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ou comment concilier réduction de la vulnérabilité et développement

3.1 Le calage incomplet de la stratégie maîtrise de l’urbanisation future

3.1.1 L’élaboration d’une stratégie adaptée au projet directeur

Le dossier « maîtrise de l’urbanisation future » est ouvert par la

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au moment où la

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finalise les cartes d’aléas qu’elle prévoit de présenter aux réunions des

poa

de fin 2011 (cf. §2.2). Telle que définie par la réglementation, la tâche consiste à transformer ces aléas, figurés sous forme de « zonage brut », en zones rouges et bleues qui, selon leur couleur et leur teinte (foncé ou clair), réglementeront plus ou moins strictement l’usage des sols et les constructions nouvelles une fois le

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approuvé (cf. figure précédente). Le guide méthodologique indique cependant que cette transformation ne doit pas se faire de façon mécanique, mais en conciliation avec le contexte local et les projets de développement portés par les collectivités concernées. Ainsi une zone bleue qui n’a pas vocation à s’urbaniser dans le futur, parce qu’elle recouvre une emprise fluviale ou autoroutière, un espace agricole ou un versant de colline protégé au titre des espaces naturels, peut-elle être « rougie » dans le cadre de cette « stratégie124». De même, une zone apparaissant en bleu clair au zonage brut

peut-elle être foncée pour orienter l’urbanisation future vers des secteurs moins exposés et/ou mieux situés du point de vue de la composition urbaine d’ensemble et des perspectives de développement tracées par les acteurs locaux (cf. encadré à la page62).

Déjà bien esquissées par le projet directeur qui se définit au même moment (cf. §2.2), les possibilités de développement que la

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doit prendre en considération pour élaborer sa proposition de stratégie portent à la fois sur les secteurs résidentiels et industriels. D’un bout à l’autre du linéaire, l’objectif est en effet de revitaliser les pôles urbains (par des opérations de rénovation et de réhabilitation urbaine notamment) tout en favorisant l’essor des activités existantes et l’accueil d’entreprises nouvelles, en particulier dans les domaines de la chimie, de l’énergie et de l’environnement. Du côté des services de l’État, l’exercice de la stratégie consiste donc à faire une proposition de zonage qui accorde les enjeux de non-densification du

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(liés aux zones rouge et bleu foncé exposées aux aléas les plus forts) avec ces perspectives de régénération qui concernent les mêmes zones, c’est-à-dire les délaissés industriels situés à proximité immédiate des sites à l’origine des risques (figurant en rouge et bleu foncé au zonage brut) et les quartiers résidentiels les plus proches des usines (également en bleu foncé). Autrement dit, il s’agit de faire converger deux dynamiques potentiellement contraires en autorisant du développement économique et des projets de rénovation urbaine là où la réglementation impose précisément de ne rien toucher et/ou de ne pas augmenter le nombre de personnes exposées.

Pour les agents de l’État, la seule façon de résoudre cette « quadrature du cercle » est d’aména- ger la règle pour l’adapter aux spécificités du contexte dans lequel elle est censée s’appliquer. Pour concilier l’inconciliable, ils sont contraints d’élaborer ce que Pierre Lascoumes appelle des normes secondaires d’application[Lascoumes 1990b], c’est-à-dire des modalités d’action faisant référence à la trame générale définie par la réglementation (tout interdire dans le rouge, ne pas densifier dans le bleu), mais s’inscrivant dans un cadre localisé soumis à ses propres contraintes (ici la nécessité de ne pas empêcher le projet de régénération de la vallée de la chimie). Conçu par les agents de la

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en concertation avec leurs collègues de la

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, puis validé par le préfet de région, cet arrangement repose concrètement sur deux

principes combinés. Le premier consiste à assouplir la contrainte sur les espaces cibles du projet directeur, en créant d’une part un régime d’exception dans les zones apparaissant en rouge au zonage brut (pour rendre possible l’extension des activités à l’origine des risques), en permettant d’autre part une densification sélective dans celles figurant en bleu foncé. Quant au second principe, il vise à compenser l’assouplissement consenti dans ces zones par un durcissement de la contrainte en bleu clair. Comme l’explique ce représentant de l’État, l’idée est de ne pas complètement bloquer le développement en rouge et bleu foncé, mais d’équilibrer les ajouts possibles de population par une extension des restrictions à l’ensemble des zones figurant en bleu clair au zonage brut :

‘‘

Le raisonnement de départ, c’est : on est raisonnable, on permet aux exploitants de s’étendre dans le rouge et on ne bloque pas le bleu foncé. On ne bloque pas le bleu foncé, mais par contre on remonte le niveau du bleu clair pour faire quelque chose d’un peu homogène. Remonter le niveau du bleu clair, ça nous permet de ne pas trop déroger avec les histoires de non-densification. L’idée était de dire :

