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a. Nosologie actuelle

Les addictions sexuelles se définissent par une fréquence excessive, croissante et non contrôlée du comportement sexuel, en général conventionnel, à l’opposé des déviances sexuelles. Malgré les conséquences négatives pour le sujet qui en est atteint, elles persistent dans le temps, à l’instar des addictions aux substances ou autres addictions comportementales. Elles apparaissent en règle générale en fin d’adolescence, concernent majoritairement des hommes (sex ratio de 5 pour 1). On note également la fréquence d’abus sexuels dans l’enfance chez ces patients.

Les addict sexuels doivent au moins présenter deux critères parmi ceux-là : la drague compulsive avec plusieurs partenaires, la fixation amoureuse compulsive sur une ou des partenaires multiples, les rapports amoureux compulsifs multiples, les rapports sexuels compulsifs insatisfaisants, et l’auto-érotisme compulsif avec des masturbations frénétiques.

D’autres comorbidités sont fréquemment associées, comme la consommation de toxiques, ou l’association à d’autres addictions comportementales (achats compulsifs, addiction au sport, addiction aux jeux d’argent). Des troubles de la personnalité sont retrouvés dans 50% des cas. Elles peuvent également s’associer aux déviances sexuelles, desquelles elles se distinguent dans leur définition classique. L’addiction sexuelle est en règle une pratique sexuelle exacerbée mais non déviante.

91 L’érotomanie se présente comme l’un des principaux diagnostics différentiels de la nymphomanie, notamment dans les cas de fixation amoureuse compulsive, qu’on peut confondre avec une phase d’espoir classique.

Bien que l’érotomanie soit représentée comme « la folie de l’amour chaste », Gianni et al., 144

présentent 5 cas d’érotomanie, ayant chacun une activité sexuelle libérée, dont l’une d’entre elles est homosexuelle, avec des pratiques sexuelles homosexuelles consenties. Il n’est pas exclu d’avoir du désir sexuel en étant érotomane, et il n’est pas non plus exclu d’avoir une addiction sexuelle et de développer un délire érotomaniaque. L’addiction sexuelle dû fait d’un trouble de personnalité histrionique marqué pourrait constituer un facteur pré-morbide intéressant au développement d’un trouble érotomaniaque.

Pourtant, les deux entités diagnostiques n’ont pas toujours été aussi bien distinguées au cours de l’histoire psychiatrique.

b. Glissement historique entre la nymphomanie et l’érotomanie

A la seconde moitié du 18ème siècle, la nymphomanie (pour les femmes) et le satyriasis (pour les hommes) étaient devenus le prototype de l’érotomanie. D’ailleurs, à ce moment-là, l’érotomanie est reconnue comme « la pratique de l’amour physique excessif ». 145

Philippe Pinel donne à ces « névroses génitales » la même origine : l’irritation des organes reproducteurs finit par réagir sur toute l’économie somatique. Il se situe dans la médecine néo- galénique où prime la logique des tempéraments et des fluides.146

En 1838, c’est Esquirol dans « Le traité des maladies mentales » 5 qui différentie les pathologies de l’appareil reproducteur (nymphomanie, satyriasis) de l’érotomanie, qui elle est une affection qui touche le cerveau. En somme, la nymphomane est victime de son corps, et l’érotomane est victime de son imagination.

La grande majorité des observations de cette période porte sur des femmes ou des jeunes filles. Le rapport avec le pêché et le diable est suggéré, bien qu’énoncé d’une manière différente. D’ailleurs, Sylvie Chaperon, dans les « Fondements du savoir psychiatrique sur la sexualité déviante au 19ème siècle » estime que « ce cadre théorique mal dégagé de la culture religieuse,

92 En 1885, Magnan 147 présente l’érotomanie comme une dégénérescence cérébrale antérieure, loin des instincts primitifs. Cette théorie triomphe dans le dernier tiers du siècle, où se fixe la nomenclature des perversions sexuelles. La grande majorité des observations de pervers portent désormais sur des hommes.

En 1888, Benjamin Ball 10 oppose l’érotomanie, qu’il appelle la folie de l’amour chaste, avec

les champs de la nymphomanie, du satyriasis, et de l’excitation sexuelle. L’érotomanie est pour lui caractérisée par l’absence de désir charnel, un amour platonique.

D’autres auteurs partagent ces opinions, c’est le cas de Portemer dans sa thèse en 1902, mais qui nuance quand même cette chasteté en rapportant des cas d’érotomanie homosexuelle, qui seraient accompagnées de rapports sexuels. Ces propos doivent aussi être re contextualisés, puisque c’est une époque où l’homosexualité était considérée comme une maladie mentale.

Clérambault s’éloigne de ces convictions en proposant des exemples d’érotomanie pure mais dans lesquelles l’une des composantes observées est celle du désir sexuel. Selon lui, il n’y a pas de clivage aussi franc.

L’érotomanie pure est classiquement orientée vers un objet et un seul, bien que l’on puisse observer des changements d’objets dans les érotomanies secondaires, plus volontiers chez les hommes, et reste cantonnée à un secteur de la vie de l’individu, n’altérant pas son fonctionnement global.

A l’opposé, la nymphomanie et le satyriasis ne sont pas exclusifs d’un objet idéalisé, et s’étendent progressivement à tous les secteurs de vie, impliquant un retentissement fonctionnel majeure (social, affectif, professionnel, familial) dans les formes évoluées de la maladie.

Résumé

Les addictions sexuelles ont revêtu l’apparence de l’érotomanie pendant des siècles, jusqu’à ce que ces notions soient distinguées.

Aujourd’hui, on la mentionne comme « la folie de l’amour chaste », expression que l’on doit à Balle, mais que d’autres auteurs trouvent trop radicale.

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Il n’est pourtant pas exclu d’observer des cliniques atypiques, à l’origine d’un glissement certain entre ces deux pathologies, que le clinicien se doit de repérer lors de la phase diagnostique afin d’orienter au mieux sa prise en charge.