pprt 32 , les maires des communes de la vallée de la chimie jugent les principes de coopération
1.3 Des parties associées qui peinent à jouer collectif
1.3.1 La qualification des enjeux, facteur de légitimation de la DDT et des collectivités
locales
Avançant indépendamment l’un de l’autre, ces deux chantiers ne sont connectés que par le biais des réunions de l’équipe projet, c’est-à-dire les moments où les agents instructeurs de la
dreal
et de laddt
se retrouvent pour s’informer mutuellement de leurs activités, se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et discuter du calendrier48. L’entente est cependant loind’être parfaite, du fait de cultures professionnelles très contrastées, mais aussi des concurrences et des enjeux de pouvoir qui se manifestent dans le partage des tâches et la délimitation des domaines d’intervention de chacun49. Ainsi ce responsable ex-
dde
qui évoque justementles difficultés de coordination entre les deux services instructeurs au moment de lancer la démarche d’élaboration :
‘‘
Pour ladde
du Rhône, travailler en « équipe projet » est une chose nouvelle, rendue obligatoire par la réglementation, mais au départ cela n’a pas été évident. Historiquement, c’était ladrire
qui maîtrisait l’ensemble des connaissances dans le domaine des risques industriels et elle avait tendance à intervenir seule. Donc il a fallu qu’on lui force un peu la main pour que des contacts et des discussions aient lieu. Car, c’est un fait, ladrire
n’a pas vraiment besoin de ladde
. En tout cas sur sa partie.Du côté de la
dde
, les difficultés viennent principalement de l’absence d’antériorité sur le sujet. Quelques agents ont bien eu l’occasion de se frotter à la prévention des risques industriels depuis la fin des années 1990, via notamment les pôles de compétences en urbanisme évoqués plus haut (voir note 27), mais leur connaissance se limite à l’exutoire des procédures de maîtrise de l’urbanisation, c’est-à-dire à l’application des règlementszpe
etzpr
. Dans le cadre de la démarchepprt
, la réglementation leur demande de remonter vers l’amont de ces procédures, jusqu’à la phase d’évaluation des risques, pour intervenir sur des sujets qu’ils ignorent totalement et pour lesquels ils ne sont ni qualifiés, ni outillés. Pour y arriver, plusieurs étapes préalables doivent donc là aussi être franchies : il leur faut s’organiser en interne, monter en compétence sur les aspects les plus techniques, se doter d’un appareillage méthodologique46 La création des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (dreal) fait suite à la
création du grand ministère de l’écologie et du développement durable en 2007 qui conduit à la fusion, dans chaque région métropolitaine, des directions de l’équipement (dre), de l’environnement (diren) et de l’industrie (drire). Si cette réorganisation a constitué un profond bouleversement pour les agents des trois ministères, les corps de métier comme l’inspection des installations classées ont cependant été peu affectés par ces changements institutionnels
[Lascoumes et al. 2014].
47 Les directions départementales des territoires résultent de la fusion des directions départementales de l’équipement
(dde) et de l’agriculture (dda), dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) qui concrétise localement les objectifs de la révision générale des politiques publiques (rgpp) initiée en 2007 par le gouvernement Sarkozy[Bezes et Lidec 2010].
48 À l’époque, cette équipe projet comprend un noyau dur de cinq agents. Pour ladreal, il s’agit du chef du groupe de
subdivisions du Rhône (qui devriendra l’unité territoriale Rhône-Saône après la fusion) et de son adjoint, coordonateur de la cellule risques. Pour laddt, il s’agit du chef du service planification aménagement risques (spar), du responsable de l’unité prévention des risques de ce service et d’une chargée d’étude de cette unité.
49 Ces problèmes de coordination entre services instructeurs ne sont pas spécifiques auxpprtde la vallée de la
chimie. Ils se retrouvent sous des formes diverses dans la plupart des contextes de l’époque[Galland et Martinais 2010, p. 261–263].
