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La contribution du préfet de région au débat sur la cinétique des boil over

cnr, vnf, rff, sncf Techniciens du conseil général

3. Les restrictions des droits à construire (urbanisation future) s’appliquent à toutes les zones, selon les correspondances données par le guide pprt et reprises dans le tableau

2.2 La difficile conciliation des intérêts en présence

2.2.3 La contribution du préfet de région au débat sur la cinétique des boil over

Comme souvent en pareilles circonstances, l’arbitrage du préfet ne se présente pas uniquement comme un acte d’autorité annonçant la fin du « jeu » aux différents protagonistes. Il s’agit dans le même temps d’un acte d’accommodement particulièrement délicat, qui consiste à définir la décision optimale du point de vue du contexte local, c’est-à-dire la solution qui concilie au mieux les intérêts en présence. Pour arbitrer dans les meilleures conditions, le préfet doit donc entendre les arguments des différentes parties, à commencer par ses propres services. Consultée à plusieurs reprises au printemps 2011, la

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maintient alors sa position, telle qu’exprimée dans le rapport d’instruction remis fin 2010 (cf. §2.2). Comme l’explique cet inspecteur ayant défendu le dossier, l’enjeu est bien de conserver des mesures foncières sur un secteur considéré comme l’un des plus problématiques du point de vue de la cohabitation des installations à risques avec les quartiers avoisinants :

‘‘

L’idée de la raffinerie, c’est de ne plus avoir de mesures foncières sur le quartier des Razes. Et de faire tout pour arriver à ce résultat. En jouant sur la cinétique. En jouant sur l’agrégation des

bleve

. En jouant sur un certain nombre de choses. Et politiquement, on a conclu que ce n’était pas jouable, que ce quartier qui est quand même exposé de manière évidente ne pouvait pas échapper à des mesures foncières. Au regard de l’enjeu, on s’est dit que ça allait bien de privilégier la cinétique rapide, de manière à conserver un triangle proche de la raffinerie en mesures foncières. À partir de là, le préfet a été plus ou moins convaincu.

Pour justifier ce positionnement politique, la

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avance deux arguments techniques. Le premier consiste à dire que si l’arbitrage est favorable aux intérêts industriels et que les boil

over sont au final considérés comme des phénomènes à cinétique lente, la zone la plus exposée

(le triangle d’habitations délimité en pointillés sur la carte suivante) changera d’affectation (d’expropriation « d’office », elle passera en délaissement « d’office »), mais les habitations qu’elle contient devront de toute façon être expropriées parce qu’elles ne résisteraient pas aux effets de surpression de tous les autres phénomènes dangereux pris en charge par le

pprt

. Comme le dit cet agent de la

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, la décision consiste alors à ne pas prendre l’arbre pour la forêt qu’il dissimule :

‘‘

Alors ce qu’on dit, c’est que sur cette zone, vous n’avez pas que le boil over comme type de risque. Vous avez aussi tous les risques d’explosion qui sont présents et qui sont quand même très importants. Donc si on était en face d’un mono-risque (si je puis dire), on pourrait éventuellement jouer la cinétique lente. Mais dans le cas présent, vous avez tout ! Et croyez-moi, le risque est plus important d’avoir un UVCE106avec une fuite sur la pomperie qu’un gros stockage qui entre en boil over. Ce

qu’il faut bien voir, c’est que pour la cinétique lente, on ne discute que de quelques scénarios. Or la carte des aléas de la raffinerie, c’est plus d’un millier de scénarios. Il ne faut pas oublier ça. Et croyez-moi, les UVCE, on en voit plus souvent que les boil over. Le boil over est quand même quelque chose de très… De très ponctuel.

Le deuxième argument présenté au préfet prend quant à lui le point de vue des habitants concernés par les mesures du

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, pour considérer qu’une décision favorable à l’industriel aurait aussi pour effet de réduire les possibilités de délaissement sur la frange d’habitat qui, bien que plus éloignée de la raffinerie, n’en reste pas moins exposée à des dangers graves pour la vie humaine. Cette zone serait alors déclassée en aléa M+, synonyme de travaux de renforcement du bâti, mais ne pourrait plus donner lieu à délaissement. Dans ces conditions, le choix de la cinétique lente induirait le passage d’une situation relativement juste, dans laquelle les habitants pourraient faire valoir leur droit au délaissement dans le cadre d’un financement collectif, à une situation beaucoup moins juste, où ces mêmes habitants auraient à financer par eux-mêmes (au moins en partie) les travaux de protection de leurs logements, en dehors de toute possibilité de prise en charge collective et sans garantie aucune qu’ils aient effectivement les moyens de le faire. L’inspecteur cité juste avant développe le raisonnement :

‘‘

Si on prend la cinétique lente, vous n’aurez plus de délaissement possible pour laisser aux gens la possibilité de partir ou pas. On va donc passer du tout au rien. Alors que si on joue la cinétique rapide, on laissera une frange intermédiaire où les gens auront la possibilité, le choix de dire : « Je

106L’UVCE (unconfined vapour cloud explosion) est une explosion de gaz à l’air libre qui intervient suite à une fuite par

Fig. 2.3 –Les zones d’aléas TF+/TF, principal enjeu de l’arbitrage sur la cinétique des boil over (source :

