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Chapitre 3- Cadre théorique

3.1. Psychodynamique du travail

Au début des années 1970, Christophe Dejours s’inspire de la psychanalyse, de l’ergonomie et de la sociologie du travail, développée dans les années 1960, en proposant la psychopathologie du travail comme moyen d’appréhender les maladies mentales spécifiques au travail (Alderson, 2004b). Au cours des années 1980, Dejours, accompagné d’une équipe multidisciplinaire (ergonomes, médecins du travail, psychiatres, psychanalystes, sociologues) cherche à affiner sa compréhension concernant la capacité des travailleurs à faire face à des exigences de travail difficiles. Par la suite, la psychodynamique du travail (PDT) voit le jour, nouvelle conceptualisation du rapport entre l’organisation du travail et les travailleurs (Dejours, 1993).

La PDT se définit comme l’analyse de la souffrance psychique provenant de la confrontation des travailleurs à l’organisation du travail et des processus intersubjectifs mis en place pour y faire face (Dejours, 1993). La souffrance au travail est au centre de l’analyse en PDT, plus particulièrement les conditions qui vont mener à une aggravation pathogène, ou à la transformation de la souffrance en plaisir au travail.

La PDT cible surtout le récit vécu d’une situation de travail dans toutes ses dimensions, l’accent pouvant porter autant directement sur l’organisation du travail, que sur l’activité elle-même. La réalité du travail pouvant s’avérer contraignante pour les travailleurs, l’investigation des contraintes et de leurs incidences psychopathologiques fait émerger comment les travailleurs négocient avec la souffrance dans le rapport au travail. La théorisation en PDT émerge de l’expérience vécue du travail, du travailler (Trudel, 2000). Elle s’avère ainsi tout indiquée lorsqu’il est question d’explorer le rapport subjectif qu’entretient un travailleur avec un aspect de l’organisation de son travail.

3.1.1. L’activité de travail telle que décrite en PDT

Selon la théorisation en psychodynamique du travail, le travailleur désire s’impliquer dans son travail, car il est en quête constante de réalisation de soi. Tout individu a le désir de s’accomplir, ce qui le porte à vouloir contribuer à la construction d’une œuvre commune (Alderson, 2004a). Le besoin d’accomplissement personnel est ainsi directement ancré

dans la nécessité d’apporter une contribution singulière au travail. Comme l’explique Dejours (1998) « travailler ce n’est pas seulement produire ou fabriquer, ce n’est pas seulement transformer le monde, c’est aussi se transformer soi-même, se produire soi- même » (p.7).

Une fois investi dans le travail, le travailleur rencontre des épreuves qui lui permettent de se révéler à lui-même. En interpelant son intelligence pratique et en sollicitant sa créativité, le travail rend alors possibles l’accomplissement et la construction de son identité (Vézina, 2000). Le travailleur entretient un rapport subjectif avec son activité de travail, la réalisant à sa façon. Ce mouvement constitue le travail réel; ce que le travailleur fait réellement à travers son activité. Le travailleur a une « place de témoin privilégié de sa situation de travail, à partir de laquelle il peut penser son rapport au travail, en trouver le sens, mais aussi agir sur cette réalité pour la rendre la plus conforme possible à ses besoins, à ses désirs et donc opérante dans la construction de son identité au travail » (Carpentier-Roy, 1995, cité par Alderson, 2004a, p.245).

En plus d’être un lieu de production de soi, le travail est un lieu de production de relations sociales (Dejours, 2009). Ainsi, Vézina (2000), explique que le travail est une activité comprenant une triple relation : « à l’objet de l’action, aux autres personnes concernées par l’objet et à soi-même » (p. 36).

L’activité de travail, à travers ses sources de plaisir et ses sources de souffrance, renferme la possibilité de contribuer de manière significative au bien-être du travailleur, tout comme celle de nuire à sa santé psychologique.

