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Outil permettant de mesurer les habiletés liées à l’autorégulation

Chapitre 3 : Méthodologie

3.3. Instruments de mesure

3.3.3. Outil permettant de mesurer les habiletés liées à l’autorégulation

Une recension systématique des écrits a permis de constater un manque en ce qui concerne les mesures de l’AR en contexte naturel. Du point de vue de la pratique, il semble essentiel de pouvoir émettre des constats valides et généralisables sur les habiletés déployées intentionnellement par l’enfant en contexte naturel de classe, de manière à les reconnaitre et les soutenir. Ainsi, une mesure observationnelle utilisée en contexte d'éducation préscolaire (p.ex. en situation de jeu en classe) gagnerait à être utilisée (Nieto et al., 2016). D’un point de vue méthodologique, trois raisons permettent de justifier l'utilisation de l’observation systématique comme mesure : 1) l’échantillon comprend des participants qui ne peuvent pas communiquer facilement leurs pensées (p.ex. l’enfant), 2) l’étude nécessite l’observation d'un processus (p.ex. le déploiement de l’AR en contexte naturel de classe) et 3) elle permet une meilleure validité écologique, car les comportements spontanés sont plus naturels que les comportements provoqués (Bakeman et Quera, 2012).

Conséquemment, une mesure observationnelle en contexte d’éducation préscolaire a été créée selon les étapes itératives de conception d’un outil d’observation de Bakeman et Quera (2012; voir Figure 3.1.). Ces étapes ont d’ailleurs été confirmées par d’autres auteurs (p.ex. Heyman, Lorber, Eddy, et West, 2014).

Figure 3.1. Étapes itératives de conception d’un outil d’observation de Bakeman et Quera (2011, 2012).

3.3.3.1. Conception de l’outil

Dans la conception d'une mesure observationnelle, la première étape à mettre en place consiste en l'engagement théorique du chercheur. En ce sens, le chercheur doit faire des choix théoriques pour créer ses codes15. Pour se faire, ce dernier peut procéder de trois

manières : 1) soit par l’adaptation d’un outil déjà existant, 2) soit de façon qualitative à la suite d’observations ou 3) soit en considérant uniquement la théorie associée aux concepts mesurés.

La présente étude a utilisé deux méthodes. D'abord, de manière à observer les composantes émotionnelle et cognitive de l'AR, la grille qui a été créée s’inspire

15Alors que dans l’analyse le terme variable est employé, le terme code est employé ici pour référer aux marqueurs comportementaux

qui seront préétablis dans la conception et utilisés lors de la cotation.

Étape 1

• L'engagement théorique du chercheur • Adpatation d'outils ou appuis qualitatifs • Élaboration de l'arbre de codes

• Mutuellement esclusif et exhaustif • Choix de granularité

• L'aspect concret

Étape 2 • La rédaction du manuel de cotation

Étape 3

• La collecte de données et la cotation

Étape 4

principalement de deux outils d’observation déjà existants (voir Whitebread, Colman, Jameson, Lander, 2009; Slot, 2017). Alors que les indicateurs relevant de la composante émotionnelle ont été adaptés de l’outil quantitatif de Slot (2017) le Self-Regulation Scale (mesurant la composante émotionnelle et la composante cognitive), les indicateurs relevant de la composante cognitive ont été adaptés de l’outil qualitatif de Whitebread et ses collaborateurs (2009) titré Cambridgeshire Independent Learning. Une recension des écrits théoriques et empiriques a permis de rendre plus exhaustifs les indicateurs se trouvant dans la composante émotionnelle et cognitive (voir Montminy et Duval, 2019, voir Annexe C). Par ailleurs, les indicateurs de la composante comportementale ont quant à eux uniquement été dégagés suite à la recension des écrits; ils prennent assise sur les processus relevés dans les mesures associées aux habiletés d’AR comportementale en laboratoire (p.ex. l’autocontrôle; Murray, Rosanbalm, Christopoulos, et Hamoudi, 2015).

L’engagement théorique du chercheur doit avant tout être guidé par les questions de recherche ainsi que le souci d’une analyse facile des données (Bakeman et Quera, 2012). Pour se faire, plusieurs caractéristiques importantes doivent être considérées, lesquelles sont présentées ici-bas :

1- La structure de codes doit être mutuellement exclusive et exhaustive. La structure mutuellement exclusive assure que chaque habileté observable liée à l’AR ne peut être associée qu’à un seul code, alors que la structure exhaustive nécessite que les codes couvrent l’ensemble de la théorie qui permettra de répondre aux questions de recherche. Dans le cas de la présente étude, cela signifie qu’un comportement observé chez l’enfant, par exemple, vivre une émotion en synchronie avec la situation (habiletés liées à la composante émotionnelle) ne pourra être associé à aucun autre code que celui de la gestion et de la modulation des émotions (processus rattaché à la composante émotionnelle). Cela signifie également que les codes ont été constitués pour couvrir l’AR dans son ensemble, tant au niveau émotionnel, que comportemental et cognitif.

