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« L'épuration du langage est certes moins dramatique que celle des populations, […] mais elle contribue à cacher derrière un masque de blancheur un règlement de comptes : celui du pouvoir et de la classe dominante par rapport à l'ensemble d'un peuple. »

Rey, 2007, p55.

Le purisme a à voir avec l'intensité des attitudes, telle que décrite au début de ce travail, où il a d'ailleurs été dit que l’extrémité en est une sous-propriété. Une attitude puriste est une attitude extrême, par définition. Faire preuve de purisme linguistique, c'est se retrancher derrière une forme fixe, immuable de la langue, un idéal qui est idéal parce qu'il est passé, ou parce que ceux qui tendent à l'utiliser ont un statut valorisé. C'est préférer une vision artificielle des langues à une vision naturelle. C'est aussi privilégier la langue comme véhicule de la culture, plutôt que comme véhicule de la communication, privilégier le cultivé face au spontané, la forme sur la fonction. A cela on peut opposer le bon sens de Thomas Hardy en 1904 : « Le purisme, dans le vocabulaire ou dans la grammaire, rime presque toujours avec l'ignorance. Le langage existait avant la grammaire, et non l'inverse » (cité dans Crystal, 2003, p367l)

Cela n'empêche pas que le purisme, et « le catastrophisme qui va, dès lors, accompagner tous les purismes blessés » (Rey, 2007, p62) est une vision de la langue largement répandue, a fortiori en France et dans tout pays majoritairement monolingue et de longue tradition littéraire. Il est le résultat de « la confusion voulue du niveau de langue et du niveau social, donnée pour naturelle » (Rey, 2007, p59).

Le purisme linguistique peut être de différentes natures, dû à différentes causes ; Ager en distingue cinq formes principales que sont le purisme archaïque, élitiste, xénophobe, ethnographique ou réformiste (2003, p79-84). Respectivement dans les trois premiers cas, il s'agira de privilégier les formes passées, celles des classes dites supérieures, ou encore de rejeter les langues qui nous sont étrangères. Le purisme ethnographique donne la prévalence aux variétés rurales d'une langue, censées en détenir l'origine car c'est là que se font le moins d'échanges linguistiques. Dans ce cas la forme légitime ne vient pas des élites, par statut, mais des classes rurales, par ancienneté historique. C'est sur un principe similaire que les « anti- élitistes » affirment que les classes les plus basses détiennent la variété la plus pure, puisque non avilie par les « épanchements aristocratiques » (Ager, 2003, p80li). Enfin le purisme

réformiste prend le contre-pied des précédents et va lui à l'encontre de toute vision historique ou archaïque, puisqu'il prône la simplification drastique de la langue, jusqu'à un noyau

incompressible, ou alors son complet remplacement par une forme nouvelle, pure puisqu’artificielle (les langues artificielles comme l'espéranto peuvent en être un exemple).

Concernant le Royaume-Uni, Ager dit que le purisme élitiste est l'« attitude viscérale » (Ager, 2003, p51) qui prime envers l'anglais. La même conclusion peut être adoptée en ce qui concerne la France et le français, à ceci près qu'il ne se dissocie que peu d'un purisme archaïque qui va chercher auprès des auteurs littéraires classiques (disparus) ce que le locuteur devrait, doit dire.

Un sociolinguiste autrichien a étudié les discours linguistiques puristes tenus sur Internet, dans les médias, dans des pamphlets et autres documents écrits disponibles publiquement. Il s'est attardé sur de tels discours tenus par des germanophones au sujet des anglicismes, mais le cas s'applique tout aussi bien aux francophones, et recense cinq arguments récurrents : (1) les anglicismes sont considérés comme relevant d'un style inférieur, et sont une violation de l'intégrité esthétique de la langue d'origine, (2) ceux les employant sont peu éduqués, crânent, et obéissent à un effet de mode, (3) les anglicismes créent des problèmes de compréhension, sont vague et obscures, (4) un état passé de la langue d'origine tient lieu de modèle. Pour finir, (5) les anglicismes sont les outils imposés de l'américanisation du monde (théorie du complot) (Pfalzgraf cité dans Onisko, 2009, p28).

Une forme de purisme en réaction à l'introduction d'une langue étrangère dans la langue d'origine consiste à en traduire systématiquement tous les mots, souvent sous la forme de calques (Trask, 2004, p166). Cette réponse plus ou moins adroite a été largement adoptée par les francophones, en France et au Québec.

Il est difficile de séparer le purisme linguistique de la notion sociologique de « distinction » définie par Pierre Bourdieu : « rien n'est plus classant, plus distinctif, plus distingué, que la capacité de constituer esthétiquement des objets quelconques ou même ''vulgaires'', ou l'aptitude à engager les principes d'une esthétique ''pure'' ». Le purisme se voit dans ce cas être un « symbole d'excellence morale » (Bourdieu, 1985, pVI) qui permet avant tout de distinguer les hommes, plus que les langues. Ce passage par la sociologie nous fait nous rendre compte que le purisme linguistique s'inscrit dans un mode de fonctionnement dépassant la simple sphère de la langue. L'argument de la nécessité d'une langue « pure » perd alors de sa crédibilité car il concerne moins la langue en elle-même que les hommes et leur relations inter-personnelles. Cette distinction est aussi celle qui crée, en partie, l'écart d'attitudes linguistiques entre les locuteurs du « commun des mortels », la sphère des « experts linguistiques » et celle enfin des « scientifiques de la langue », linguistes.