fonctionnel et enfin, définir un programme de travail qui permette de traduire localement les objectifs réglementaires sur ces deux volets « enjeux » et « vulnérabilités » qui leur incombent. Formellement, l’opération consiste à cartographier les entités territoriales50exposées aux
phénomènes dangereux étudiés par les industriels et constitués en aléas par les services de la
drire
(cf. figure1.5), puis à évaluer, par des études de vulnérabilité, la sensibilité de ces entités aux dangers qui les menacent pour ensuite, définir des mesures de prévention adaptées. Sur ce registre, le travail de laddt
vise donc à délimiter les secteurs d’intervention de la puissance publique (par identification des zones de coprésence d’aléas et d’enjeux) afin de programmer les investigations complémentaires (c’est-à-dire les études de vulnérabilité) nécessaires à la poursuite du programme d’élaboration despprt
. Mais si l’exercice est assez bien balisé au plan théorique et réglementaire, il l’est beaucoup moins au plan pratique. En l’occurrence, les données que le guide méthodologique demande de mettre en cartes ne se laissent pas toutes facilement apprivoiser. Les sources n’existent pas pour chaque type d’enjeux et quand elles existent, elles sont parfois difficiles à localiser. L’exploitation des informations recueillies pose également toutes sortes de problèmes : des problèmes de quantification quand par exemple la présentation des donnéesinsee
à l’îlot empêche de définir le nombre de logements et d’habitants par secteur autrement que par le recours à une règle de trois (forcément imprécise) ; des problèmes d’exhaustivité quand les fichiers de recensement à disposition se révèlent incomplets ou pas suffisamment précis dans leur composition (ce qui est le cas par exemple pour les activités commerciales) ; des problèmes de catégorisation quand il faut statuer sur la nature de certains enjeux (une supérette doit-elle être considérée comme une entreprise ou comme un établissement recevant du public ?). L’agentddt
spécialement chargé de ce travail évoque également des problèmes récurrents d’adressage qui perturbent le géocodage des enjeux répertoriés et leur restitution sous forme cartographique. L’hétérogénéité des paramètres de localisation selon les sources mobilisées conduit en effet à une prise en charge variable par le système d’information géographique qui parfois place correctement les enjeux, parfois non, exigeant au final de vérifier systématiquement les résultats obtenus et de corriger les erreurs flagrantes à la main.Forcément imprécis, ce travail d’agrégation et de reproduction cartographique de différents fichiers-sources donne lieu à deux types de vérifications. Le contexte densément urbanisé de la vallée de la chimie et la profusion des entités à répertorier et localiser imposent tout d’abord plusieurs visites de contrôle et de comptage in situ, pour vérifier que les enjeux mis en carte existent bel et bien « en vrai » et au bon endroit. Une fois ce pointage de visu effectué et la représentation cartographique ajustée à la réalité du terrain, l’ultime vérification est réalisée en confrontant le travail de l’unité prévention des risques de la
ddt
aux connaissances d’usage des représentants des communes investiguées. Cette dernière étape du processus de qualification des enjeux consiste en une ou deux séances de travail, qui interviennent en général après une réunion de prise de contact avec les élus (le maire assisté du ou des adjoints concernés) au cours de laquelle les agents de l’État ont présenté la démarche et fait part de leurs attentes quant à la contribution des techniciens municipaux. Ainsi cette chargée d’étude qui a participé à la plupart de ces rencontres, organisées commune par commune :‘‘
Pour finir, on a rencontré toutes les mairies. Une à une. On leur a posé des questions sur tous les enjeux. Sur la liste, la fameuse liste des enjeux qui est dans le guide : qu’est-ce qu’ils savent ? Qu’est-ce qu’ils peuvent nous dire sur chaque enjeu ? Est-ce que ça correspond bien à ce qu’ils connaissent de leur territoire ? Et puis c’était aussi très important de les rencontrer pour qu’ils nous parlent du contexte de leur commune, des projets en cours, des choses qu’ils envisagent de faire à court ou moyen terme. Enfin… voilà, s’il y a un truc important, ils nous en parlent quoi.Comme indiqué par l’enquêtée, ces réunions bilatérales51avec les communes visent en fait
plusieurs objectifs. Il ne s’agit pas seulement de finaliser la mise en carte des enjeux et de valider, par la contribution du personnel municipal, le travail réalisé en amont par la
ddt
. Il s’agit dans le même temps d’inviter les collectivités locales à rendre compte de leurs « projets urbains d’ensemble », conformément aux préconisations du guide méthodologique (cf. encadré à suivre).50 Des habitations, des établissements recevant du public, des activités économiques, des infrastructures sur lesquelles
circulent des personnes, etc.
51 Dans le jargon des services instructeurs, une « bilatérale » désigne une réunion avec un unique interlocuteur, soit
Extrait du guide méthodologique
pprt
Extrait consacré à l’articulation avec le « projet urbain d’ensemble » des communes concernées
Le plan de zonage brut a permis de cartographier le territoire en application des principes de réglementation. La confrontation de cette carte de zonage avec le contexte local peut susciter un certain nombre de questions qui pourront trouver une réponse en s’appuyant sur des éléments de référence, devant alimenter la réflexion.
Les collectivités ont souvent engagé, ou ont en projet, des démarches de revalorisation du tissu urbain exposé au risque industriel : projet urbain d’ensemble, délocalisation d’activités, réaffectation de terrains, etc. Dans le cadre de tels projets d’ensemble, une réflexion peut être menée sur la relocalisation d’équipements ou d’espaces publics, avec l’objectif de les éloigner des sources de risque sans qu’ils soient pour autant trop excentrés.
La démarche