• Aucun résultat trouvé

3.2.1.1 Questionner

La méthode directe ne tient pas tant son nom de la manière dont elle interroge les sujets que de la manière dont le chercheur analyse les réponses de ceux-ci. Dans la méthode directe, il s'agit de demander directement au sujet quelles sont ses attitudes par rapport à un référent attitudinal linguistique. L'interrogé prend alors plutôt le rôle d'un juge, et ce sont ces jugements, exprimés consciemment et verbalisés qui nous renseignent, sans traitement additionnel des réponses du sujet. La méthode directe, de ce fait, s'apparente à l'étude des opinions, c'est-à-dire la partie publique, assumée, de nos attitudes : les manifestations verbales (cf. Fig.1, p11). De là, la méthode directe peut prendre la forme de questionnaires19,

d'entretiens directifs ou semi-directifs, impliquant la présence physique du chercheur ou non. Dans tous les cas néanmoins il faut que l'interrogé soit conscient de ce qu'il a à juger, et il faut que le chercheur interprète ses réponses telles quelles. La méthode directe n'implique aucune forme de tromperie et repose sur un postulat de transparence de l'interrogé et de l'interrogateur.

La méthode directe, si elle paraît « la manière la plus évidente de collecter les attitudes des gens » (Bradac et al., p39lxi), implique pourtant des possibilités propres à attirer

la critique. Le principal reproche fait à l'encontre de cette méthode est la possibilité pour le répondant de fausser la véracité de ses réponses. Pour diverses raisons, qui seront explicitées lors du traitement des biais méthodologiques, l'interrogé peut être amené à donner une autre réponse que celle qu'il éprouve, ce qu'il pense de manière profonde. Cela peut être le résultat de sa propre volonté, mais aussi d'une incapacité pour lui à formuler ses attitudes profondes,

puisque inconscientes. La méthode directe considère comme acquise, et c'est là sa faiblesse, la corrélation entre les attitudes d'ordre publique et celles d'ordre privé, entre opinions et attitudes. D'autre part, cette méthode ne peut concerner que les mesures verbales des attitudes, et omet les mesures physiologiques et comportementales. En ce sens, la méthode directe ne permet pas de mettre en valeur « la différence entre la façon dont les gens utilisent le langage et ce qu'ils imaginent sur leur comportement linguistique et celui des autres » (Bright, cité dans Lafontaine, 1986, p21). C'est pour combler ces lacunes que la méthode indirecte va être imaginée, et s'imposer comme la méthode de référence du domaine. Avant de faire le détail de cette méthode, attardons-nous sur un point de technique.

3.2.1.2 Échelles de mesures

Un point, qui certes est commun à la méthode directe et à la méthode indirecte, mais dont il convient de traiter sans plus tarder est celui des échelles de mesures. Très souvent les méthodes principales, classiques, de collecte des attitudes, directes ou indirectes, se fondent en partie ou entièrement sur des questionnaires auxquels les interrogés doivent répondre par un choix sur un continuum gradué, une échelle. Il existe différents types d'échelles.

Un premier type d'échelle, le plus simple, fonctionne en terme d'adhésion ou de désolidarisation par rapport à des affirmations. Un continuum avec un nombre d'échelons impair (5, 7 ou 9) est donc instauré entre les deux extrêmes que sont « tout à fait d'accord » et « pas d'accord du tout ». Depuis son utilisation en 1932 par le psychologue social Lickert, ce type de continuum dont les deux extrêmes ont toujours le même intitulé a pris le nom d'échelle de Lickert (Vallerand et al., 2006, p246). Le nombre impair d'échelons implique la possibilité pour le répondant d'exprimer un avis ambivalent. En contrepartie l'absence de la possibilité de répondre « sans avis » peut contraindre l'interrogé à adopter une réponse « à la fois d'accord et pas d'accord » au milieu du continuum alors qu'il peut se considérer à la fois « ni d'accord ni pas d'accord » et ne pas être en ce cas ambivalent, mais neutre.

Un autre type d'échelle, dite de « différenciateur sémantique », mis en place par Osgood (Vallerand et al., p246) définit plusieurs continuums échelonnés entre deux adjectifs antonymes. Interrogé sur une même langue, par exemple, l'interrogé pourra exprimer son jugement en la qualifiant de plus ou moins belle/laide, facile/difficile, ou encore mélodieuse/dissonante, etc. Là aussi la présence d'un nombre impair d'échelons n'implique pas forcément une possibilité de réponse neutre, telle que la notion de neutralité a été définie dans ce travail, mais plutôt une possibilité de réponse ambivalente.

Un dernier type d'échelle, historiquement le premier mis en place mais décrit ici en dernier car le plus élaboré, est redevable à Thurstone, dès 1931. D'une liste d'affirmations à propos du référent attitudinal, une première équipe de juges, impliqués dans la recherche, établit les affirmations « objectivement » favorables, défavorables ou neutres (Vallerand et al., 2006, p246. Souligné dans le texte). Il est possible d'étendre le spectre à plus de trois degrés : très défavorable, extrêmement défavorable, etc. Le but est de présenter aux interrogés véritables une liste d'affirmations recouvrant de manière homogène le continuum favorable/défavorable préalablement établi. Les répondants n'ont alors qu'à cocher les affirmations avec lesquelles ils sont d'accord, reflétant leur position plus ou moins favorable.

Ces trois échelles, dont la mise en place assez aisée permet une bonne reproductibilité des méthodes, soulèvent tout de même quelques remarques. L'échelle du type de Thurstone, si elle demande plus d'investissement de la part du chercheur réduit la tâche du répondant à un minimum et à une réflexion moindre, accroissant d'autant la spontanéité, et donc la prétendue profonde véracité des réponses. L'échelle de Lickert et celle dite de différenciateur sémantique font apparaître plus nettement à l'interrogé sa prise de parti et peuvent donc l'induire à vouloir se désengager par un plus grand nombre de réponses ambivalentes, ou neutres, si la possibilité lui en est donnée, plutôt que de s'engager par des positionnements aux extrêmes du continuum. De même les échelles d'Osgood (différenciateur sémantique) et de Lickert se distinguent l'une de l'autre par leur assujettissement au biais d'acquiescement. Le biais d'acquiescement décrit la plus grande facilité, pour l'interrogé, de répondre favorablement à une question orale ou écrite, par volonté d'adhésion avec le chercheur et de non- compromission par l'opposition. Être d'accord évite d'avoir, même hypothétiquement, à se justifier. Enfin, les échelles de différenciateurs sémantiques, préférées par la recherche sur les attitudes linguistiques, permettent de « minimiser la réflexion » du répondant (Garrett, 2010, p56lxii), par rapport aux échelles du type de celle de Lickert qui, elles, donnent à réfléchir sur