2- L’engagement théorique doit également amener le chercheur à faire un choix de granularité (traduction libre de granularity; Bakeman et Quera, 2012). La granularité réfère à la précision des codes pouvant aller de micro à macro et doit, avant tout, s’articuler aux questions de recherche. Un code micro pourrait être, par exemple, une observation des expressions faciales (p.ex. un sourire). En opposition, un code

macro pourrait référer à un comportement global manifesté par l'enfant (p.ex. être agité). Ces précisions sont importantes à considérer dans la conception des codes. En effet, alors que les codes micro peuvent être regroupés au moment de l’analyse, les codes macro, eux, ne peuvent pas être remaniés (Bakeman et Quera, 2012). Dans cette présente étude, étant donné l’intérêt pour les habiletés individuelles de l’enfant, l’arbre de codes a été conçu à plusieurs niveaux. Au niveau macro se rangent la composante et les indicateurs (les processus) liés à l'AR, tandis qu’on retrouve au niveau micro, les sous-indicateurs, voire les habiletés observables de l’enfant.

3- La dimension abordant l’aspect concret du code (traduction libre de concretness; Bakeman et Quera, 2012). Le chercheur peut alors déterminer à quel point les codes seront concrets en considérant le continuum codes physiques versus codes sociaux (Bakeman et Quera, 2012). Des codes plus physiques reflètent des attributs facilement visibles, alors que des codes plus sociaux reposent sur des abstractions et nécessitent une inférence. Un exemple de code physique pourrait être un enfant qui pleure, alors qu'un exemple de code social pourrait être un enfant engagé dans un jeu coopératif. Sur la base du processus partagé du développement de l’AR, le choix de développer une échelle basée sur des codes sociaux pour arriver à déterminer un niveau d’habiletés d’AR a été fait (c’est-à-dire une échelle en sept points). En effet, les interactions sont considérées comme essentielles au développement cognitif de l’enfant (Axelsson, Andersson, et Gulz, 2016). Plus précisément, le présent outil considère dans la cotation le processus partagé entre l’adulte et l’enfant dans le développement de l’AR dans son échelle allant de la régulation externe à la corégulation et à l’autorégulation selon le niveau des habiletés de l’enfant (voir section 3.3.4). Alors que des critiques peuvent attribuer les codes sociaux à une plus grande subjectivité, celle-ci peut être palliée par l’atteinte d’un accord interjuge.

L’arborescence des codes élaborée pour la présente étude (voir Tableau 3.3.) devient alors l’outil conceptuel mettant en relief ce qui sera observé chez l’enfant (Bakeman et Quera, 2012; Heyman et al., 2014).

Tableau 3.3.

Composantes, indicateurs, sous-indicateurs, habiletés observables et exemples de manifestation tirés de l’Échelle d’observation de l’autorégulation en contexte de jeu symbolique (Montminy et Duval, 2019; voir Annexe C)

Composante (Processus) Indicateurs

Sous- indicateurs (Processus) Habiletés Exemple de manifestations en contexte de jeu symbolique* Émotionnelle La reconnaissance des émotions La reconnaissance de ses émotions Connaitre ses émotions Nommer ses émotions Zachary se joint au jeu. On peut alors entendre Charlie exprimer sa joie : « Je suis contente que tu viennes jouer dans mon restaurant ! » (Émotion positive). La reconnaissance des émotions des autres Connaitre les émotions Nommer les émotions

En discutant des rôles avec ses pairs, Zoé voit bien qu’il y a quelque chose qui cloche : « Je pense que Zachary est triste, il voulait être le cuisinier ». La régulation des émotions La gestion et la modulation des émotions Vivre une émotion en synchronie avec l’évènement Effectuer un retour au calme

Léo est triste, car il ne personnifie pas le personnage souhaité dans le jeu. Il voulait être le pirate, mais il détient finalement le rôle d’un matelot. Il fait la moue en jouant (expression faciale). La résolution de conflits Initier des comportements qui témoignent d’une volonté à mettre fin au conflit

Léo, dans le rôle du pirate, aimerait porter le bandeau rouge sur ses cheveux, mais Rosalie le porte autour de son cou. Il n’y a pas d’autres foulards dans le bac à déguisement. Les enfants décident de le porter chacun leur tour pendant quelques minutes. Une entente est alors trouvée.

