• Aucun résultat trouvé

La proximité ou l’Un lévinassien

CHAPITRE II : CLINIQUE DE L’UN ICHNOLOGIQUE – REPONDRE AU DIRE D’EX-

I. L’UN LÉVINASSIEN – UNE REPONSE AU REEL

4. La proximité ou l’Un lévinassien

L’Un lévinassien (Un ichnologique), en tant qu’élection, est le dernier mode de traitement du Réel décrit par Levinas. Je qualifie ce mode de traitement d’Un ichnologique, car il répond au retrait de la trace (trait unaire et articulation signifiante hétérogène – hénologie ichnologique), par l’Un d’exception. Cet Un est à la fois la solution lévinassienne à la rencontre manquée (diachronie) et à l’impossible (le non-rapport), ainsi que le paradigme de son éthique. Cette élection est également une voie d’évasion, notion qui traverse l’ensemble de son œuvre, tentative de nomination du Réel, sous laquelle la logique de l’exception prend différentes formes (dont l’hypostase est une première version). L’évasion accomplit un retrait dans le plein1, un « invraisemblable recul dans le plein du ponctuel, dans

l’inextension de l’un 2». Elle concerne l’arrachement à l’anonyme présence de l’Il y a, mais

également l’arrachement à soi, dont la surprésence reconduit irrémédiablement à l’anonymat3,

à l’échec de la nomination. L’Un d’exception permet également de décompléter le Même. a. Une interprétation du Désir de l’Autre : la proximité

De la révélation comme signification…

L’Autre désirant fait effraction (temporalité messianique) dans la continuité du temps et du discours. La réponse de l’éthicien lévinassien à cette extra-temporalité est la

signification4.

Cette signification éthique a un statut très particulier, elle permet la fonction du signe même : « ce n’est pas la médiation du signe qui fait la signification, mais c’est la signification

(dont l’évènement originel est le face à face) qui rend la fonction du signe possible 5». Cette

signification du visage de l’Autre est première, et permet dans un second temps la possibilité

1 Levinas E., De l’existence à l’existant, op.cit. ; p.118.

2 Levinas E., Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, op.cit., p.139. 3 Calin R., Levinas et l’exception du soi, op.cit., p.73.

4 Levinas E., Totalité en Infini, op.cit., p.330 : « Qui parle, assiste à sa manifestation, inadéquat au sens que l’auditeur voudrait en retenir à titre de résultat acquis et, en dehors de la relation même du discours, comme si cette présence par la parole se réduisait à la Sinngebung de celui qui écoute. Le langage est le dépassement incessant de la Sinngebung par la signification ».

de la fonction du signe1. C’est donc la rencontre de l’Infini dans un premier temps, « première

signification », qui dans un second temps permet le recours à un système de communication.

Ainsi, l’essence du langage est la relation avec Autrui. L’Epiphanie révèle l’Infini, c'est-à-dire Autrui. « La signification précède la Sinngebung 2», c'est-à-dire le don de sens3.

…à la signification du pour-l’Autre

Plus précisément,

« Le sens4, c’est le visage d’Autrui et tout recours au mot se place déjà à l’intérieur du face

à face originel du langage. Tout recours au mot suppose l’intelligence de la première signification, mais intelligence qui, avant de se laisser interpréter comme "conscience de", est société et obligation. La signification, c’est l’Infini, mais l’Infini ne se présente pas à une pensée transcendantale, ni même à l’activité sensée, mais en Autrui ; il me fait face et me met en question et m’oblige de par son essence d’infini 5».

La signification est à la fois l’épiphanie de l’Autre (société) et la réponse de l’éthicien lévinassien (obligation), ce qui n’est pas là pour nous étonner, puisque le Désir de l’homme, c’est le Désir de l’Autre. Pour autant, la transcendance d’Autrui par rapport au sujet responsif n’a pas la même signification que la transcendance de l’éthicien responsif par rapport à Autrui (Levinas parle de non réciprocité). Autrui, enserré, exposé aux pouvoirs, restent imprévisible, c'est-à-dire transcendant, et se manifeste dans la résistance morale du visage à la violence du meurtre. Il y a donc en premier lieu la transcendance d’Autrui, puis en second lieu la réponse, qui est précisément la signification du pour-l’Autre. La manifestation de l’Autre est d’abord hors signification.

