• Aucun résultat trouvé

Qualification et Organisation Spatiale Dynamiques de l'habiter d'Annie

Présentation de cas : quelques constructions de l’habiter

Chorème 2. Qualification et Organisation Spatiale Dynamiques de l'habiter d'Annie

Nous avons voulu représenter dans le chorème de l’habiter d’Annie toute la dynamique des polarités entre des lieux très fortement qualifiés et des lieux dévalorisés. La Rue Marceau est une polarité négative qui ne constitue pas un territoire dans l’enfance d’Annie par la difficulté à trouver une place dans son foyer. Le mouvement centrifuge qui est indiqué montre sa volonté à construire un territoire en dehors de cette polarité négative, c'est-à-dire dans les lieux de vacances ou de la scolarité, qui sont les seuls à être qualifiés positivement. Ce pôle de la rue Marceau est associé dans une même période avec la polarité positive de la région Nantaise comme un négatif de cette spatialité tourangelle. La polarité de Nantes constitue à l’inverse un territoire où elle pratique de nombreux lieux, c’est un territoire familial possible qu’elle ne peut créer à Tours. L’effet de mise à distance est subi par Annie, qui est « envoyée » chez sa grand-mère et qui décrit la difficulté d’être séparée de son père.

La seconde polarité négative est la place des Sables où Annie habite pendant 14 ans, mais où elle ne donnera que très peu de lieux fréquentés pouvant faire penser qu’elle y a créé un territoire. Cette polarité est négative, du fait de son histoire conjugale et familiale et, encore une fois, elle décrit un mouvement vers les lieux extérieurs, lieux de vacances fortement valorisés. La rupture sociale d’avec la Rue Marceau tient au fait qu’elle n’évoque plus, à partir de ce moment les personnages qui étaient associés à la période de l’enfance et de l’adolescence.

Enfin, le passage à la Rue Colbert, qu’elle habite depuis 22 ans constitue une rupture, d’avec son mari, mais également une rupture dans ses habitudes spatiales. En effet, l’habiter actuel d’Annie est marqué par un territoire qui fait sens pour elle, qu’elle valorise, dans lequel elle développe de nombreuses pratiques. De plus, les lieux périphériques ne sont plus une échappatoire, ils font partie de son habiter. Cependant, la proximité avec son lieu de naissance, qu’elle avoue elle-même, dénote d’un processus d’association-aliénation avec son quartier d’origine, auquel elle est très attachée.

Ainsi les dynamiques de l’habiter d’Annie mettent en lumière des processus de rupture au moment de quitter les polarités négatives, qui sont comme « oubliées », et auxquelles elle a eu du mal à repenser (cf. la confusion sur la période de l’enfance, les discours évasifs sur la période de son mariage). A l’inverse le processus d’héritage, dans les pratiques et dans la valorisation des lieux habités, pourrait être identifié entre les deux polarités positives, qui forment des territoires ; mais plus encore, Annie conserve en héritage une bi-polarité (entre un point négatif et un point positif) qui agit avec une mise à distance spatiale dans son enfance, et temporelle aujourd’hui. L’habiter d’Annie est donc bel et bien un rapport de forces constant entre une volonté d’indépendance, de construction d’une nouvelle spatialité, et un attachement-dépendance à des lieux du passé qui sont associés à des souvenirs négatifs.

Gunhild (G1) : 66 ans, habitante du quartier des 2 Lions

Synopsis du récit de vie spatialisé

Les deux entretiens qui ont été réalisés auprès de Gunhild sont sans doute ceux qui auront été les plus emblématiques de l’investigation sur les « espaces habités, espaces anticipés ». En effet, première personne enquêtée elle a montré toutes les potentialités de la méthode d’enquête, cartographie interactive et épreuve de qualification, en se laissant prendre au jeu et en livrant beaucoup d’aspects très personnels de son parcours spatial qui ont enrichi notre réflexion tant sur le plan méthodologique que théorique.

