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Erotomanie, de la dangerosité induite ?

a. Expertises psychiatriques

Rôle de l’expert psychiatrique

Pour devenir expert psychiatre au niveau national, certaines conditions au niveau régional (tribunal de grande instance) s’imposent dans un premier temps.

Pour être expert régional, il faut n’avoir jamais commis d’actes immoraux, avoir les compétences requises (titulaire du diplôme de psychiatrie, et cinq ans de pratique après le diplôme, avec des formations complémentaires facultatives comme par exemple des diplômes universitaires), exercer dans l’ère de compétence du tribunal régional, avoir entre 30 ans et 70 ans et être de nationalité française.

Cette fonction dure trois ans avant de pouvoir être titularisé par une commission bipartite. L’expert régional peut être maintenu à cette fonction pour une période de 5 ans reconductibles.

La titularisation exercée pendant trois années consécutives à l’échelle régionale est nécessaire pour exercer sur la liste nationale. Cet exercice peut durer jusqu’à 7 années reconductibles à la demande de l’expert.

La liste nationale est donc établie par la Cour de Cassation.

L’expert psychiatre est mandaté par le magistrat dans l’affaire pénale concernée. L’expert rencontre alors le prévenu en pré-sentenciel, et prévient ce dernier des raisons de cette rencontre.

L’expert établit un rapport écrit où il s’astreint à répondre aux questions posées par la magistrature, et le rend à la fin de son enquête, afin que la Cour statue.

L’expert décrit l’état psychique de l’individu au moment des faits, et justifie si la maladie psychiatrique en cause est décompensée au moment des faits et si elle a altéré le discernement du sujet. Il s’assure également que les faits reprochés au sujet soient bien en lien avec des troubles psychiques.

118 La décision de responsabilité pénale incombe à la magistrature, qui peut choisir de suivre ou non l’avis de l’expertise.

Des données récentes montrent une grande hétérogénéité dans les expertises selon les psychiatres. 180 Elle s’explique par l’influence morale, ethnique, culturelle, religieuse,

environnementale de chaque expert.

Notion d’abolition du discernement

Sous Napoléon en 1810, le code civil reprend dans l’article 64 la notion d’irresponsabilité pénale.

« Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était sous un état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint à une force à laquelle il n’a pas pu résister ». 181

La sentence est équivoque, soit la personne est qualifiée de démente et elle sera internée, soit elle n’est pas atteinte de démence et donc elle sera condamnée à de la prison ferme. La nuance n’existe pour le moment pas.

Le code pénal de 1994 abroge cette loi et introduit la notion d’atténuation de la responsabilité dans l’article 122-1, dans son alinéa 1.

« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes »

127

Notion d’atténuation de la responsabilité pénale

Le même article, dans son alinéa 2, introduit la notion d’atténuation de responsabilité.

« La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. » 127

119 La loi Taubira votée en 2014 182 modifie le dit article et précise que la peine encourue doit être réduite du tiers si elle est privative de liberté.

Si la juridiction en vient à ne pas prononcer de réduction de peine, elle doit demander un avis médical puis choisir d’en tenir compte ou pas et motiver sa décision. Elle doit également s‘assurer de la bonne continuité des soins du sujet.

b. Evaluation de la dangerosité

Nouvelle mission de l’expert

Une des nouvelles missions qui incombent à l’expert psychiatre est celle de l’évaluation de la dangerosité d’un patient psychiatrique. 180

Cette notion est apparue assez récemment dans les expertises. Il s’agit en fait de prédire l’éventualité d’une récidive de passage à l’acte hétéro-agressif, à des finalités de prévention tertiaire.

Pour ne pas tomber dans ce piège qui promeut l’expert bouc émissaire de la récidive, il faut que le rôle de l’expert soit clairement défini dans ses limites. L’évaluation pronostique n’est pas la prédiction astrologique de l’avenir.