La passivité du pour-Autrui (réponse de l’éthicien) exprime une signification où n’entre aucune référence, positive ou négative, à une préalable volonté (manifestation de l’Autre). La diachronie du temps ne tient pas à la longueur de l’intervalle, telle que la représentation ne saurait l’embrasser. Elle est disjonction de l’identité (division subjective) où le même ne rejoint pas le même : non synthèse, lassitude. Le pour soi de l’identité n’y est plus pour soi. L’éthicien est pour-l’Autre, son être s’en va pour l’Autre, son être se meurt en signification, malgré lui dans une obéissance sans désertion possible, responsabilité pour-

1 Idem, p.292-293. 2 Idem, p.227.

3 Cette logique s’apparente à celle du signifiant du Nom-du-Père qui permet le capitonnage de la chaîne. Ainsi la

signification paternelle permet le sens. Voir infra.

4 Le sens renvoie ici à la signification du pour-l’Autre. 5 Idem, p.227.

autrui plus ancienne que tout engagement (donc avant toute volonté). Le Règne de Dieu1, Dieu non thématisable, est obéissance sans désertion. L’être-pour-la-mort (de l’Autre) est patience, non anticipation, durée malgré soi, c'est-à-dire obéissance. Le « malgré moi » est réponse à un appel absolument hétéronome, coup traumatisant.

Le pour-l’Autre est la conséquence de la confrontation au Désir de l’Autre qui permet dans un temps second de lui donner une signification2. Ainsi, « la volonté […] a le temps

d’être pour Autrui et de retrouver ainsi un sens malgré la mort3 ». Autrui se présente

notamment par sa mort, avatar de l’Autre de l’Autre qui n’existe pas (voir supra). La réponse lévinassienne à cette non-existence par la bonté permet d’y inscrire une signification : « Le

Désir où se dissout la volonté menacée, ne défend plus les pouvoirs d’une volonté, mais a son centre hors d’elle-même, comme la bonté à laquelle la mort ne peut enlever son sens 4». Le

pour-l’Autre répond à l’incomplétude, à l’Infini ; signification qui répond à et de l’articulation

signifiante hétérogène.

La patience : un sens nouveau

Être temporel (c'est-à-dire, être fils de l’articulation diachronique), c’est être à la fois pour la mort – celle de l’Autre, celle qui révèle son incomplétude et l’absence d’Autre de l’Autre – et avoir encore du temps, être contre la mort, c'est-à-dire répondre à cette mort par une signification particulière, le pour-l’Autre, ou souffrance. Dans l’angoisse, la mort est encore future, à distance de nous ; la souffrance5 par contre réalise, dans la volonté, la

proximité extrême de l’être menaçant la volonté : virement de Moi en chose6. Par la

souffrance, l’être libre cesse d’être libre, mais, non libre, est encore libre7 : « cette situation où

la conscience privée de toute liberté de mouvements, conserve une minimale distance à l’égard du présent ; cette passivité ultime qui se mue cependant désespérément en acte et en

1 Levinas E., Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, op.cit., p.88-89.

2 Levinas E., Totalité en Infini, 1961, Editions Martinus Nijhoff, 1971, p.263 : « L’ennemi ou le Dieu sur lequel je ne peux pouvoir et qui ne fait pas partie de mon monde, reste encore en relation avec moi et me permet de vouloir, mais d’un vouloir qui n’est pas égoïste, d’un vouloir qui se coule dans l’essence du désir dont le centre de gravitation ne coïncide pas avec le moi du besoin, d’un désir qui est pour Autrui ».

3 Idem, p.263. 4 Idem.

5 Point de renversement, de la mort de l’Autre (S(Ⱥ)) à la souffrance du pour-l’Autre, équivalent conceptuel à

l’opération de capitonnage (boucle rétroactive) de la métaphore paternel chez Lacan.

