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Les éléments présentés jusqu’ici permettent de circonscrire le phénomène au cœur de la présente thèse, à savoir l’impact de l’innovation sur le rapport subjectif que le travailleur entretient avec son activité de travail. Le travail correspond à un lieu où se jouent différentes expériences subjectives et intersubjectives (Alderson, 2004). Dejours (1980) insiste sur le fait que ces expériences ont des effets directs sur la santé des travailleurs. Même si le caractère pathogène de certaines dimensions de l’organisation du travail est bien documenté, la recherche portant sur la perception de l’innovation du point de vue des travailleurs semble très peu développée. En effet, lorsqu’il est question d’innovation au travail, Simpson, Siguaw et Enz (2006) soulignent l’effet de biais positif retrouvé dans la littérature scientifique. Que ce soit dans les thématiques abordées en recherche, qui s’orientent davantage sur les moyens optimaux pour implanter efficacement une innovation au travail, que dans le manque de données portantes sur l’impact de l’innovation sur les travailleurs, ce biais fait montre d’une innovation d’emblée jugée souhaitable pour les entreprises (Simpson, Siguaw & Enz, 2006). Godin (2015) souligne pour sa part que malgré le nombre important d’études portant sur l’innovation publiées à chaque année, très peu d’études s’intéressent au concept d’innovation lui-même. En effet, puisque

l’innovation est largement considérée comme souhaitable, peu de réflexions critiques entourent le concept et son utilisation (Godin, 2015).

Bien que les études portant sur l’innovation, notamment dans le secteur économique, politique et social, s’attardent parfois au rapport entre le travailleur, son activité de travail et l’innovation, le regard qu’ils portent ne permet pas d’élaborer des pistes favorisant la santé psychologique et le bien-être des travailleurs qui évoluent dans un contexte innovant. Les articles recensés, bien que ne s’y limitant pas, s’articulent plutôt principalement autour de trois grandes thématiques7 : l’exposition et l’analyse des nouvelles formes d’innovation (qu’elles soient de types technologique, social, organisationnel, etc.), les meilleurs moyens pour implanter une innovation et la rendre pérenne, et les défis rencontrés par les gestionnaires (notamment les employeurs, les cadres et le personnel du secteur des ressources humaines) en contexte innovant.

Tout de même, quelques études s’attardent non pas à savoir comment intégrer l’innovation, mais bien si cette innovation (principalement de type technologique) a un effet sur les travailleurs. C’est le cas notamment des travaux de Cros, Bobillier-Chaumon et Cuvillier (2016), qui, à partir de l’analyse de l’activité de travail de six opérateurs intervenant dans la circulation des trains, apprécient l’impact de l’introduction de nouvelles technologies. Ils rapportent que d’un point de vue individuel, l’usage de nouveaux dispositifs techniques engage un coût cognitif élevé. D’un autre côté, ils permettent aux travailleurs de développer de nouvelles compétences et d’élargir leur champ d’action. D’autres études portant sur les nouvelles organisations du travail se caractérisant par l’utilisation de technologies de pointe montrent un plus grand désir d’engagement de la part des travailleurs, mais aussi une prévalence importante de l’épuisement professionnel (Demerouti, et al., 2014).

De plus, sans questionner directement l’innovation, certaines études se sont intéressées à l’impact des transformations et des changements organisationnels, caractéristiques présentes en contexte innovant. Entre autres, une étude menée en Belgique par

7 Selon la recension des écrits réalisée dans le cadre de cette thèse dans les bases de données scientifiques

tant en sciences de la santé qu’en sciences humaines et sciences de la gestion, portant sur les mots clés Innov*, Innovation, Innover, Innovation au travail, Culture innovante, Innovation and work, Innovative culture.

Vandenberghe, De Keyser, Vlerick et D’hoore (2004) confirme que les changements organisationnels sont corrélés à une augmentation des symptômes de stress chez les travailleurs, puisqu’ils résultent en une moins grande satisfaction au travail, plus de stress négatif, moins de stress positif, une qualité de vie plus faible et des plaintes médicales plus fréquentes.

Dans le cadre de cette thèse, l’intérêt est de questionner le rapport qu’entretiennent des travailleurs avec l’innovation dans l’optique de dégager des pistes pouvant favoriser la santé psychologique au travail. En regard de la problématique énoncée et des connaissances actuelles dans le domaine, questionner ce rapport s’avère pertinent non seulement puisque très peu de données empiriques portent sur ce thème, mais aussi pour trois raisons fondamentales ; tout d’abord puisque l’innovation fait maintenant partie intégrante de la culture d’un très grand nombre d’entreprises du secteur public et privé du Québec, deuxièmement puisque l’innovation ne peut être dissociée du capital humain d’une entreprise, et finalement, parce que la compréhension du rapport subjectif qu’entretient un travailleur avec un élément de l’organisation du travail (tel que l’innovation) permet ensuite de proposer des pistes de prévention pour le bien-être des travailleurs (ce qui est nécessaire vu la prévalence actuellement très élevée des problèmes de santé psychologique dans les entreprises québécoises). De surcroit, la problématique de cette thèse permet de mettre en lumière l’importance de s’attarder aux différences pouvant être présentes dans les perceptions des travailleurs d’une même organisation, notamment en regard de leur âge. Dans le contexte du vieillissement de la population active du Québec, cette thèse s’attarde ainsi à dégager la perception spécifique des travailleurs vieillissants quant à l’innovation au travail, afin notamment de la comparer à la perception de l’ensemble des travailleurs rencontrés sur la question. Cela dans l’optique de développer des pistes de promotion et de prévention qui considèrent adéquatement les besoins d’un ensemble d’acteurs différents.

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