L’expert évalue les facteurs de pronostic favorable, les facteurs de pronostic défavorable, et surtout, parce que l’avenir n’est jamais su par avance, il indique les mesures à préconiser pour s’appuyer sur les premiers et limiter les seconds. La psychiatrie ne peut se voir déléguer le fantasme collectif du risque zéro.

Cette évaluation dépend à la fois de la subjectivité de l’expert, de ses convictions, et de son expérience professionnelle.

De plus, elle dépend de multiples facteurs environnementaux du sujet en cause (usage de substances, précarité, isolement social), de facteurs de soins autour de la maladie du sujet (traitement stabilisé, suivi régulier ou anarchique, degré de compliance aux traitements, pathologies associées, bonne acception des troubles) et enfin du sujet lui-même (traits de personnalité, tempérament).

120 D’autres questions concernant le pronostic d’un patient sont récemment entrées en jeu au travers des expertises, comme les notions de curabilité ou de ré-adaptabilité. Elles entraînent inexorablement une modification du travail de fond de l’expert, qui doit non seulement tenir compte de variables au moment des faits, mais également de variables futures, difficilement prédictibles.

La loi, qui accorde une large place à l’expertise psychiatrique, est l’occasion d’une nouvelle définition de ses objectifs et de ses limites, en délogeant l’expert d’une illusoire position de devin qui profère des avis péremptoires, et de lui confier plutôt celle du clinicien qui, puisant dans son expérience de thérapeute, est susceptible de donner à la justice des avis compétents et prudents pour la guider dans ses décisions.

Quels sont les facteurs prédictifs de passages à l’acte hétéro-agressifs ?

Les auteurs s’accordent à rassembler plusieurs éléments impliqués dans le risque de passage à l’acte hétéro-agressif de l’érotomane (allant de la menace verbale, en passant par les dégâts matériels, jusqu’à l’agression physique ou sexuelle) :

Le sexe masculin : En effet, les hommes ont une tendance à être beaucoup plus intrusifs que les femmes. Les femmes passent par des conduites harcelantes distanciées, préférant les appels, les courriers à répétition, tandis que les hommes sont plus à même de suivre, d’aller déranger physiquement leur victime. Les populations médico-légales sont de ce fait quasi exclusivement masculines. Une femme est plus rarement mise sous le coup de la justice pour des conduites harcelantes. Mullen donne le chiffre de 11 sur 14 hommes à la fois stalker et érotomanes. 168, 33

La consommation de toxiques associée : elle est souvent davantage consommée par le sexe masculin. 33 Néanmoins, les femmes peuvent décrire des comportements

d’alcoolisation ou de prises d’anxiolytiques dans les instants qui précédent un appel harcelant, ou bien juste avant de rédiger un courrier qu’elles iront poster.

Une personnalité pré morbide de type antisocial : Cet état antérieur pré morbide semble constituer une prédisposition assez centrale dans les tendances à avoir des comportements agressifs. Les auteurs portent également leur attention sur d’autres traits

121 de personnalité à risque dans les études médico-légales, comme la personnalité borderline, narcissique, dépendante, histrionique. 33

La multiplicité des objets : Avoir plusieurs objets invite logiquement le sujet à multiplier les conduites harcelantes et donc multiplier les risques de passage à l’acte. 183, 184 Les

hommes, et les érotomanes secondaires sont plus à même de multiplier les objets. Mullen 183 estime que les érotomanies secondaires ont une propension plus accrue à

changer d’objets, ce qui participe à une augmentation du risque de passage à l’acte.

Menzies 184 conclue que l’accumulation d’un trouble de la personnalité et d’une multiplicité des

objets renvoie à un potentiel de dangerosité de presque 89%.

Cumuler tous ces facteurs de risque prédisposants à la violence ne veut pas dire en faire réellement preuve. Le clinicien se doit d’émettre des réserves quand il évoque la dangerosité possible d’un érotomane.

Limites et biais des études

Dunne chiffre une population de 10% de patients érotomanes ayant des conduites de stalking,

128 tandis que Mullen affirme en compter jusqu’à 30%.