6 Idem, p.266.

espoir – est la « patience » - la passivité du subir et cependant, la maîtrise même 1». L’Autre,

par sa présence matérialisée par son Désir, pulvérise la liberté de l’éthicien (destitution subjective, donc aliénation à l’Autre). La patience permet d’y répondre, dans une passivité du

subir qui redonne une paradoxale maîtrise au sujet (l’éthicien). La réponse lévinassienne à

l’Autre est donc bien un traitement de l’effraction du Réel (celle de la diachronie signifiante), de l’impossible relation entre l’Autre et l’éthicien :

« L’être, explique Levinas, qui me violente et me tient n’est pas encore sur moi, il continue à menacer à partir de l’avenir, n’est pas encore sur moi, n’est que conscient. Mais conscience extrême où la volonté arrive à une maîtrise dans un sens nouveau2– où la mort

ne le touche plus, la passivité extrême devient la maîtrise extrême3 (ce qui fait la patience).

L’égoïsme de la volonté se place au bord d’une existence qui ne porte plus l’accent sur soi4 ».

Du par au pour

Ce sens nouveau émerge face à l’énigme du désir de l’Autre5, et se décale des

tentatives précédentes de nomination imaginaire (paresse) et de nomination symbolique par l’hypostase6 :

« Ainsi seulement la violence reste supportable dans la patience. Elle ne se produit que dans un monde où je peux mourir par quelqu’un et pour quelqu’un. Cela situe la mort dans un contexte nouveau et en modifie le concept, vidé du pathétique qui lui vient du fait d’être ma mort. Autrement dit, dans la patience, la volonté perce la croûte de son égoïsme et comme déplace le centre de sa gravité hors d’elle pour vouloir comme Désir et Bonté que rien ne limite ».

Le traitement du Réel diachronique est manifeste dans le glissement du par au pour, du dérangement par l’Autre, à la solution du pour-l’Autre. Le percement de l’égoïsme manifeste une modalité de traitement qui se décale d’une nomination imaginaire par une seconde version de nomination symbolique (autre que celle de l’hypostase), et plus précisément, par une opération paternelle7.

1 Idem, p.266. 2 Je souligne. 3 Renversement lévinassien. 4 Idem, p.266. 5 Opération paternelle.

6 Levinas E., Totalité en Infini, op.cit., p.267. 7 Voir infra.

b. Logique de l’exception

L’exception du signifiant du Nom-du-Père : l’élection fondationnelle

La signification que Levinas met en place s’accompagne de la position qu’adopte l’éthicien face à l’assignation de l’Autre réel : l’exception1 (Levinas parle généralement

d’élection). Le Réel se présente sous différentes versions dans l’ensemble de son œuvre: d’abord le corps, puis l’Il y a comme version plus étendue de l’insupportable, et enfin, le non- rapport à l’Autre (diachronie). Une première modalité de traitement est imaginaire : celle de l’inhibition dans la paresse. Une seconde est symbolique, l’hypostase qui s’extrait de l’horreur de l’Il y a, Un-en-retrait qui permet au chaos de s’organiser en monde. La dernière repose à

nouveau sur la logique de l’Un-en-retrait (Un ichnologique)2. Cette ultime version est proche

de ce que Lacan déplie autour du signifiant du Nom-du-Père, signifiant d’exception, et de la signification phallique (signification de l’incomplétude de l’Autre – le phallus est le signifiant du manque de signifiant au champ de l’Autre), qui vient à la place du Désir énigmatique et embarrassant de l’Autre, réponse à l’articulation signifiante hétérogène. La singularité lévinassienne, c’est que c’est l’éthicien, confronté à l’Autre, qui incarne lui-même l’exception, pour répondre à cet Autre inconsistant dans le « retentissement d’une vocation

d’au dessus du logique qui commande encore l’individu à travers les nécessités du genre et de l’espèce et éveil à une vigilance, originelle et ultime, de la pensée à autrui […] 3».

