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Chapitre 1 : Problématique

1.2. L’autorégulation à l’éducation préscolaire

1.2.3. Les facteurs liés à l’environnement

Alors que la biologie met en place les bases de l’AR (p.ex. les capacités physiologiques et attentionnelles), les processus plus complexes reliés aux émotions, au comportement, et à la pensée, de même que la motivation de l’enfant à les déployer se développe à travers ses interactions avec l’environnement et les personnes qui l'entourent (p.ex. parents, fratrie, pairs, enseignante) (Rosanbalm et Murray, 2018c).

1.2.3.1. L’environnement familial

De nombreuses études (p.ex. Cadima, Enrico, et al., 2016; Gärtner, Vetter, Schäferling, et Reuner, 2018; Pallini et al., 2018; Tamis-LeMonda, Shannon, Cabrera, et Lamb, 2004) ont montré un lien entre la qualité de l’environnement familial et certains processus liés à l’AR de l’enfant. En ce sens, Mullainathan et Shafir (2013) estiment que l'un des concepts permettant d’expliquer le lien entre l’environnement familial et le développement de l'AR est celui de la pauvreté psychologique (traduction libre de psychology of scarcity). Ce concept suggère que manquer de ressources monétaires, alimentaires, temporelles et même de ressources sociales peut réduire considérablement la bande passante mentale de l’enfant (traduction libre de mental bandwidth), c’est-à-dire ses capacités à inhiber, se concentrer, planifier et résoudre des problèmes, habiletés liées aux composantes de l’AR. En d’autres termes, le stress, la fatigue et les inquiétudes qui peuvent accompagner le fait de vivre dans la pauvreté peuvent réduire l’énergie et les ressources disponibles pour favoriser et soutenir le développement des habiletés d'AR7.

7 La perspective neurocognitive qui a contribué à la définition de l’AR retenue dans ce mémoire soutient d’ailleurs cet argumentaire en

À titre d’exemple, Rhoades et ses collaborateurs (2011) ont constaté que les enfants de trois ans provenant de familles à risque8 présentaient de plus faibles habiletés liées aux FE

(processus se rattachant à la composante cognitive de l’AR) deux ans plus tard, en comparaison avec les enfants provenant de familles à faible risque. De plus, Montroy et ses collaborateurs (2016) ont démontré que le niveau de scolarité de la mère avait une influence sur les habiletés d’autocontrôle (processus se rattachant à la composante comportementale de l'AR de l'enfant. Plus précisément, à l'aide d'une mesure d’inhibition comportementale (Head to Knee Should task; Ponitz et al., 2008), les données de Montroy et al. (2016) ont révélé que lorsque la mère avait complété un plus haut niveau d’étude (p.ex. diplôme universitaire), l’enfant détenait plus d’habiletés liées à l’autocontrôle lorsqu’il était âgé de trois à sept ans, en comparaison avec les enfants qui évoluaient dans une famille où la mère avait un plus faible niveau de scolarité.

Ces résultats peuvent être expliqués par le fait que l’enfant provenant d’une famille à faible risque sur les plans économique et social pourrait observer davantage de démonstrations d’habiletés d'AR comportementale chez ses parents (Montroy et al., 2016). Qui plus est, les parents avec un plus haut niveau d’éducation pourraient mieux s’adapter au niveau d’habiletés de leurs enfants (p.ex. en usant d'interactions sensibles sur le plan émotionnel), sachant mieux reconnaitre leurs besoins, ce qui influencerait en retour la qualité de la relation entre le parent et l'enfant. Rhodes et ses collaborateurs (2011) suggèrent d'ailleurs que la qualité de la relation entre le parent et l'enfant aurait un effet positif sur le développement d'AR de leur enfant.

1.2.3.2. La qualité des interactions parent-enfant

Outre les liens entre l'indice socioéconomique de la famille, le niveau de scolarité de la mère et le niveau développement des habiletés d'AR de l'enfant, des chercheurs soutiennent que c’est la qualité des interactions au sein de cet environnement qui pourrait agir à titre de tampon en diminuant les effets liés à la pauvreté sur l'enfant (Biglan, Flay, Embry, et Sandler, 2012). Plusieurs auteurs (p.ex. Cassidy, 1994; Kochanska et al., 2009; Pallini et al, 2018) ont argumenté qu’un attachement sécure entre l’enfant et au moins une des figures importantes (p.ex. mère, père) jette les bases pour le développement de nombreuses habiletés essentielles tout au long de la vie, telle que l’AR. À titre d’exemple, la thèse de