124Identifiée par la réglementation comme une étape à part entière de l’élaboration dupprt, la « stratégie » est cette

opération de transformation du zonage brut qui, selon le guide méthodologique, doit « conduire, avec les personnes et organismes associés, à la mise en forme partagée des principes de zonage et à l’identification des alternatives et solutions possibles en matière de maîtrise de l’urbanisation » (p. 88).

on va faire de la non-densification sélective sur le bleu foncé et sur le bleu clair, on va mettre un niveau de contrainte un peu supérieur pour vraiment limiter les possibilités d’urbanisation, éviter des implantations qui amèneraient beaucoup de monde… C’était l’idée. Ça cadrait bien avec la directive du préfet qui était de dire : « Cette zone est industrielle, on la laisse aux industriels ». Donc plutôt que de rester dans la théorie en écrivant « La zone bleue c’est non-densification et pas plus de tant de personnes », on s’est dit qu’on allait faire du qualitatif en type d’activités, en indiquant précisément ce qu’on autorise. En gros, des entrepôts et de l’industrie. Parce que c’est ce qui représente le moins de monde. Un entrepôt, c’est beaucoup de m2et peu d’employés. Une usine pareil. Donc ça colle à

peu près avec l’esprit du

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qui nous dit qu’il faut limiter le nombre de personnes sur les zones exposées aux aléas les plus forts. Donc en limitant aux entrepôts et à l’industrie, on devrait avoir des activités qui sont compatibles avec ce qu’on veut défendre. Par contre, on ne rajoute pas des gens dans le bleu clair. Pour compenser ceux qui seront un peu en plus dans le bleu foncé, on restreint les possibilités dans le bleu clair. On homogénéise. Voilà. Donc on a engagé la discussion avec les collectivités sur la base de cette proposition. On leur a dit : « On est prêt, côté services de l’État, à vous décongestionner vos zones bleu foncé, parce qu’autrement, vous ne pourrez rien faire là où vous prévoyez de faire des choses. En revanche, le bleu clair, tolérez qu’on le limite ». On ne l’empêche pas mais on le limite. Par exemple, on ne va pas mettre d’établissement recevant du public dans le bleu clair.

Conçue selon ce double principe d’assouplissement-extension de la contrainte, la proposition de stratégie élaborée par les services de l’État consiste donc à uniformiser les zones bleues recouvrant les espaces cibles du projet directeur (cf. figure3.2pour Saint-Fons) et à assortir le principe de non-densification associé à ces zones d’un régime dérogatoire permettant d’ouvrir des secteurs restreints à une urbanisation et un développement très strictement encadrés. Cette proposition conduit également à envisager les règlements de zone en destination, c’est-à-dire en spécifiant à chaque fois les types d’activités et les formes d’urbanisation que le

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autorise. Ainsi cet agent de la

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:

‘‘

L’option qu’on a choisie à ce moment-là (avec les collègues de la

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et en accord avec le préfet qui suivait ça de très près), c’est d’approcher la vulnérabilité en règle d’urbanisme, en considérant que l’industrie ou les activités de logistique, c’est forcément moins vulnérable que le tertiaire et l’habitat. Donc on a pensé destination, code de l’urbanisme. Du coup, ça conduit à imaginer un règlement de

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qui ressemble à un plan local d’urbanisme, puisqu’on va dire que dans telle zone, en fond de vallée par exemple, on ne veut que de l’industrie. En spécifiant en plus quel type d’industrie on veut. Par exemple chimie, énergie, environnement. Bon, c’est un peu un non sens en termes de risques, parce que si un type meure parce qu’il faisait de la chimie fine ou parce qu’il faisait de la vente de carambar, au fond c’est pareil. En même temps, on peut penser que l’industrie est quand même moins vulnérable que le tertiaire. Ce n’est donc pas complètement déconnant. Mais c’est utiliser le

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à des fins d’aménagement, c’est aller vers un règlement qui traduit la volonté de l’État de renforcer l’industrie dans la vallée de la chimie… c’est-à-dire qu’on imagine un

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qui ressemble presque à un document d’urbanisme alors qu’il devrait se contenter de définir de façon stricte un champ des « pas possibles », donc en creux un champ des « possibles ». Alors que là, il définit un champ des « souhaitables ».

À partir de septembre 2011, une série de rencontres est organisée pour présenter cette stratégie aux parties associées, expliciter la proposition initiale de zonage, mettre en discussion le principe d’assouplissement-extension de la contrainte inventé par les services de l’État et inciter les représentants des collectivités locales à identifier, dans les zones bleues, les parties potentiellement urbanisables d’un côté et les secteurs à « sanctuariser » de l’autre. Après deux réunions de l’équipe technique consacrées à l’examen du cadrage réglementaire et des questions soulevées par sa déclinaison locale (20 septembre 2011 et 12 janvier 2012), les discussions se poursuivent commune par commune dans le cadre de bilatérales qui s’échelonnent entre janvier et juillet 2012125. Mobilisant surtout les représentants des trois municipalités les plus

concernées (Pierre-Bénite, Saint-Fons et Feyzin) et les deux agents du Grand Lyon en charge du suivi

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à l’époque126, ces échanges conduisent dans un premier temps à la mise en

place d’un découpage fin du zonage en fonction de la distribution spatiale des aléas et de la nature des enjeux exposés127(cf. figure3.2).