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Rhône-Alpes)

reste » ou « Je ne reste pas ». […] Imaginons qu’on prenne la cinétique lente. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les gens restent, mais qu’ils vont devoir renforcer leur habitation. Ils vont devoir faire tenir leur habitation avec un aléa M+. Qu’est-ce que ça va vouloir dire ? Eh bien, ça va vouloir dire (moi je prends les paris) qu’à tous les coups ils n’arriveront pas à renforcer le bâti dans la limite des 10% de la valeur des biens, de telle manière qu’il résiste à un aléa M+. Donc non seulement ce n’est plus

total

qui investit (ou pas tout seul)… Parce que l’expropriation et le délaissement c’est tripartite, alors que les travaux de protection sur le bâti c’est le crédit d’impôt à hauteur de 10% de la valeur vénale des habitations. Donc on passe de quelque chose qui est à la charge de la convention tripartite, à quelque chose qui est quasiment à la charge des particuliers. […] Vous voyez bien que vous reportez le problème sur les gens. D’un problème qui est

total

et convention tripartite, vous faites un problème de particuliers. Et qui risque de ne pas être satisfaisant. Parce que même à hauteur de 10%, si ça se trouve, le constat sera que ça ne tient toujours pas. Et donc vous laisserez des gens ici en sachant pertinemment qu’ils sont toujours en danger.

Si ces arguments font clairement pencher la balance du côté de la cinétique rapide107, le préfet

entend aussi l’exploitant et les collectivités locales lui expliquer que le coût exorbitant des expropriations et délaissements pourrait être divisé par deux par le simple fait de s’aligner sur tous ces autres

pprt

où les services de l’État ont opté pour la cinétique lente108. Jouant

pleinement son rôle d’ajusteur[Epstein 2000], il propose alors aux trois parties en présence une solution médiane qui préserve au mieux les intérêts de chacun. Présenté lors d’une réunion organisée à la mairie de Feyzin le 12 juillet 2011, cet arbitrage consiste à retenir la proposition de la

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(choix de la cinétique rapide et validation du zonage d’aléas de la figure2.3), mais en fixant par avance une règle de traduction de ce zonage en mesures foncières qui limite fortement les expropriations possibles (de façon à satisfaire la demande conjointe de

107Comme l’atteste le compte rendu d’une réunion de mars 2011, qui indique que « le préfet ne remet pas en cause la

cinétique rapide des boil over », qu’il en « a parfaitement compris la motivation » et qu’il partage l’idée que « l’impact en termes d’expropriation n’est pas négociable ».

108D’après une estimation faite à l’époque par les services de la ville de Feyzin, le premier cas de figure (cinétique rapide)

conduirait à l’expropriation et au délaissement d’environ 120 logements (pour un coût d’environ 50 millions d’euros), contre un peu plus de 70 dans la situation où la cinétique lente serait retenue (pour un coût d’environ 25 millions d’euros).

l’exploitant et du maire de la commune). Élaborée en séance, cette règle prend la forme d’un trait (cf. figure2.4) délimitant les secteurs qui devront être expropriés d’office (à gauche du trait) et ceux qui pourront être ouverts au délaissement (les parties des zones rouges et jaunes situées à droite du trait). Un représentant de la ville de Feyzin, témoin de la scène, raconte :

‘‘

Donc finalement, le préfet ne retient pas la cinétique lente. Mais le préfet dit… il a dit mardi dernier : « Je ne retiens pas la cinétique lente, mais en définitive je n’applique pas complètement les effets de la cinétique rapide ». Ce qui veut dire que… Concrètement, quand il est venu la semaine dernière, il a pris la carte des aléas, il a pris un stylo à 2 euros (pour régler un problème à 25 millions d’euros quand même) et il nous a fait un tracé du nouveau

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. Comme il l’a dit lui-même : « Avant on avait des zones d’aléas. Maintenant, je veux des zones d’urbanisme. Donc là, ça sera exproprié. Là, ça sera en délaissement ». En fait, il anticipe sur la suite et impose d’une certaine manière le contenu du règlement. Qui ne sera donc pas discuté. Ce n’est pas tellement dans l’esprit, mais bon…

Ainsi formulé, l’arbitrage du préfet procède d’une double intention : il s’agit à la fois de produire un compromis pour éviter de braquer l’un ou l’autre des protagonistes (et risquer du même coup de compromettre définitivement l’élaboration du

pprt

), tout en contraignant ces mêmes protagonistes à clore définitivement le débat sur les études de dangers et la réduction des aléas. Par cet acte d’autorité, le préfet entend donc produire une sorte d’effet cliquet qui empêche les parties en présence de revenir en arrière, les poussant au contraire à avancer vers la mise en règlement et l’approbation des

pprt

(annoncée dans la presse pour 2012). Dans cette même optique, il invite les services instructeurs à lancer sans tarder les diagnostics de vulnérabilité et à programmer des réunions des

poa

pour chacun des trois

pprt

afin de présenter aux parties associées les cartes d’aléas enfin stabilisées ainsi que les règles du jeu définies par la

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pour passer de ces zonages aux mesures préventives prévues par la réglementation. Organisées en octobre et novembre 2011, les deux premières (

poa

des

pprt

de Pierre-Bénite et de Saint-Fons) se déroulent exactement comme prévu : après une présentation des aléas stabilisés par la

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faisant l’inventaire des modifications apportées depuis 2008, la

ddt

fait un point sur les investigations complémentaires (en cours) puis expose la marche à suivre pour définir le contenu des mesures foncières, élaborer les règles d’urbanisation future et choisir les secteurs où des travaux de protection pourront être prescrits. Prévue un mois plus tard (début décembre), la réunion des

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du

pprt

de Feyzin va en revanche prendre une toute autre tournure. Entre temps, un événement est en effet survenu qui permet à l’exploitant, avec l’aide de la commune, de rouvrir le dossier des aléas de la raffinerie que le préfet avait pourtant fermé cinq mois plus tôt lors de la réunion en mairie évoquée juste avant.

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