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Quelle définition des métiers scientifiques et techniques ?

Diplôme et métiers scientifiques et techniques : un lien plus étroit pour

1. Quelle définition des métiers scientifiques et techniques ?

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Diplôme et métiers scientifiques et techniques : un lien plus étroit pour les femmes

Catherine MARRY

Sociologue, Lasmas-IRESCO/CNRS

Pour introduire cette table ronde sur la diversité des métiers scientifiques et techniques exercés par les femmes et par les hommes, j’aborderai brièvement trois points :

1.

1.1.

1. La définition des métiers « scientifiques et techniques »

2.

2.2.

2. Le rôle du diplôme dans la féminisation de ces métiers

3.

3.3.

3. L’insertion comparée des filles et des garçons selon le degré de (non) mixité des

études.

Je conclurai par quelques remarques sur les obstacles rencontrés par les femmes, objet de la deuxième table ronde.

1. Quelle définition des métiers scientifiques et techniques ?

Comme toute opération de classement, la définition des métiers « scientifiques et techniques » est le produit de compromis, plus ou moins négociés, entre les porte-parole de différents groupes sociaux et les institutions qui opèrent ces classements (Desrosières et Thévenot, 2000). Le repérage de ces métiers dans le code des Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) de l’INSEE1 révèle les enjeux sexués de ce classement : les métiers sont d’autant plus qualifiés de

« scientifiques » ou de « techniques » qu’ils sont massivement occupés par des hommes. Un deuxième enjeu est celui du classement dans la hiérarchie des emplois : les métiers « scientifiques » sont

1 Le code des PCS s’est substitué en 1982 à celui des CSP (catégories socioprofessionnelles) de 1954. Différents classements s’emboîtent du plus général (6 grandes catégories d’actifs, deux pour les indépendants, quatre pour les salariés (ouvriers, employés, professions intermédiaires, cadres et professions supérieures) au plus détaillé des professions à quatre chiffres, indiquant la spécialité (ex. ingénieurs de fabrication des industries mécaniques) Ils découpent l’espace social en plusieurs dimensions, horizontales (statut, secteur d’activité, spécialité…) et verticales (diplômes, classifications des conventions collectives…) qui ne se recoupent pas toutes mais établissent une cartographie des milieux sociaux utile pour classer et opposer de nombreuses pratiques sociales (école, santé, culture, fécondité… ). L’un et l’autre ont été établis par l’INSEE à l’issue d’une concertation avec les représentants des groupes professionnels et sociaux (syndicats, organismes professionnels…). L’usage de ces PCS est largement répandu au-delà du milieu des statisticiens et des chercheurs.

considérés comme supérieurs aux métiers « techniques ». Cette supériorité est légitimée par la durée et l’importance des enseignements théoriques dans la formation requise. A l’exception du métier d’ingénieur qui associe les dimensions « scientifique et technique », la plupart des métiers sont définis comme « scientifiques » ou « techniques ». Les deux enjeux, sexué et hiérarchique, ne se recoupent que partiellement : la féminisation des métiers « scientifiques » est plus aboutie que celles des métiers

« techniques » (Marry, 1992)

Ce paradoxe est toutefois lié à la définition « masculine » des métiers « techniques ». Les métiers tertiaires largement féminisés du secrétariat, de la comptabilité, de l’interprétariat… ne sont pas considérés comme des métiers « techniques ». Ce terme est largement réservé aux métiers industriels. Le clivage opéré en 1982 dans le nouveau code des professions entre fonction publique et entreprises (privées et nationales) a renforcé cette association entre « technique » et industriel ». Dans l’ancien code, des femmes appartenant à la recherche publique étaient classées comme

« techniciennes » ou « ingénieurs », quel que soit le domaine de leurs études (littéraires, scientifiques…)2.

