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1.1.4 Fonctions des attitudes linguistiques

Si les attitudes sont des expressions plus ou moins conscientes, il semble aller de soi qu'elles servent des fonctions elles aussi diversement conscientes, c'est-à-dire impliquant des degrés différents d'activité ou de passivité. Par nos attitudes nous agissons sur notre environnement, mais ces dernières ont aussi une action propre sur notre environnement. Quand nous agissons par leur biais sur notre environnement, c'est à des fins d'intégration ou d'instrumentalisation. Quand ce sont les attitudes qui agissent sur notre environnement, c'est pour structurer nos communautés linguistiques, et structurer jusqu'à la substance de nos langues.

1.1.4.1 Fonction intégrative et fonction instrumentale

Lai décrit dans ses travaux (Lai, 2005) la dualité qui réside au sein de la communauté linguistique de Hong-Kong, actuellement région administrative de la République Populaire de Chine, et ancienne colonie Britannique. L'auteur conclut que, si les hongkongais ont des attitudes intégratives envers le cantonnais, leurs attitudes sont en revanche instrumentales en ce qui concerne l'anglais. Ceci veut dire que les attitudes de ces locuteurs sont favorables envers le cantonnais dans la mesure où cette langue leur permet de souder leur communauté, et de s'inscrire comme partie pleine et entière de la République Populaire de Chine, le cantonnais servant alors d'illustration facilement accessible à cette unité. Néanmoins ces mêmes sujets, dans l'enquête, ont une attitude favorable envers l'anglais pour sa dimension instrumentale ; c'est-à-dire une fois pris en compte les « avantages pragmatiques perçus » (Dörnyei et al., 2006, p12xix) qu'apporte cette langue (intégration accrue dans l'économie

mondialisée, conservation d'un lien avec le monde britannique).

La langue, intrinsèquement, décrit une identité. Elle n'en demeure pas moins un code, un outil. Nos attitudes vont donc être orientées vers ces deux aspects.

Par volonté d'intégration au sein d'une société, un sujet adoptera des attitudes favorables envers la langue de celle-ci. Parler une langue, adopter un accent, utiliser un vocabulaire spécialisé sera alors pour lui une preuve d'appartenance à cette société. Au même titre que rejeter une langue, ou se défaire d'un accent sera la preuve d'une volonté de dissociation par rapport à une communauté.

Cependant il est possible de montrer des attitudes favorables envers une langue sans qu'elles soient en corrélation avec un intérêt profond pour la société qui la parle. On éprouve alors des attitudes favorables envers un code, et non envers une identité. Si une entreprise

implantée dans une région francophone a son concurrent direct au Japon, cette entreprise montrera des attitudes favorables envers le japonais (cours de japonais pour les employés, par exemple). La langue sera alors utilisée comme un outil, et les attitudes auront une fonction instrumentale envers cet idiome. Les attitudes instrumentales peuvent être décrites comme « aid[ant] à adopter des stratégies appropriées permettant de maximiser notre adaptation sociale » (Vallerand et al., 2006, p252. Souligné par l'auteur). Il s'agit ici d'un processus actif.

Ces deux types d'attitudes concernent principalement l'apprentissage des langues secondes ou étrangères. Mais il est tout à fait possible d'imaginer des attitudes instrumentales envers un accent régional ou un jargon professionnel. Ce qui importe, de manière plus générale, est alors « la fonction jouée par les attitudes dans la motivation » à apprendre une langue (Gardner, 1979, p217xx).Fonction structurante

Les attitudes ont des effets sur les populations qui les expriment. Elles en structurent les communautés et en structurent aussi les langues, d'un point de vue formel. Elles sont « structurées socialement, et socialement structurantes » (Garrett, 2010, p29xxi) A ce sujet,

c'est à W. Labov que reviennent les honneurs, puisqu'il a mis au jour ce que rappelle la préface d'un de ses travaux principaux :

« une communauté linguistique ne doit pas être conçue comme un groupe de locuteurs qui utilisent tous les mêmes formes, mais comme un groupe qui

partage un ensemble d'attitudes sociales envers la langue »

(Encrevé 1976, p21)

A la base de cette observation est l'assertion variationiste que nos attitudes influent directement sur la forme de notre, nos langues. Ce point sera traité plus en détail quand nous nous intéresserons aux manifestations des attitudes.

1.1.4.2 Fonction d'expression

La dernière fonction explicitée ici n'est pas pour cela la moindre, elle serait même la plus évidente. Les attitudes ont valeur d'expression. Elles sont l'expression de fonctionnements plus larges que la langue en elle-même, « l'extériorisation des croyances et des valeurs centrales que l'on possède » (Vallerand et al., 2006, p252), ou encore « l'expression de luttes sociales subtiles, difficiles à exprimer » (UQUAC, 2011). Dalila Morsly, ayant étudié les nominations des langues et des façons de parler, arrive à cette

conclusion : « On remarque d'abord que toutes ces formules stéréotypes sont d'abord des formules de désignation des sujets parlants et secondairement des modes de désignation de ''parlures'' ou ''parlers''. » (1990, p85). Outre l'expression de valeurs, ou plutôt en parallèle de cette expression, les attitudes linguistiques servent aussi à des processus de défense du soi, par la péjoration des usages de l'Autre, ou par la mélioration de son propre usage. Pour pallier à la multiplicité et l'apprivoiser, l'homme instaure des hiérarchies qu'il s'inculque inconsciemment et inculque à l'autre, parfois avec force. Ces fonctionnements annoncent la fonction, traitée en sociologie, de « distinction ». Cette fonction mérite dans ce travail une place à part entière, qui lui sera donnée plus loin dans notre développement.

A ce stade de notre étude sur le cadre théorique général, nous sommes désormais familiers de ce que sont les attitudes, leurs définitions, leurs propriétés et leurs composantes, et nous avons relié ces éléments à la sociolinguistique. Nous l'avons vu aussi, ces dernières concernent la langue dans son entier, et ce malgré la complexité d'un tel objet. Ce qui va nous importer maintenant va être de répondre à la question « pourquoi ? », et entendre par là : pourquoi la langue est une application du domaine des attitudes, quels sont les éléments qui font se mêler, dans le cadre des attitudes, les deux disciplines que sont la linguistique et la sociologie ?