8 La présente étude considère les familles à risque (versus les familles à faible risque; Cadima et al. 2016) tel, des familles ayant de plus

Pearson (2013) montre que l’enfant d’âge préscolaire qui montre un attachement sécure avec son parent présente un niveau d’habiletés liées à la composante émotionnelle plus élevé que celui présentant un autre type d’attachement. Dans cette étude, plusieurs habiletés liées à l’AR émotionnelle (p.ex. nommer ses émotions) ont été mesurées par des entrevues dirigées menées auprès des parents (Pearson, 2013).

Parallèlement, Caiozzo et ses collaborateurs (2018) ont montré qu’une plus grande sensibilité de la part des parents, caractérisée par la reconnaissance des émotions et le réconfort, était liée aux habiletés émotionnelles de l’enfant. Fox et Calkins (2003), quant à eux, rapportent que les pratiques parentales chaleureuses, par opposition aux pratiques de contrôle, favoriseraient la motivation et l’autonomie nécessaire au déploiement des habiletés comportementales. Pour leur part, Bernier, Carlson et Whipple (2010) ont démontré que le support parental à l’autonomie s’avère le plus fort prédicteur des habiletés de régulation cognitive chez l’enfant de deux ans, suggérant ainsi que la qualité de la relation parent-enfant pourrait s’avérer un prédicteur des habiletés autorégulationnelles.

Alors que des liens entre différentes composantes de l’AR (p.ex. cognitive) et la qualité des interactions parent-enfant semblent établis, des chercheurs se questionnent à savoir si la qualité des interactions enseignante-enfants pourrait également exercer une influence sur l’AR de l’enfant (Slot, Mulder, et Leseman, 2015). La majorité des enfants entre quatre et six ans fréquente un contexte éducatif (p.ex. maternelle cinq ans) qui les amènent à mettre en place un lot d'habiletés liées à l'AR de par la nature du milieu (p.ex. règles de vie, routines, etc.) (Mcclelland et Tominey, 2015). Considérant que les habiletés d'AR sont alors en plein développement, et reconnaissant l'importance de la corégulation9 dans le

processus d'internalisation des habiletés autorégulées, il semble essentiel d'examiner les liens entre l'AR de l'enfant et la qualité des interactions en classe (Broekhuizen, Slot, van Aken, et Dubas, 2017; Kopp, 1982).

9Le concept de corégulation, un processus interactionnel régulateur au sein duquel l’adulte use d’interventions chaleureuses et sensibles

auprès de l’enfant, utilise des stratégies positives de gestions des comportements et crée un climat propice au déploiement de l’AR (Rosanbalm et Murray, 2018a) sera définie plus en profondeur à la section 2.3. du chapitre 2. La corégulation permet à l'adulte de soutenir l'enfant, sans le contraindre à adopter certains comportements, de manière à l’amener progressivement à mettre en place, par

1.2.3.2. La qualité des interactions en classe

La qualité des interactions en classe réfère à la chaleur et la sensibilité de l’enseignante à l'égard des enfants, sa capacité à organiser un environnement physique et social répondant à leurs besoins selon leur niveau de développement, ainsi que sa manière de soutenir leurs apprentissages (Duval, 2015; Pianta, La Paro, et Hamre, 2008). Depuis sa création, plusieurs études internationales ont été menées à l'aide du Classroom Assessment Scoring System [CLASS] (Mashburn et al., 2008; Sabol, Hong, Pianta, et Burchinal, 2013; Slot, 2018), qui constitue un outil valide permettant de mesurer la qualité des interactions en classe (p.ex. Hamre et al., 2013). Sous sa forme théorique, le CLASS est composé de dix dimensions sous-divisées en trois domaines : le soutien émotionnel, l’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage.

Downer, Sabol et Hamre (2010) suggèrent que des interactions de qualité entre l’enfant et l’enseignante, représentées par les trois domaines du CLASS, pourraient jouer un rôle crucial dans le développement de l’AR. La qualité des interactions en classe permettrait de soutenir le sentiment d’autonomie et de responsabilité de l'enfant, ce qui pourrait favoriser sa motivation intrinsèque à se réguler. Un enfant qui profite d'une relation de qualité avec son enseignante se sentirait plus confortable et en sécurité dans l'environnement, l'amènant à être plus curieux, à prendre des risques, à explorer, et à être confiant, ce qui favoriserait ses apprentissages et son développement (Downer et al., 2010).