D’autres métiers féminisés comme ceux de la santé ou de l’enseignement n’obtiennent le label prestigieux de « scientifiques » que s’ils sont classés dans la catégorie des « professions supérieures ». Les pharmaciens et les médecins appartiennent ainsi à la catégorie 3 des « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Ils sont classés dans les « professions libérales » (33) quand ils exercent en libéral ou dans les « professions scientifiques » (34) quand ils sont salariés. Les infirmières et les sage-femmes dont les exigences scientifiques et techniques du métier n’ont cessé de croître et dont la formation en sciences de la vie est de plus en plus poussée sont rarement considérées comme exerçant un métier « scientifique » ni même « technique ». Une revendication centrale de la lutte des infirmières en 1988 (Kergoat, Imbert, Le Doaré, Senotier, 1992) et de celle, toute récente des sage-femmes, est la reconnaissance sociale et salariale de leur qualification et de leurs compétences

« techniques ». Toutes ont en effet passé un concours pour entrer dans une école préparant, en trois ou quatre ans après le baccalauréat, le diplôme nécessaire à l’exercice de leur profession. Elles sont plus diplômées que la grande majorité des techniciens et contremaîtres de l’industrie classés comme elles dans les « professions intermédiaires »3, voire que de nombreux hommes « ingénieurs et cadres techniques » de l’industrie qui appartiennent aux « professions intellectuelles supérieures ». Et pourtant il va de soi de considérer ces emplois masculins comme « scientifiques et techniques ».

Enfin, quelle que soit la spécialité de leur diplôme (en sciences ou en lettres), les enseignants agrégés et capétiens représentent, avec les chercheurs de la recherche publique, le noyau dur des professions « intellectuelles supérieures » dites « scientifiques » par l’INSEE (catégorie 34).

Les autres enseignants, en majorité des enseignantes, n’ayant pas réussi à ces concours sont classés avec les instituteurs (et institutrices) dans les professions « intermédiaires » et donc non

« scientifiques », y compris quand ils (et elles) sont titulaires d’une licence ou d’une maîtrise en mathématiques ou en biologie.

Cette définition restrictive des diplômes et des qualifications des femmes tend à occulter leur présence dans les métiers scientifiques et/ou techniques4.

Il demeure qu’elles restent très minoritaires dans certains de ces métiers, tout particulièrement dans ceux liés à la mécanique et à l’électricité qui regroupent les gros bataillons des hommes à tous les

2 Au CNRS par exemple, les catégories ingénieurs et techniciens couvrent tous les domaines disciplinaires, ceux des sciences dures et de la vie comme ceux des sciences humaines et sociales. Mais il faut ajouter que ces « vraies ou fausses » techniciennes et ingénieurs ont eu souvent des carrières très limitées et frustrantes, ces fonctions étant beaucoup moins reconnues et prestigieuses que celle de chercheurs.

3 La moitié des techniciens et les trois-quarts des contremaîtres ont un diplôme inférieur au baccalauréat.

4 Des mères de normaliens et normaliennes scientifiques, que nous avons rencontrées dans une enquête sur les pratiques éducatives des familles de cette élite (Ferrand, Imbert, Marry, 1999), se sont définies comme des « scientifiques », parce qu’elles avaient beaucoup aimé les mathématiques et réussi dans cette matière à l’école primaire et au lycée mais n’avaient pu poursuivre leurs études : elles étaient le plus souvent institutrices.

niveaux de qualification (ouvriers, techniciens, ingénieurs). En mars 2001, on comptait 15,4% de femmes dans la catégorie des techniciens des entreprises (privées et nationales), 9% dans celle des agents de maîtrise, 14,6% dans celles des ingénieurs et cadres techniques5. Et ces taux sont encore plus faibles (0 à 4%) dans les métiers de la fabrication et entretien en mécanique et en électricité (cf.

tableau en annexe). Les rares formations, métiers et secteurs d’activité industriels où les femmes sont présentes en nombre comme ouvrières qualifiées, techniciennes et depuis peu comme ingénieurs sont ceux liés au travail des étoffes (couture, industrie de l’habillement), des papiers (documentation technique, informatique « soft »…) et de laboratoire (chimie, pharmacie…).

