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Qualification et Organisation Spatiale d'Aline

Présentation de cas : quelques constructions de l’habiter

Chorème 1. Qualification et Organisation Spatiale d'Aline

La vision schématique qui est proposée (Chorème 1), retrace les dynamiques spatiales, ainsi que leur médiation sociale, à l’échelle de la vie d’Aline. De cette vision synthétique l’on tire un enseignement principal quant à l’organisation, et la signification, des espaces pour Aline : ceux-ci sont finalement peu, voire quasiment pas, envisagés pour leurs composantes matérielles (aménités) mais essentiellement à travers la signification sociale, et familiale, qu’Aline leur porte (ceci de manière explicite ou non). Ainsi le lieu principal de l’enfance (la maison de Saint-Omer), premier lieu de séjour d’Aline, est essentiellement qualifiée au regard des souvenirs, sans doute idéalisés, d’une vie de maisonnée37. Dans la remémoration des souvenirs liés à cet espace Aline s’attache essentiellement à

37 Pour Yveline Rey (Rey Yveline (2006), « Maison, maisonnée et famille : trouver sa place », in Cahiers critiques de

thérapie familiale et de pratiques de réseaux, n°37-2, De Boeck Université, pp. 55-72), si la maison est l’enveloppe

matérielle – les murs, le sol, les cloisons, les portes et fenêtres et bien sûr le toit – la maisonnée, elle, comprend tous ceux qui vivent sous ce toit, y compris chien, chat et autres animaux domestiques, alors que la famille désigne le lien de parenté qui unit les personnes habitant dans ce même lieu.

décrire des situations de la vie quotidienne, alors riche en moments de complicité. L’énumération de ces moments émotionnellement chargés contribue à rendre manifeste l’attachement d’Aline à ce lieu. D’ailleurs, pour toutes ces raisons Aline le qualifiera de manière positive (+2), ce qui contrastera fortement avec ses autres lieux de résidence (en moyenne -2). Aline souligne également que la dimension temporelle s’efface, sans doute en partie du fait de son jeune âge, au profit de l’intensité des souvenirs que renferme cet espace. Ce n’est pas tant la durée du séjour et l’apprentissage spatial qui compte pour la qualification de cet espace (celle-ci est pourtant de 4 années mais Aline la juge courte), que le sens reconstruit à l’aune des tranches qui vont suivre dans son parcours de vie. L’événement familial déterminant dans la reconstruction-projection de sens sur cet espace est à n’en pas douter la séparation de ses parents. On comprend alors le processus d’identification projective à l’œuvre pour la qualification de cet espace : Aline attribue à cet espace les états affectifs et émotionnels qu’elle projette sur l’époque à laquelle il correspond, lui conférant par là-même son identité de maisonnée. Quant à l’ensemble des souvenirs fortement ancrés en ce lieu, premier bain de socialisation, ils dessinent sur le plan spatial une territorialité resserrée sur la maison et son environnement proche, là encore prenant appui sur la valence des relations familiales. Les espaces Audomarois connexes au lieu de résidence familiale sont donc très peu mentionnés. Quelques liens forment, cependant, de véritables territoires imaginaires pour la petite fille qu’est Aline à cette époque, le plus souvent horribles, effrayants, sales, morts. La qualification de ces quelques déplacements, lieux et liens périphériques attachés à l’espace de la maisonnée, vient accentuer l’idée d’une dialectique forte entre espaces du dedans et du dehors, ainsi que souligner le pouvoir d’identification des espaces aux individus qui les habitent. Les déplacements, les lieux, ainsi que les individus qui les caractérisent, illustrent les processus de structuration à l’œuvre, entre éloignement et rapprochement, identité et altérité, dans la construction de l’habiter d’Aline. A partir du moment où les parents d’Aline divorcent, l’ensemble de la spatialité de la jeune fille prend une nouvelle dimension largement dictée par cet événement familial, dont les effets sont encore particulièrement saillants aujourd’hui dans sa localisation tourangelle. Le divorce et ses multiples effets sont omniprésents dans le discours d’Aline, ce de manière plus ou moins explicite. Ils se manifestent essentiellement à travers le jeu de place qu’il induit. La thématique de la place est en effet très présente dans le discours d’Aline. Toujours recherchée, parfois diminuée, et depuis peu occupée, la place d’Aline s’inscrit dans une dynamique qui influe plus ou moins consciemment sur sa spatialité. Longtemps partagée entre ses deux parents, lorsqu’elle était adolescente, la territorialité d’Aline est également marquée par cette dissymétrie, entre un espace maternel où elle vit au quotidien, et un espace paternel associé aux périodes de vacances. La place qu’occupe Aline, au regard de ses deux parents divorcés, mais également vis-à-vis de son grand frère, ou dans les moments de sociabilités scolaires est alors systématiquement le fruit d’une intense négociation, mettant en jeu les dimensions de son identité et de son rapport aux autres. Aline ne fait pas explicitement le lien avec l’occupation spatiale qui résulte de cette tension, mais lorsque par la réactivation cartographique elle est confrontée à son parcours de vie spatial, elle note qu’en effet elle occupe aujourd’hui une position à mi-chemin entre ses deux parents, synonyme depuis son autonomisation vis-à-vis de la figure maternelle, de « bonne place ».

