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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.4. La qualité des interactions en classe

Sans l’interaction sociale, il est impossible pour l’enfant d’apprendre et de se développer (CERI 2007, cité dans Duval, 2015). En contexte éducatif, l’enfant a l’opportunité de s’engager quotidiennement dans des interactions sociales, tant avec ses pairs qu'avec son enseignante (Broekhuizen et al., 2017; Hamre et al., 2013). L’interaction entre l’enseignante et l’enfant au sein d’une classe peut être conceptualisée de deux façons : 1) au niveau dyadique et 2) au niveau de la classe.

2.4.1. Le niveau dyadique

Ce premier niveau, axé sur l’attachement entre une enseignante et l’enfant (aussi appelé attachement secondaire), place la dimension émotionnelle de la relation au cœur de la qualité des interactions (Vandenbroucke, Verschueren, et Baeyens, 2017). Pianta (1993,1999), qui fut l’un des premiers chercheurs à suggérer une manière de conceptualiser le niveau dyadique des interactions en contexte éducatif, considère trois éléments clés reliés à la qualité de la relation entre l’enseignante et l’enfant : 1) la proximité, 2) le degré de conflit et 3) le degré de dépendance (équilibre entre le réconfort et l'exploration). Alors que la proximité renvoie au lien affectif et aux interactions positives entre l’enseignante et l’enfant, la dimension degré de conflit fait référence aux interactions négatives entre l’adulte et l’enfant (Pianta, 1999). Finalement, la dimension dépendance souligne l’importance de l’autonomie de l’enfant, puisque la dépendance risque d’avoir un effet négatif sur ses interactions avec l’enseignante (Duval, 2015). L’enfant autonome se sent davantage en sécurité pour explorer son environnement et apprendre par lui -même, alors qu’un enfant

dépendant aura tendance à se sentir plus sûr de lui s’il peut se référer à son enseignante de manière constante.

Au fil de ses travaux, Pianta a conçu un deuxième modèle permettant de conceptualiser la qualité des interactions entre l’enseignante et l’enfant (voir Figure 2.6.). Dans ce modèle conceptuel, les interactions enseignante-enfant se rangent sous trois composantes essentielles : 1) les caractéristiques des individus et leur représentation de la relation enseignante-enfant, 2) les processus par lesquels l’information est échangée entre les individus; et 3) les influences externes des systèmes dans lesquels la relation est intégrée.

Figure 2.6. Modèle conceptuel de la relation enseignante-enfant (Duval, 2015, figure inspirée de Hamre et Pianta, 2006; Pianta, 1999).

Les caractéristiques individuelles forment la base de ce modèle et sont importantes à considérer puisqu’elles sont reconnues pour avoir un effet sur la qualité des interactions (Cadima, Enrico, et al., 2016). Cette composante, représentée dans la Figure 2.6. par les cercles enfant et enseignante, regroupe les facteurs biologiques (p.ex. la génétique, le sexe, le tempérament) ainsi que les particularités individuelles, telles que l’estime de soi, la personnalité et la motivation (Hamre et Pianta, 2006; Pianta, 1999)

La seconde composante, les processus, consiste en l’information qui est échangée entre les individus. Sur la Figure 2.6. cette composante est représentée par deux lignes brisées placées entre les cercles enfant et enseignante. Plus précisément, il s'agit ici des échanges réciproques entre l’enfant et l’enseignante, ainsi qu’aux rétroactions en boucle qui ont lieu entre eux (Hamre et Pianta, 2006). La qualité des informations qui sont échangées entre ces acteurs, de même que la manière dont les échanges sont vécus (p.ex. le ton de la voix, la posture et la proximité entre l’adulte et l’enfant) serait plus importante que ce qui est réellement dit ou fait avec l’enfant (Hamre et Pianta, 2006; Pianta, 1999).