Les conditions objectives de travail (bruit, charge physique, danger…) ne sont pas seules en cause dans l’absence de femmes des ateliers et chantiers de construction mécanique ou du bâtiment.

La socialisation professionnelle à ces métiers a une longue tradition d’exclusion des femmes, datant des corporations du Moyen-Âge (Dubar et Tripier, 1998) et le développement de la forme scolaire (CET puis lycées professionnels) depuis la deuxième guerre n’a pas bouleversé les frontières entre spécialités masculines et féminines (Moreau, 2000)6. Les voies de promotion de l’apprenti au maître artisan, de l’ouvrier qualifié au technicien ou contremaître, de ces derniers à l’ingénieur ou cadre technique sont toujours des voies suivies quasi exclusivement par des hommes, souvent de père en fils.

Les filières de mobilité en cours de vie professionnelle et d’une génération à l’autre sont largement à inventer pour les femmes. C’est particulièrement vrai dans les métiers scientifiques et techniques industriels où l’ère des pionnières n’a pris fin que depuis le début des années 1970. Aucune des mères des 55 Centraliennes diplômées dans l’entre-deux guerres n’avait exercé une activité professionnelle, tout au moins connue de leur fille (Chantereau, 1997). Les temps ont changé puisque la majorité des mères des femmes ingénieurs diplômées interrogées en 2001 par le CNISF ont travaillé (dont 18%

dans des professions supérieures)7.

Il faut noter toutefois l’apparition pour la première fois en 19938, d’un flux significatif de mobilité de femmes techniciennes en entreprises (privées ou nationales) vers des postes d’ingénieurs et cadres techniques à côté de la seule voie de mobilité offerte aux femmes, celle des emplois administratifs de la fonction publique ou d’entreprise (Chapoulie, 2000). Mais en dépit de ce phénomène lié à une certaine féminisation de la catégorie des techniciens, ce groupe professionnel reste avec celui des ingénieurs et de la maîtrise les plus masculins des professions intermédiaires et supérieures. La forte féminisation de l’emploi depuis les années 1970 a peu modifié ces clivages sexués (graphique 1). La seule modification notable est l’avancée des femmes cadres dans les fonctions administratives et commerciales des entreprises privées (ou nationales). Leur part dans la catégorie a doublé de 1975 à 2001 (17% à 35%).

5 Source : INSEE, Enquête Emploi 2001, Résultats détaillés.

6 Ces frontières sont encore plus étanches dans l’apprentissage : les sections de la forge, la plomberie, la couverture, le chauffage, le bois, l’électricité, la mécanique, la peinture, la boulangerie-patisserie et la boucherie restent des bastions masculins (3 à 3% de filles) ; le commerce, la pharmacie et la coiffure des territoires réservés des femmes (85 à 90%) (Moreau, 2000, p. 72).

7 Source : 14ème enquête du CNISF (Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France) du 1er janvier 2001.

Exploitation secondaire d’Irène Founreier-Mearelli, ingénieur de recherche au Lasmas (CNRS, Paris).

8 Dans l’enquête Formation-Qualification-Professionnelle de l’INSEE qui permet d’analyser les changements de catégorie socio-professionnelle des actifs sur 5 années (en comparant leur catégorie à l’enquête et cinq ans auparavant). D’après l’enquête de 1993 étudiée par Simone Chapoulie, 17% des femmes qui étaient techniciennes en 1988 étaient devenues ingénieurs ou cadres techniques en 1993 soit un taux supérieur à celui des secrétaires devenues cadres administratifs (7%) et à celui des hommes techniciens (5%) et agents de maîtrise (6%). Mais les effectifs concernés sont évidemment sans commune mesure : réduits pour les techniciennes, importants pour les techniciens, agents de maîtrise et secrétaires (Chapoulie, 2000, p. 40). Les techniciennes sont en outre plus diplômées et plus jeunes que les techniciens.

Graphique 1