Annie (A2) : 57 ans, habitante de la rue Colbert à Tours

Synopsis du récit de vie spatialisé

Annie est une femme de 57 ans habitant la rue Colbert depuis 22 ans. Elle est originaire de Tours et a vécu une grande majorité de sa vie dans cette ville. Issue d’une famille de la bourgeoisie tourangelle, elle a eu un parcours atypique voire chaotique, notamment dû à une histoire familiale assez complexe. Elle a vécu ses deux entretiens sur le mode de la confession, instaurant une relation de très grande confiance avec l’enquêteur, et livrant des « secrets de famille » avec une certaine pudeur. Le parcours spatial d’Annie s’organise autour d’un noyau familial à Tours et à Nantes jusqu’à l’âge de 19 ans, un séjour à Poitiers pendant 2 ans, puis d’une quinzaine d’années de mariage où elle vit à nouveau à Tours, place des Sables. Depuis 22 ans, Annie mène une vie de célibataire dans sa maison de la rue Colbert. Personnage très attachant, elle a livré beaucoup d’aspects émotionnels de sa vie et a avoué elle-même que l’exercice n’était pas facile.

Les deux premières tranches de vie d’Annie sont révélatrices d’une spatialité qui va être organisée par les autres (la famille) et subie par Annie jusqu’à l’âge de 15 ans : celle d’une dialectique entre le lieu de vie de son père, dans les appartements de la Rue Marceau et de la Rue Michelet à Tours, où elle ne peut vivre, et le territoire familial d’adoption qu’elle peut recréer à Nantes chez sa grand-mère, et dans la pension à Loches. Les lieux fréquentés lors de ces tranches sont très liés à la spatialité nantaise, qu’elle développe avec sa grand-mère et son père, sans la présence de sa belle mère avec, en opposition, une spatialité complètement inexistante dans la ville de Tours. Ainsi la spatialité d’Annie s’organise autour des pôles extérieurs au logement. A partir de 15 ans, Annie revient habiter à Tours, d’abord avec sa grand-mère, dans le quartier Febvotte, puis avec son père. Cette période est plus riche en découvertes et en explorations de la ville, avec toujours un pôle à Nantes, pour les vacances. A partir de 18 ans, Annie quittera le foyer familial, pour aller vivre en colocation boulevard Béranger, et suivre des études de droit à l’université de Tours, puis, pendant 2 années, pour habiter à Poitiers où elle travaillera dans une boîte de nuit qu’elle fréquentait durant la période de l’université. Ces tranches sont très succinctes, Annie ne raconte que très peu de lieux qu’elle a fréquentés durant ces périodes, elles sont ainsi resserrées autour du foyer et de l’activité principale. A partir de 21 ans Annie rencontre son futur mari. Elle habitera quelques mois chez les parents de celui-ci, Avenue André Malraux, puis ils s’installeront temporairement à Tours Nord, Avenue de la Tranchée, pour finalement aller habiter Place des Sables, au Sud du centre-ville, à proximité du quartier du Sanitas. Ces trois lieux d’habitations sont liés entre eux est sont associés pour Annie à la période de son mariage, lors de laquelle elle aura un enfant. Si la spatialité de cette longue période (14 ans) est très limitée sur Tours, et apparaît comme presque inexistante (pas de référence à un lieu de travail ou à des déplacements quotidiens), en revanche, Annie décrit avec détails les nombreux lieux de vacances, en France et à l’étranger. C’est à cette période que la spatialité d’Annie sera la plus étendue, grâce à de nombreux voyages (Israël, Maroc, Tunisie, Croatie, etc.). La fin de cette tranche de 14 ans coïncide avec sa séparation d’avec son mari, et son installation dans la Rue Colbert, en plein centre de Tours, où elle habite depuis 22 ans. Ce changement va occasionner une réorganisation complète de sa spatialité, elle citera ainsi plusieurs lieux de travail, un grand nombre de lieux qu’elle fréquente, pour différents motifs (commerces, ballades, vacances, convivialité) et avec différentes fréquences. L’apparence de son réseau de lieux est modifiée, avec plus de pôles « locaux », essentiellement situés à Tours même, et quelques pôles externes, notamment des vacances en Bretagne et dans la région nantaise. La dernière tranche d’Annie, la tranche actuelle est relativement éloquente sur sa façon d’habiter la ville de Tours, en rupture avec les périodes précédentes. La ville est beaucoup investie, elle y développe un

nombre important de pratiques. Sa région d’origine reste un pôle générateur de déplacements pour les vacances, ainsi que l’Espagne et Paris où son fils habite depuis quelques années. Quelques lieux ont été retenus comme faisant partie de sa spatialité, même si celle-ci n’est pas effective : les pays d’origine des personnes avec qui elle noue des amitiés par Internet (Hongrie, Finlande).