Comportementale L’autocontrôle l’environnement La réponse à

Supprimer des réponses impulsives Reporter ses engagements Suivant la thématique de l’Halloween, les enfants jouent à être une famille de sorciers. On peut alors entendre Évelyne suivre le thème et dire : « Je

Agir en synchronie avec le contexte Faire preuve de patience suis la cuisinière ». Un peu plus tard, on peut percevoir des gestes qui répondent également aux exigences de la situation. Évelyne prépare la potion du soir pour toute la famille. La conscience de son corps dans l’espace Avoir conscience de son corps dans l’espace Respecter l’espace de ses pairs.

Alexis ne semble pas conscient de la place qu’il occupe dans l’espace. Tout près d’Évelyne, il

manifeste clairement qu’il veut aussi participer à la potion, sans attendre la réponse de son amie. À plusieurs reprises, il lui donne des coups de coude en « brassant » la potion magique. Le respect des attentes La réponse aux demandes de l’adulte Prendre en considération les consignes de l’enseignante et les règles de vie de la classe. Prendre un ton de voix agréable.

Bien que Chen s’amuse grandement, elle sait qu’elle ne peut crier dans la classe. De manière volontaire, elle garde son ton de voix à un niveau qui respecte les règles de vie.

Le respect des normes sociales Respecter les autres et le matériel. Ludovick est très emballé par toutes les idées qui lui viennent en tête, et il a hâte de les énoncer. Malgré que Charlotte soit en train de lui parler, ce dernier lui coupe la parole sans attendre son tour. Cognitive La connaissance métacognitive La compréhension de soi Être conscient de ses pensées, ses actions et ses habiletés. Évaluer ses pensées, ses Maria s’amuse à préparer des tartes aux pommes dans le coin « automne ». En faisant semblant d’effectuer une série d’actions, on peut l’entendre dire : « Je vais rouler ma pâte,

actions et ses

habiletés. puis mettre les pommes ».

La compréhension des autres Être conscient des pensées, des actions et des habiletés de ses pairs. Évaluer les pensées, les actions et les habiletés de ses pairs.

Hugo se joint au jeu pour cuisiner. Il tente de reproduire la recette créée par son amie Maria. Cette dernière lui dit : « Wow, tu es capable de faire la recette complète ! Ta tarte a l’air super bonne. »

La compréhension de l’activité Verbaliser ou démontrer une compréhension de l’activité ou des stratégies cognitives utilisées dans le jeu. Toujours au coin « automne », Hugo répond à Maria : « Je peux faire la recette, parce que je sais comment faire des tartes, j’en fais souvent avec ma grand-mère ». Régulation métacognitive L’inhibition cognitive Persister. Être impliqué dans le jeu. Capacité à se concentrer.

Bien que plusieurs actions se passent dans la classe pendant les jeux libres, Enzo reste engagé activement dans son jeu, c’est-à- dire qu’il poursuit le scénario du camping avec ses pairs malgré les bruits ambiants et les distractions, et ce, pour toute la période de jeu. La mémoire de travail Réutiliser des éléments de la vraie vie en contexte de jeu. Garder une information sur le jeu en mémoire pour la réinvestir dans le jeu ultérieurement. La semaine passée, l’enseignante de Coralie a montré aux enfants ce qu’ils pouvaient faire autour d’un feu de camp. Pendant le jeu symbolique sous le thème du camping, on observe Coralie raconter une histoire autour du feu. Puisant dans sa mémoire, la fillette se rappelle qu’elle peut raconter une histoire autour du feu et l’utilise dans un autre contexte (le jeu).

La flexibilité cognitive Suivre les idées de ses pairs. S’adapter aux imprévus.

Antoine dit qu’il croit avoir entendu un bruit dans la forêt. Bien que Coralie n’ait pas terminé son histoire, cette dernière fait preuve de souplesse et s’ajuste à la nouvelle situation proposée par

Antoine : « Moi aussi, allons voir tous ensemble ». La planification Planifier le jeu. Négocier les rôles et le scénario avec ses pairs. Effectuer une série d’actions complexe.

Antoine fait semblant d’être en camping. On peut l’entendre dire : « Je dois d’abord monter la tente si je veux y passer la nuit ».

Notes. * Exemples tirés du document inédit de recherche Échelle d’observation de

l’autorégulation en contexte de jeu symbolique (Montminy et Duval, 2019). Pour de plus amples informations sur l’outil, voir l’Annexe C de ce présent mémoire.

La deuxième étape rattachée à la conception d’un outil de mesure observationnelle consiste en la rédaction d’un manuel de cotation. Cet outil de référence s’avère essentiel puisqu’il sert d’ancrage en cours de cotation (p.ex. permet d'assurer la fidélité intrajuge et la fidélité des scores d’une cotation à l’autre), mais aussi lorsque vient le temps de former de nouveaux observateurs (p.ex. fidélité interjuge, d’un observateur à l’autre; Bakeman et Quera, 2012).