125Trois réunions se tiennent ainsi à Saint-Fons, trois autres à Pierre-Bénite et une dernière à Feyzin en juillet 2012. 126Il s’agit, rappelons-le, du responsable du service écologie de la direction de la planification et des politiques d’agglo-

Fig. 3.2 –Le zonage « maîtrise de l’urbanisation future » du

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de Saint-Fons en juin 2012 (source :

Ces réunions permettent également d’éprouver le principe d’assouplissement-extension de la contrainte défendu par les services instructeurs en esquissant les grandes lignes d’un projet de règlement zone par zone. Inscrite dans un tableau, chaque proposition de l’État fait l’objet d’une contre-proposition des collectivités locales puis, le cas échéant, d’une recherche de compromis entre les deux parties (cf. figure3.3). Fonctionnant par aller-retour, les contributeurs découvrent ainsi tous les points sur lesquels leurs positions divergent et travaillent dans le même temps à résorber ces désaccords en redécoupant les zones ou en faisant évoluer la formulation des règlements correspondants. Une lecture attentive du tableau complet dans sa version de juin 2012 montre que la plupart des zones trouve ainsi rapidement un contenu réglementaire qui convient globalement aux deux parties. On note également que dans l’ensemble, les propositions de l’État sont plutôt bien acceptées par les collectivités locales dans la mesure où le principe d’assouplissement-extension de la contrainte maintient des possibilités d’aménagement sur la grande majorité des secteurs urbanisés des communes concernées et satisfait les attentes en termes de revitalisation et de continuité de vie des quartiers les plus en difficulté (le centre-ville de Pierre-Bénite, le plateau des Clochettes à Saint-Fons, Les Razes à Feyzin). À ce stade, des discussions persistent cependant sur le fond de vallée (entre les zones grisées des sites à l’origine des risques), où la position restrictive de l’État cadre moins bien avec les projets des collectivités locales. Le débat porte notamment sur les secteurs de Sampaix et Aulagne à Saint-Fons et Sous-Gournay à Feyzin (cf. figure3.2), où une partie des acteurs locaux prévoit des implantations d’activités économiques diversifiées alors que la

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envisage de limiter les possibles aux seules industries relevant des secteurs de la chimie, de l’énergie et de l’environnement et, le cas échéant, aux activités de logistique et de recherche et développement associées à ces industries. Ainsi cette réponse du service instructeur à une demande concernant la zone BF3 située entre les parties nord et sud du site Solvay de Saint-Fons :

‘‘

La limitation du type d’activités justifie le passage de bleu clair en bleu foncé, pour une cohérence d’affichage entre zonage et règlement.

OK pour les extensions des activités existantes et l’accueil d’activités nouvelles dans les secteurs : industrie notamment chimie, énergie, environnement ; transport et logistique intermodal en lien avec le tissu économique de la vallée ; R&D appliqué (laboratoire, atelier pilote…) en lien avec la chimie, l’énergie, les énergies propres, l’activité de transformation des déchets en matière première et technologies propres avec les bureaux associés aux activités ci-dessus.

Services : tout est interdit sauf les prestataires de services nécessaires à un process industriel d’une activité implantée dans la zone. La rédaction du règlement encadrera l’évolution des activités industrielles en tertiaire.128

Réduit aux quelques zones où le foncier disponible permet l’implantation d’entreprises suscep- tibles de contribuer au projet de régénération de la vallée de la chimie, le débat ne résulte pas d’un désaccord sur la vocation future des espaces concernés et la façon de les réglementer via le

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, mais de divergences de vue sur le type d’activités qu’il s’agit d’autoriser et d’interdire dans ces zones compte tenu des risques en présence. Les collectivités locales souhaitent y fa- voriser l’implantation de tertiaire et d’artisanat en plus de l’industrie. Les services instructeurs s’y refusent, considérant que ce type d’activités est trop vulnérable pour se développer aussi près des usines à l’origine des

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.

mération (DPPA) et de l’urbaniste territoriale du secteur qui relève de la même direction.

127Ce découpage est conçu de manière à ce que chaque zone soit globalement homogène, du point de vue des aléas

(nombre et type de phénomènes, intensité des effets) et des enjeux présents (logements collectifs, habitat pavillonnaire, zone d’activités, etc.)

128Extrait du tableau listant les accords et désaccords entre l’État et les collectivités locales concernant la stratégie de

Fig. 3.3 –Aperçu du tableau utilisé pour l’écriture du règlement (source :

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du Rhône)

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