaine » (p. 252). Cette dualité transparaît dans le mode même de construction et de traitement des données, dans la procédure d‟administration de la preuve, dans la réalisation de l‟argumentation. Plus précisément, certains textes se rapprochent, de par leur structure discursive, des modes démonstratifs des sciences dont ils se réclament ; quand d‟autres s‟en écartent, entretenant un rapport plus lâche à la fonction probatoire mais plus serré à la pédagogie. Et de conclure : l‟hybridation, qui caractérise l‟histoire des STAPS, se répercute dans l‟écriture même des textes (p. 272).

De son côté, Terral (2003, p. 292) identifie la souscription des chercheurs en STAPS à des « principes supérieurs » épistémiques antagonistes. Il en va par exemple ainsi des

« conceptions ontologiques de la vérité » : une première vision, qualifiée de « réaliste », considère qu‟un énoncé est vrai dans la mesure où il rend compte du réel à partir de sa description ; à l‟opposé une conception « pragmatique » de la vérité envisage la validité d‟un énoncé à partir de l‟efficacité de ses conséquences pratiques. Cet antagonisme renvoie au conflit « sciences fondamentales versus appliquées ». Les chercheurs en STAPS se disputent donc sur ces conceptions premières de la vérité et de la vérification. Les sensibilités différentielles pour l‟un des deux pôles sont notamment interprétées par Terral comme la résultante de dispositions divergentes (cognitives, discursives, sociales) incorporées au travers des expériences multiples de socialisation professionnelle.

Ces antagonismes relatifs à la conception de la vérité et de la scientificité permettent d‟expliquer le durcissement de certaines controverses épistémologiques au sein des STAPS.

Cette idée se retrouve chez Collinet & Terral (2006) étudiant la controverse empirique quant à

26 l‟impact de l‟électrostimulation sur l‟amélioration de la force. Les résultats discordants sont produits par des chercheurs souscrivant à des visions incompatibles de la validité scientifique : pour certains, c‟est le contrôle rigoureux des protocoles expérimentaux (décomposition analytique du réel en variables isolables et manipulables dans des conditions standardisées…), qui autorise la production d‟assertions robustes ; à l‟inverse, pour d‟autres, c‟est l‟efficacité pratique des procédures d‟électrostimulation qui importent.

Pour Delalandre & Carreras (2011), l‟existence de critères de scientificité et de conceptions de la vérité incompatibles permet également de rendre compte de la controverse paradigmatique entre approches cognitiviste versus dynamique. Chez Schmidt (1975), la validité du modèle cognitiviste réside en partie dans son efficacité pratique ; ce souci applicationniste est en revanche absent des contributions relevant du paradigme dynamique.

Au final, semblent s‟opposer « l‟orthodoxie scientifique du modèle dynamique » et « une conception plus pragmatique de la science » chez les cognitivistes. L‟opposition ne porte pas seulement sur le contenu des théories, mais sur la « conception même de la science », de la

« vérité scientifique » et donc « des critères à partir desquels chacun évalue les théories ».

Dans le document Matthieu QUIDU Le 9 décembre 2011 (Page 22-26)