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Le délire que développe le sujet est orchestré de manière à l’extirper d’un conflit intrapsychique intense et engendrant chez lui des angoisses d’anéantissement et de solitude extrêmes.

Le sujet se sent comme menacé d’une sensation de désintégration, terme repris par Kestemberg, et de mort imminente, et va alors s’en prémunir par le biais de mécanismes de défense archaïques, comme le déni, le clivage, la projection sur l’autre et la construction d’un délire.

41 Si on le décrit habituellement fleurissant chez le sujet à la structure psychotique, il n’est pas exclu de l’apercevoir aussi chez celui à la structure névrotique, puisqu’il apparaît comme la solution défensive ultime contre un traumatisme qui a outrepassé les capacités de résilience névrotique. C’est ce qu’on nomme volontiers l’ensemble des « psychoses hystériques ».

Freud décrit le mécanisme de solution délirante chez le sujet psychotique autour du cas Schreber. 14

Lorsque ce personnage est nommé président de la cour suprême de Dresde, et qu’il rencontre le médecin Flechsig, cette nouvelle résonne chez lui comme un tel ébranlement qu’il se met à avoir des visions apocalyptiques et des angoisses d’anéantissement dans ses cauchemars. Ainsi, la réalisation d’un idéal et la rencontre d’un père qui se prend pour tel peuvent appuyer sur un point de vulnérabilité de ce nouage et provoquer la décompensation.

Cette effraction psychique le mène à construire une néo-réalité délirante se cristallisant autour de la relation érotomaniaque qu’il partage avec Dieu, et grâce à laquelle il trouve une porte de sortie aux angoisses psychotiques qui lui semblent insoutenables.

Il retrouve à la fois place et fonction, puisqu’il est l’élu de Dieu et sa mission est celle de repeupler le monde et de le sauver.

La solution érotomaniaque en particulier consiste en l’idéalisation d’un objet réel ou imaginaire, et d’une relation amoureuse illusoire en découlant. La néo-réalité amoureuse créée par le sujet lui garantit une unité psychique, en lui donnant à nouveau place et fonction. 44

Quand bien même la relation à l’autre est teintée de persécution, comme lors de la phase de rancune possiblement, elle offre pourtant une sécurité narcissique au sujet, en lui garantissant place (celui de l’amant moqué et éconduit) et fonction (celui qui doit rétablir la justice en se vengeant).

Le délire érotomaniaque vient défendre le sujet de ses failles narcissiques, puisqu’il se sait être aimé par un objet idéal, de haut rang social, souvent inabordable. Le choix de cet objet n’est

42 pas le fruit du hasard. La composante orgueil de Clérambault est une condition préalable presque constante à la génération du délire.

Hollender et Callahan 45 suggèrent que l'illusion amoureuse résulte d'un déficit de l'ego et est formée à partir de la lutte intrapsychique de l’individu, afin qu’il puisse se sentir aimé et réhaussé à nouveau.

A la suite d’un deuil aigu, le sujet psychotique ne parvient pas à fournir un véritable travail de désinvestissement, se sentant encore en fusion narcissique avec son objet primaire qui compte désormais parmi les absents. Le sujet se sent menacé par un effondrement psychique et tente de se sortir des angoisses massives en investissant un nouvel objet idéalisé, dit de substitution, et qui lui apporte une sécurité affective.

Raskin et Sullivan 46 voient l'érotomanie comme une fonction adaptative, contrant les sentiments de dépression et de solitude survenant après une perte.

Le délire peut également émerger comme une défense contrant un conflit œdipien intolérable pour le sujet, en investissant une nouvelle relation paternelle idéalisée, avec un objet inaccessible, et dont la rencontre ne s’envisage même pas. C’est le cas d’une patiente célèbre, Dorothée, que présente Kestemberg, qui cherche une représentation paternelle en son objet, avec laquelle toute réalisation est exclue.

Lagache parle de l’intense fixation de l’érotomane à sa mère, qui vient placer son objet en substitut de la figure protectrice et maternante.

Feder 47 rapporte que dans des conditions de régression, il s'agit d’une tentative de restauration de la précédente union heureuse avec la figure de la mère.

Perrier évoque aussi cette notion dans le choix de l’objet de l’érotomane, qui apporte à la fois protection, sécurité et bienveillance au sujet.

Résumé

La solution délirante du psychotique s’efforce à l’extirper d’un conflit intra psychique intense, insoutenable, mêlé d’angoisses de néantisation et de mort imminente.

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La solution érotomaniaque, en particulier, vient lutter contre le narcissisme effondré du sujet et lui permet d’acquérir une nouvelle place et fonction, se sentant aimé par un objet, à la fois idéalisé et de haut rang social.

A la suite d’un deuil aigu, le sujet psychotique ne parvient pas à se défusionner de l’objet primaire perdu et n’entreprend par le travail de désinvestissement nécessaire. Il échappe à l’angoisse de la perte en projetant sur l’Autre un nouvel investissement, comme une substitution de la perte qui lui est intolérable. On parle alors de solution délirante comme fonction adaptative du sujet.

L’érotomane peut également substituer la figure parentale, maternelle essentiellement, à travers son objet. Cela concerne des patientes ou patients qui ont le sentiment d’avoir manqué d’amour et de bienveillance dans leur enfance. Perrier imagine « l’homme de bien » pour ces patientes érotomanes, qui cherchent sécurité, bienveillance, sans que la réalisation de la relation ne soit envisagée pour autant, gardant ainsi une inaccessibilité certaine, contribuant au maintien du délire.

Cette substitution peut faire également obstacle à un conflit œdipien insoutenable pour le sujet, en imaginant une relation idéale mais dont la réalisation est impossible, comme dans le cas de Dorothée chez Kestemberg.

Allant plus loin, il peut également contrer un désir homosexuel refoulé et inconscient « ce n’est pas elle que j’aime, c’est lui qui m’aime, donc je l’aime » à l’image du cas Aimée de Lacan, qui se persuade d’être aimée par le prince de Galles dans le but de faire disparaître ses désirs homosexuels refoulés.