Kennedy estime quant à lui que moins de 50% de comportements harcelants se repèrent dans une population érotomane, et moins de 5% ont des comportements violents 26.

Cette évaluation de la dangerosité chez l’érotomane semble alors biaisée, dans le sens d’une surestimation des potentiels de dangerosité des érotomanes. En effet, les études proviennent d’échantillons médico-légaux et ne prennent pas en compte le restant de la population concernée par la pathologie.

Nous avons déjà vu qu’une personne atteinte d’érotomanie peut fonctionner sans altération majeure de son comportement, n’être jamais diagnostiquée et délirer « en silence ».

Cependant, la faible prévalence de l’érotomanie et son sous-diagnostic évident amène une difficulté supplémentaire pour son étude dans un échantillon de population générale.

De plus, il se peut que les érotomanes considérés comme dangereux soient diagnostiqués à mauvais escient dans ces populations médico-légales, puisque la phase de rancune se confond

122 parfois avec un délire de jalousie ou de persécution. En effet, les autres troubles délirants comme le délire de jalousie et de persécution sont des maladies à plus fort risque de passage à l’acte.

Ce constat de biais de sélection majeur ouvre la perspective de nouvelles études menées sur de plus larges échantillons de patients érotomanes tout venant, afin de définir leurs profils psychopathologiques. Ces études amèneraient à se questionner sur la prédictibilité de passages à l’acte violents des érotomanes en population générale.

Ces études sont difficiles à mettre en œuvre à cause du sous-diagnostic en population générale, de la faible prévalence, de la complexité des tableaux cliniques, et de l’évolutivité de la maladie propre à chaque patient.

Résumé

Les balbutiements médico-légaux de l’érotomanie émanent de Zieller, puis connaissent une véritable assise avec Alphonse Portemer. Il met l’accent sur leur potentielle dangerosité et introduit une notion d’irresponsabilité pénale pour ces patients, qui ne doivent pas être enfermés en prison. C’est une possibilité qui s’envisageait déjà depuis le code pénal de Napoléon et son article 64, où il était question des patients atteints de démence et qui étaient exemptés de condamnation carcérale.

Les expertises psychiatriques pénales s’efforcent de décrire le sujet érotomane au moment des faits et d’établir si l’acte commis est en lien direct avec leur délire. La loi du code Pénal de 1994 visite à nouveau la notion d’abolition du consentement (article 1) et nuance en introduisant celle d’atténuation de responsabilité (article 2). En ce cas, la loi Taubira précise que si la peine encourue est privative de liberté, elle est réduite du tiers de la peine encourue habituelle pour le même délit et/ou crime.

Une des nouvelles missions qui incombe à l’expert psychiatre nommé par la magistrature est celle de l’évaluation de la dangerosité du prévenu. Les notions de pronostic, de réadaptibilité et de curabilité sont également questionnées.

123

La prédiction du clinicien n’est pas celle de l’astrologue. L’expert doit être délogé d’une illusoire position de devin qui profère des avis péremptoires, et que l’on lui confie plutôt celle du clinicien qui, puisant dans son expérience de thérapeute, est susceptible de donner à la justice des avis compétents et prudents pour la guider dans ses décisions.

Les facteurs prédisposants à la dangerosité de l’érotomane semblent se constituer autour du sexe masculin, des antécédents de passages à l’acte, de la toxicomanie associée, des fonctionnements pré-morbides de troubles de personnalité (notamment des traits anti-sociaux) et de la multiplicité ou la simultanéité des objets. Les érotomanies secondaires auraient un potentiel de dangerosité plus élevé.

Les études quant à l’estimation de la dangerosité des érotomanes semblent contenir de larges biais de sélection, en ce sens où elles sont menées à partir d’échantillons médico-légaux et non pas à partir de la population générale. La dangerosité des érotomanes semble être surestimée à cause de ces biais.

La faible prévalence du trouble, le mauvais repérage des signes cliniques par les soignants, et le fonctionnement possiblement préservé des érotomanes des années durant, ne facilite pas la construction de nouvelles études.