Gunhild est une Allemande de 66 ans, elle vit seule, en France depuis 1994, année de son divorce et de son départ d’Allemagne. Après une première localisation tourangelle dans le quartier Febvotte, elle habite depuis octobre 2003 dans le quartier, en cours de construction, des 2 Lions à Tours. Elle naît en 1940 à Braunschweig (Brunswick) dans une ville de la Basse-Saxe, au Nord de l’Allemagne, et elle nous confie, assez rapidement mais non sans mauvaise conscience, que son père professeur de Mathématiques a été « nazi convaincu » durant la seconde guerre mondiale. Cette dimension de l’histoire familiale de Gunhild est évidemment problématique, puisqu’elle « héritera » de sa relation avec son père, qui s’est pourtant battu contre les français un sentiment francophile exacerbé, qui l’amènera plus tard à émigrer vers la France. L’enfance de Gunhild est évidemment marquée par les évènements tragiques de la seconde guerre mondiale, et à peine un an après sa naissance Gunhild doit suivre son père, et sa mère, dans une ville polonaise, Lodz, « pour occuper le pays des polonais ». A la fin de la guerre, l’ensemble de la famille doit fuir la Pologne pour rentrer en Allemagne et s’installer à Helmstedt (à 30 km de Braunschweig), chez les grands-parents de Gunhild. Son père y sera arrêté par les alliés, avant de retrouver sa famille une année plus tard. Gunhild passera alors son enfance et son adolescence dans cette ville de Helmstedt, partageant le récit de ses lieux de vie entre les cours de violon, l’école ou le souvenir des soldats anglais et américains. Gunhild héritera à l’adolescence de la francophilie de son père « une personne cultivée ne peut pas exister sans apprendre le français », le goût de la langue française ce qui la poussera à entamer des études romanistiques à Göttingen, à 300

km de Helmstedt. Elle réalisera également, incitée par ses parents, deux séjours en tant que jeune fille au pair à Paris. Séjours durant lesquels elle s’imprègnera de la grande culture française, opéra, musée etc. Gunhild poursuit ses études de français à Göttingen, puis à Fribourg et elle effectuera également un séjour universitaire à Caen. C’est durant ses études à Fribourg que Gunhild rencontre son futur époux, lui aussi deviendra professeur (d’Histoire et d’Allemand). Ils habitent et enseignent dans le même lycée lorsque Gunhild a sa première fille. Après leurs deux années de stages et leur diplôme validé, Gunhild et son mari déménagent pour s’installer à Wolfsburg (en Basse Saxe) à 80 km de Hanovre. Gunhild « comme une jeune femme très obéissante, très conventionnelle, abandonne son

travail et devient maîtresse de maison ». Ils ont alors une deuxième enfant, mais Gunhild s’ennuie

visiblement et recommence à donner des cours du soir. Gunhild habitera durant 26 années à Wolfsburg (Ville créée par Hitler où seront installées les usines Volkswagen), « une ville formidable », « moderne », « où ils ont fait beaucoup de choses pour la culture », « on étaient gâtés pour les pistes

cyclables, pour les transports en commun ». Durant cette grande période, Gunhild entretient ses

attaches envers la France, elle accompagnera notamment plusieurs échanges dans le cadre d’un jumelage franco-allemand avec la ville de Marignane dans le sud de la France. Cette passion pour la France n’est visiblement pas partagée par son mari qui se heurte à la barrière de la langue. Ce qui va déclencher le départ définitif de Gunhild pour la France c’est l’infidélité de son mari, « après 30 ans

de mariage », « j’ai dit alors : ça suffit, toi tu veux rajeunir avec une femme jeune, tu veux me mettre sur une voie de garage, mais pas moi ! Je suis partie à 54 ans comme une jeune étudiante, j’ai demandé la moitié de la maison, le prix des meubles, et la moitié du salaire de mon mari. Il a accepté. J’ai acheté des meubles en kit, et ma copine et ma voisine m’ont aidé à déménager ». Bien que très

attirée par les pays nordiques (Suède), Gunhild préfère venir s’installer en France. « Alors avant de