La troisième et dernière étape de la conception d'un outil de mesure réfère à la collecte de données et la cotation. Celle-ci consiste à l’atteinte d’un accord entre les observateurs. Bakeman et Quera (2012) considèrent l’accord interjuge telle une étape essentielle à la conception d’un outil d’observation, sans laquelle ce dernier reste dans le récit individuel de l’auteur. Trois raisons principales font de l'accord interjuge une étape clé du processus de conception : 1) elle permet la confirmation de l’engagement théorique du chercheur (preuve que l’outil fonctionne), 2) elle permet d’assurer la calibration de l’instrument (p.ex. réajustement, modifications) et 3) elle permet à la communauté d’accéder à des données valides et fidèles. Plus précisément, cette étape permet de confirmer l’outil et le protocole en plus d’indiquer qu’il est possible d’avoir confiance en l’analyse et aux implications (Bakeman et Quera, 2012).

Dans cette étude, une analyse de kappa pondéré (Heyman et al., 2014) a permis de mesurer l’accord entre deux observateurs (les auteures de l’outil). Un kappa pondéré est privilégié à un simple kappa quand l’écart entre les scores est à prendre en compte (p.ex. dans une échelle) (Heyman et al., 2014). Un accord interjuge conservateur (p >0.01) a été réalisé sur l’entièreté de l’échantillon (n=32) afin d’assurer une meilleure puissance statistique (Bujang et Baharum, 2017). L’accord atteint s’est avéré substantiel de 0,76 selon les critères d’Altman (1991). Ce résultat indique le degré d’accord interjuge entre deux observateurs par rapport au hasard, lequel confirme la possibilité de l’application du schéma de code mutuellement exclusif et exhaustif (Bakeman et Quera, 2011).

3.3.3.2. Le choix du jeu symbolique comme contexte d’observation signifiant

À l’éducation préscolaire, l’enseignante organise et diversifie quotidiennement les contextes d’apprentissages (p.ex. les ateliers, le rassemblement, le jeu libre, etc.) dans lesquelles les enfants s’investissent (Early et al., 2010). Le choix du jeu symbolique comme contexte d’observation s'inscrit notamment dans une perspective historico-culturelle (Vygotski, 1967) selon laquelle, le jeu symbolique s’avèrerait être le contexte par excellence pour l’émergence et le développement des processus cognitifs et sociaux chez l’enfant d’âge préscolaire (Elkonin, 1999, 2005). Ainsi, le contexte du jeu symbolique a été choisi et intégré au protocole de la mesure de l’AR conçue pour la présente étude (Montminy et Duval, 2019). En raison de l’importance du scénario, des rôles et des règles, qui sont au cœur même de la définition du jeu symbolique, Vygotski et ses collègues (Elkonin, 2005; Vygotsky, 1997) ont argumenté que cette situation de classe représente un contexte rempli de contraintes mises en place par l’enfant lui-même (Bodrova et Leong, 1998). C’est en se soumettant à ces contraintes que l’enfant est amené à mettre en place ses habiletés liées à l’AR (Bodrova et Leong, 2008, 1998). En ce sens, la planification d’un scénario de jeu amène l’enfant à respecter les rôles et les règles qu’il a lui-même déterminés (composante comportementale), en plus d'orienter ses actions en fonction du déroulement du jeu préétabli (composante cognitive), le tout en harmonie au travers de ses interactions avec les pairs (composante émotionnelle) (Bodrova, Germeroth, et Leong, 2013). À titre d’exemple, un enfant qui prétend pleurer lorsqu’il joue le patient qui reçoit un vaccin, puis qui arrête ce comportement dans la poursuite du jeu, démontre des habiletés émotionnelles qui pourront être internalisées puis déployées dans la vie réelle.

Les tenants vygotskiens considèrent que la possibilité de modifier délibérément les actions associées à un objet pour se conformer à une nouvelle convention imaginaire constitue un préalable important à la réussite éducative de l’enfant (Bodrova et Leong, 1998). Conséquemment, le jeu symbolique devient une opportunité riche d’observation en contexte naturel à l’éducation préscolaire (Landry, 2014), qui permet à l'enfant de mettre à profit plusieurs habiletés liées à l’AR (Slot, 2017). Par les interactions qui se produisent avec les pairs (et parfois avec l'adulte) en contexte de jeu symbolique, l’enfant apprend donc à contrôler ses impulsions, à résoudre des désaccords, à réfléchir, à faire des choix (p.ex. scénario, personnages, etc.) ainsi qu’à participer en tant que membre d’un groupe.