Finalement, les influences externes sont représentées par l'ovale qui englobe les premières composantes, et par les quatre flèches noires disposées à l’extérieur de celui-ci (voir Figure 2.6.). Selon Pianta (1999), cette composante signifie que l’enseignante et l’enfant n’interagissent pas de façon isolée. En effet, ils font partie d’un ensemble plus grand que leur relation dyadique, c'est-à-dire celui de la communauté scolaire (p.ex. la classe). Cet environnement peut favoriser ou entraver le développement des relations positives entre l’enseignante et l’enfant (Hamre et Pianta, 2006). À titre d’exemple, les interactions des autres enfants avec l’enseignante peuvent nuire ou avoir une influence positive sur la qualité des interactions enseignante-enfant (Vandenbroucke, Spilt, Verschueren, Piccinin, et Baeyens, 2018). Pensons à une classe avec des défis, où certains enfants auraient besoin de plus de soutien de la part de l’enseignante. Cette dynamique aurait certainement des effets sur la relation dyadique entre l’enseignante et l’enfant. Les facteurs distaux, telles que les ressources physiques, humaines et matérielles de cette communauté scolaire peuvent également avoir une influence de l’interaction enseignante-enfant, voire seraient des facteurs préalables à la qualité de cette interaction (Slot, 2018).

Conséquemment, alors que ces modèles axés sur les éléments-clés de l’interaction adulte- enfant, tous deux élaborés par Pianta (1994, 1999) ont contribué au développement du concept qualité des interactions, des critiques voulant que le niveau dyadique des interactions ne soit pas le plus représentatif du contexte éducatif ont émergé (Vandenbroucke et al., 2018). Howes et ses collaborateurs (2011) soutiennent qu’une telle considération dyadique n’est peut-être pas représentative de la qualité des interactions en classe, et ce, pour l’ensemble des enfants. En effet, les relations de dyade entre l'enseignante et l'enfant n’évoluent pas seules, mais bien à l’intérieur d’un système-classe

plus complexe (p.ex. considérer les facteurs distaux, la dynamique avec les autres dyades enseignante-enfant) qui influence les apprentissages et le développement de l’enfant. Comme la qualité des interactions entre l’enseignante et l’enfant (relation dyadique) est influencée par la qualité des interactions en classe, les deux ne peuvent donc pas être dissociés (Vandenbroucke et al., 2018). En cohérence avec cette idée, les prochaines sections aborderont l’apogée des travaux de Pianta : la conceptualisation de la qualité des interactions en classe à l'aide d'un outil qu'il a développé avec ses collaborateurs.

2.4.2. Le niveau de la classe

Les recherches de Pianta et ses collaborateurs (p.ex. Burchinal, Vandergrift, Pianta, et Mashburn, 2010; Goble et Pianta, 2017; Hamre et al., 2013; R. Pianta, 1999; Pianta, LaParo, et Hamre, 2008) sur la qualité des interactions en classe ont permis de démontrer que ces interactions s’avèrent cruciales pour la réussite éducative, entre autres, parce qu’elles agiraient comme facteur de protection pour l’enfant. Au terme de plusieurs années de recherche, Pianta et ses collègues (2008), ont créé un cadre conceptuel permettant de mesurer la qualité des interactions en classe, et un outil d'observation titré Classroom Assessment Scoring System [CLASS]. Ce cadre conceptuel se concentre sur les processus proximaux ayant lieu dans l’environnement de la classe (Bronfenbrenner et Morris, 1998), soit les interactions quotidiennes entre l’enseignante et les enfants. Sous sa forme théorique, le CLASS est composé de 10 dimensions sous-divisées en trois domaines : le soutien émotionnel, l’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage.

2.4.2.1. Le soutien émotionnel

Le soutien émotionnel réfère à la propension de l’enseignante à soutenir le développement social et émotionnel des enfants dans la classe, en facilitant de manière positive les interactions enseignante-enfants et enfant-enfant (Hamre et al., 2013). Le soutien émotionnel est constitué de quatre dimensions et d’indicateurs, qui réfèrent principalement à la capacité de l’adulte à créer un climat de classe positif, à minimiser le climat négatif, à reconnaitre les besoins et les émotions des enfants ainsi qu’à soutenir l’autonomie de ces derniers (Pianta et al., 2008).