partir à Tours, j’ai pris une carte de France… j'étais toute seule, mon mari était déjà parti avec l'autre et mes filles étaient parties aussi. Le Nord, la Normandie, c’est joli, mais pas en hiver... La Bretagne non plus. Le sud-ouest, c'est trop loin de ma famille. Le sud, c'est trop chaud. L'Est, les gens ne sont pas gentils, autour de Lyon. Alsace, trop proche de l'Allemagne, Lorraine non plus, Belgique non plus. Paris, jamais ». Et après avoir éliminé la plupart des régions françaises, il reste le Centre, « alors j’en étais là, Tours ou Orléans. Où est-ce que j’allais aller ? J’ai décidé en 5 minutes ».

Gunhild se souvient alors être déjà venu à Tours, visiter les châteaux, avoir lu un livre en allemand sur le « charme discret de la bourgeoisie tourangelle », ce qui la décide finalement à venir s’installer seule à Tours, Gunhild a alors 54 ans. Commence un véritable périple, en camionnette, pour traverser l’Allemagne et la France, et puis pour trouver où se loger à Tours. La vie de Gunhild à Tours sera spatialement composée de deux phases. La première correspond au logement qu’elle occupe au quartier Febvotte de 1994 à 2003. Cette première phase ne semble pas très heureuse, au moins sur le plan de la localisation et également pour des raisons de santé et, finalement, bien que cette période soit longue (près de 10 ans), elle ne fait pas l’objet de nombreux commentaires, alors que la phase suivante, plus courte, où elle déménage pour investir le quartier des 2 Lions, est beaucoup plus développée. Le premier point est l’enthousiasme que Gunhild manifeste lorsqu’un agent immobilier lui présente le projet des 2 Lions et elle se décide à acheter sur plan. Cet enthousiasme contrebalance la lassitude de son précédent logement, considéré comme trop petit (et cher) et surtout sans ouverture visuelle sur un espace extérieur jugé étriqué : « J'avais tellement souffert dans le petit appartement à

Febvotte, il n'y avait pas de jardin, que des murs, une cour en béton, pas d'arbres, pas d'oiseaux, rien du tout... En face, il y avait les murs arrières d'autres petites maisons ».

Gunhild semble retrouver dans le quartier des 2 Lions un aspect moderne, de la ville allemande de Wolfsburg, au moins pour ce qui est des formes architecturales, et le côté environnemental. La nature est très importante dans le choix de cette localisation. Gunhild recherche la proximité du Cher où elle se baladait souvent sur les rives quand elle habitait quartier Febvotte, en observant la dernière « niche

écologique » avant que le Cher ne soit endigué et que la plaine des 2 Lions soit remblayée. Les

évocations du Cher sont alors très nombreuses, tant sur le plan paysager que sur le plan de la faune et de la flore. Quant aux autres activités de Gunhild sur l’agglomération tourangelle, celles-ci sont avant tout l’occasion de créer ou d’entretenir des relations sociales, à travers le syndic de copropriété, la chorale, les cours de langue. Le vélo est alors son moyen de déplacement privilégié pour se rendre depuis son domicile des 2 Lions à chacune de ces activités, tandis que la marche à pied est également un moyen de déplacement important. Gunhild continue de rentrer régulièrement en Allemagne, au moins deux fois par an, pour voir sa famille, sa mère et ses sœurs à Braunschweig. Une de ses filles habite elle aussi en France, dans le sud-est à Draguignan, Gunhild va également lui rendre quelques visites dans l’année. Mais globalement la spatialité de Gunhild est aujourd’hui beaucoup plus condensée sur l’environnement proche de son logement, ceci sans doute du fait de son âge, même si cela n’a pas toujours été ainsi. En effet, comme une sorte de « revanche » sur la vie « subit » avec son mari, le divorce prononcé et son emménagement en France réalisé, Gunhild en a profité pour voyager, seule la plupart du temps, une fois aux Etats-Unis, et sinon à travers l’Europe, en Espagne plus particulièrement.