En effet, les enseignantes qui sont sensibles aux besoins socioémotionnels de l’enfant et qui créent un climat de classe positif contribueraient au sentiment de sécurité de l’enfant dans la classe, ce qui lui permettrait d'établir une relation positive avec son enseignante et ses pairs (Rimm-Kaufman, Curby, Grimm, Nathanson, et Brock, 2009). Ce sentiment de sécurité l'amènerait à se sentir à l'aise dans le milieu éducatif, de manière à susciter l’exploration et la découverte (Duval, 2013), favorisant ainsi son développement cognitif (p.ex. la composante cognitive de l’AR) (Bodrova et Leong, 2008; Rimm-Kaufman et al., 2009). Par exemple, le fait de participer à des activités privilégiant l’apprentissage actif, c'est-à-dire qui placent l’enfant comme premier agent de son développement, lui permettrait d'être stimulé sur le plan cognitif (p.ex. catégoriser, se questionner, réfléchir, mémoriser), ce qui favoriserait ses capacités d’attention, de concentration et d’inhibition, toutes des habiletés liées à la composante cognitive de l’AR (Downer et al., 2010).

Bien que ces études démontrent que des liens sont établis entre les dimensions rattachées au CLASS (p.ex. climat positif) et certaines habiletés liées à l'AR (p.ex. inhibition), des chercheurs (p.ex. Gest, Madill, Zadzora, Miller, et Rodkin, 2014) estiment qu’en conservant la forme théorique initiale du CLASS pour mener des analyses statistiques, l’établissement de liens empiriques entre la qualité des interactions observées et les habiletés liées au développement de l’enfant est difficilement réalisable (p.ex. l’AR). Plus précisément, l'établissement de liens précis entre les variables semble difficile à mener en raison de la présence de multicolinéarité entre les dimensions qui composent l'outil CLASS (Williford et al., 2017). Pour pallier cette problématique, certains chercheurs proposent d’utiliser le modèle Bifactoriel de la qualité des interactions (p.ex. Hamre et al.,2014). Plus précisément, cette stratégie analytique a d'abord été suggérée par Hamre et ses collaborateurs (2014), puis reprise par d’autres chercheurs (p.ex. Williford et al., 2017). Ce modèle distribue les dix dimensions du CLASS en deux domaines : 1) la gestion positive et les routines de classe, 2) les facilitations cognitives. Ce modèle permet aux dimensions de saturer sans problème de multicolinéarité apparent (Williford et al., 2017).

D’ailleurs, le lien entre les habiletés d’AR et la qualité des interactions en classe reste difficile à établir (Broekhuizen, Slot, van Aken, et Dubas, 2017). À titre d’exemples, certaines études n’indiquent aucun lien entre certaines composantes de l’AR mesurées en laboratoire et la qualité des interactions enseignante-enfants (p.ex. Slot et al., 2015), tandis que d’autres indiquent des liens avec une taille d’effet variant de faible à modérée entre ces variables (Leyva et al., 2015; Williford, Whittaker, Vitiello, et Downer, 2013). D’autres travaux vont même jusqu’à identifier des associations négatives entre certains processus liées à l'AR mesurées par des tâches (p.ex. FE) et la qualité des interactions observée en classe à l’aide du CLASS (Bihler et al., 2018; Duval, 2015; Hamre, Hatfield, Pianta, et Jamil, 2014a). Considérant le problème de multicolinéarité du CLASS et la nécessité d'éclaircir le lien entre l’AR et la qualité des interactions en classe (Broekhuizen et al., 2017) les analyses de la présente étude seront réalisées selon le modèle Bifactoriel. Plus encore, bien que certaines études aient mesuré le lien entre certains processus isolés de l’AR mesurés par des tâches standardisées et la qualité des interactions en classe (p.ex. Broekhuizen et al., 2017), aucune n'a considéré, du moins à notre connaissance, le lien entre la qualité des interactions en classe et l’AR dans son entier (émotionnelle, comportementale et cognitive). Obtenir des informations plus précises (c.-à-d. à l’aide de l’observation) sur les habiletés d’AR déployées par l’enfant en contexte de classe et la qualité des interactions à l'éducation

préscolaire permettrait, entre autres choses, d’éclaircir les implications pratiques, en plus de fournir de précieuses informations sur le plan de la recherche.