Deux théories développementales constituent la fondation de ce domaine : 1) la théorie de l’attachement (Bolby, 1969) et la théorie de l’autodétermination (Connell et Wellborn, 1991).

Les théoriciens de l'attachement soutiennent que lorsque les adultes fournissent un soutien émotionnel et un sentiment de sécurité chez les enfants, ces derniers deviennent plus autonomes et peuvent prendre des risques en explorant le monde qui les entoure (p.ex. les aires de la classe, le matériel offert, etc.), sachant qu'un adulte sera là pour les aider s'ils en ont besoin (Bowlby, 1969). La théorie de l'autodétermination suggère que les enfants sont plus motivés à apprendre lorsque les adultes soutiennent leur besoin de se sentir compétents (Connell et Wellborn, 1991). À titre d’exemple, une enseignante qui prend les idées et soutient les initiatives de l’enfant renforce le sentiment d’auto-efficacité de l’enfant, ce qui en retour lui donne la motivation nécessaire aux apprentissages (Zimmerman, Bandura, et Martinez-Pons, 1992).

2.4.2.2. L’organisation de la classe

L’organisation de la classe renvoie à la gestion des comportements, à la productivité et aux modalités d’apprentissages (Pianta et al., 2008; Hamre et al., 2013). Plus précisément, la gestion des comportements réfère à la manière dont l'adulte énonce ses attentes et les consignes, redirige les comportements et accompagne les enfants dans la résolution des conflits (Hamre et al., 2013). La productivité consiste en l’utilisation optimale du temps dans la journée, voire au fait de profiter de toutes les situations pour soutenir les apprentissages et le développement de chacun des enfants (p.ex. lors des transitions) (Cantin, 2017). Finalement, les modalités d'apprentissages renvoient à l’accompagnement et à l’engagement dans les jeux des enfants et à l’éventail de modalités d'apprentissages (Cantin, 2017).

Les assises théoriques de ce domaine reposent notamment sur les recherches ayant été menées sur les habiletés d'AR de l’enfant (p.ex. Blair, 2003; Raver, 2004, cité dans Pianta et al., 2008). Ces recherches ont d'abord été portées par la psychologie écologique (Bronfenbrenner, 1979) voulant que la qualité de l’environnement et des différents systèmes dans lesquels l'enfant évolue (p.ex. sa famille, le contexte éducatif) soit déterminante pour le développement de l’enfant. Elles prennent aussi appui sur la perspective constructiviste, voulant que l’enfant apprenne de façon active (Kounin, 1970).

2.4.2.3 Le soutien à l’apprentissage

Le soutien à l’apprentissage réfère aux facilitations cognitives et langagières mises en place par l’enseignante. Plus précisément, ce domaine renvoie aux dimensions du développement

de concepts, à la qualité de la rétroaction et au développement langagier. Le développement de concepts constitue les moyens utilisés par l'enseignante pour permettre aux enfants de développer une plus grande compréhension de différents concepts en les incitant à exprimer leurs idées et pensées, de manière à solliciter leurs capacités d’analyse et de raisonnement (Cantin, 2017; Pianta et al., 2008). La qualité de la rétroaction, quant à elle, réfère aux rétroactions constantes que les enfants reçoivent de la part de leur enseignante, lesquelles leur permettent d'accroitre leur compréhension de divers concepts. Finalement, le modelage langagier englobe les stratégies langagières employées par l’enseignante afin d'exposer les enfants de manière constante à des formes et à des usages variés du langage et de la communication (Cantin, 2017). D’un point de vue théorique, ce domaine provient de la recherche en développement cognitif et langagier (Pianta et al., 2008).

Les écrits théoriques présentés ci-haut contribuent à la compréhension des concepts à l’étude, soit celui de l’AR et celui de la qualité des interactions en classe. De manière à préciser davantage ces concepts chez l’enfant d’âge préscolaire, une recension des écrits a été effectuée. Les sections 2.5. et 2.6. feront respectivement état de cette recension des écrits empiriques contribuant aux concepts d’AR et de qualité des interactions en classe.