3.1.2. Plaisir et souffrance au travail

Les sources de plaisir et de souffrance dans le travail apparaissent lors de la rencontre entre le travailleur et une situation de travail dont les enjeux et les méthodes sont, en grande partie, déterminés sans lui (Alderson, 2004). La souffrance est, selon la PDT, inévitable à tout travail. Elle doit être comprise en dehors de ses connotations conventionnelles (qui font habituellement référence à la misère, au malheur) et plutôt entendue comme une résistance du réel. Le plaisir au travail, quant à lui, fait référence à un état de bien-être

psychique qui repose, entre autres, sur la reconnaissance, la coopération, la solidarité et la confiance (Dejours, 1989). Le plaisir et la souffrance au travail ne sont pas mutuellement exclusifs, ils se côtoient (Alderson, 2004b). De même, le plaisir au travail doit être précédé d’une certaine souffrance, laquelle a été sublimée en plaisir. Par exemple, devant les défis de son travail, le travailleur met en œuvre toute son ingéniosité et mobilise son intelligence pour développer diverses solutions. Il découvre alors de nouvelles habiletés et prend confiance en ses savoir-faire, ce qui est source de plaisir (Dejours, 2013). C’est ainsi que le travailler a le pouvoir de transformer la souffrance en sentiment de plaisir. Toutefois, la souffrance pathogène apparaît quand l’organisation du travail ne permet pas le dépassement des défis et retranche tout plaisir. Ainsi, le plaisir et la souffrance sont deux éléments en relation l’un avec l’autre dans une dynamique toujours en mouvement. Plusieurs facteurs d’une situation de travail peuvent avoir une influence sur cette dynamique et lorsqu’il y a rupture, le travail devient un lieu à risque pour la santé psychologique (Alderson, et al., 2011).

Afin d’appréhender le plaisir et la souffrance au travail, ainsi que les facteurs pouvant influencer leur relation, il est essentiel de mettre en place des moyens pour pouvoir les dévoiler. Ces moyens doivent obligatoirement passer par la parole des travailleurs, qui sont les seuls à pouvoir parler du rapport subjectif qu’ils entretiennent dans leur activité.

3.1.3. Stratégies défensives

Différentes stratégies défensives sont utilisées par les travailleurs lorsqu’ils ne sont plus en mesure de transformer les sources de souffrance en sources de plaisir, mais qu’ils tentent tout de même de maintenir leur engagement dans l’activité de travail (Dejours, 2000). Ces dernières permettent d'esquiver ou de rendre plus acceptables les situations de travail difficiles et à transformer, voire banaliser le réel de travail qui est souffrant (Alderson, et al., 2011). Les stratégies défensives peuvent être adoptées de manière individuelle, partagées entre plusieurs travailleurs, ou encore adoptées collectivement par un groupe de travailleurs agissant dans une même perspective. Les stratégies de défense collectives sont

celles qui se révèlent comme ayant le plus grand potentiel protecteur12. Afin de résister psychiquement aux risques présents dans l'organisation du travail, les stratégies défensives se cristallisent, parfois à l’insu des travailleurs (Maranda, 2007).

La figure 4 illustre la dynamique entre les différents concepts clés de la psychodynamique du travail. Représentée comme une sphère en mouvement, l’organisation du travail et ses composantes (travail prescrit, exigences, contraintes, collègues) n’y sont pas stables. L’équilibre entre le plaisir au travail et la souffrance y est représenté comme une balance, soutenue par les stratégies défensives et dont le mouvement vers la souffrance est influencé par les variations de l’organisation du travail. En utilisant des stratégies, les travailleurs tentent de rétablir l’équilibre du plateau vers le plaisir, ou encore de continuer « malgré tout ». C’est lorsque les attitudes mobilisées permettent de préserver l'équilibre psychique dans des situations de travail difficiles et déstabilisantes qu’elles sont utiles aux travailleurs.

Figure 4. Schématisation de l’articulation des concepts centraux en psychodynamique du travail

12 Dans les collectifs où les hommes sont majoritaires, ces stratégies se structurent autour du déni de la

vulnérabilité, alors que l’autodérision, les techniques de rapprochement et de distanciation sont celles les plus mobilisées dans les collectifs féminisés (Saint-Arnaud, Marche-Paille & Toulouse, 2014).

Organisation du travail

Plaisir Souffrance

En somme, la psychodynamique du travail, à travers ses postures épistémologiques et méthodologies (qui seront détaillées dans un chapitre ultérieur de cette thèse) permet de cerner l’équilibre entre le plaisir et la souffrance au travail et de détailler les stratégies défensives qui sont mises de l’avant par les travailleurs dans leur tentative de maintenir l’état de bien-être au travail.

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