Une autre version de l’exception chez Levinas se trouve dans son commentaire du concept de Moi pur husserlien, où l’absoluité du Moi pur lui interdit le statut de particulier (car le particulier fait parti d’un ensemble et n’est donc pas en retrait) :

« Il est absolument dépourvu de composantes explicites, il est en soi et pour soi indescriptible, moi pur et rien de plus. Absolu et pur auquel la vie noético-noématique remonte et dont elle procède, le Moi supporte et, sans doute, soutient l’épreuve méthodologique suprême de la Réduction transcendantale par laquelle Husserl retourne à la pensée, pure de toute compromission avec les "choses du monde", qui n’ont qu’à "se tenir

1 Levinas E., La laïcité et la pensée d’Israël (1960), dans Les imprévus de l’histoire, op.cit., p.161 : « pour que les hommes puissent s’aborder les uns les autres, sans heurts, en se reconnaissant mutuellement dans leur dignité humaine par laquelle ils sont égaux, il faut que quelqu’un se sente responsable de cette égalité au point d’y renoncer, au point d’exiger de soi "infiniment plus" et "toujours davantage ».

2 Levinas E., La spiritualité chez le prisonnier israélite, dans Œuvre complète, Tome I, op.cit., p.206 : « Habitué depuis longtemps à se considérer comme appartenant à la Communauté française il a connu la grande douleur d’en être exclu, mais acculé à son judaïsme il y a puisé autre chose que l’amertume de l’outrage et de la honte. L’humiliation reprit la saveur biblique de l’élection ».

tranquilles" si on peut dire, qu’à être et qu’à apparaître, qu’à se montrer sans ambages, sans les ombres mêmes que pourraient projeter les choses qui lui apparaissent à lui le pur et l’impassible Moi ou Je, sans dépôt ni usure que les phénomènes pourraient lui laisser, préservé de tout commerce inaperçu ou clandestin avec l’objet, de toute complicité prématurée avec le vrai où l’apparaître seul importe 1».

Ce Moi pur est en dehors de l’étant, transcendant, seul à apporter la comparution originaire de tout. Il n’est ni particulier ni universel, mais unique depuis toujours. A la suite de ce passage, Levinas associe sur l’élection éthique. Dans les deux cas, le point commun est l’exil hors du monde (exil de la langue) auquel il incombe au sujet qui s’excepte (l’éthicien) de donner sens à l’ensemble, ce que Jean Michel Salanskis qualifie admirablement d’élection

fondationnelle2. L’éthicien est comptable et responsable de tout l’édifice de la Création3,

« nuque raide qui supporte l’univers 4».

L’exception lévinassienne est épinglée de différentes nominations : responsabilité5,

parole prophétique qui « répond essentiellement à l’épiphanie du visage […] comme moment irréductible du discours suscité essentiellement par l’épiphanie du visage 6». On peut

percevoir ici une bifidité. D’un côté, le prophète est celui qui fait entendre ce qu’il a entendu, interprétation du Dire de l’Autre qui permet à ce dire même d’ex-sister7 ; d’un autre côté, le

prophète rejoint la logique phallique8, (l’éthique lévinassienne rejoint le premier tour de

L’étourdit). Cette position face au visage permet de constituer le fait originel de la fraternité

(le sujet est « fils du discours9 »), l’Un élu permet la consistance de l’ensemble10 : « Le

mot "je" signifie "me voici1", répondant de tout et de tous2 ».

1 Idem, p.211-212.

2 Salanskis J.M., L’émotion éthique – Levinas vivant 1, Editions Klincksieck, 2011, p.87. Levinas parle de

« particularisme qui conditionne l’universalité » (Levinas E., Une religion d’adultes (1957), dans Difficile

liberté, Biblio essais, 2010, p.44).

3 Levinas E., Pièces d’identité (1963), dans Difficile liberté, Biblio essais, 2010, p.86. 4 Idem.

5 Levinas E., La trace de l’Autre, dans En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, op.cit., p.274 :

« responsabilité comme si tout l’édifice de la création reposait sur mes épaules ».

6 Levinas E., Totalité en Infini, op.cit., p.235.

7 Levinas E., Philosophie, Justice et Amour, (1982), dans Levinas E., Entre nous, Essais sur le penser à l’autre,

op.cit., p.125. Les instants prophétiques sont des instants de crise de l’être : « Dans la structure même de la

prophétie s’ouvre une temporalité rompant avec la rigueur de l’être, avec l’éternité comprise comme présence qui ne passe pas ». Le prophétisme n’est pas oracle mais hétéronomie, traumatisme de l’inspiration.

8 Levinas E., Judaïsme et temps présent (1960), dans Difficile liberté, op.cit., p.318-319 : Le prophète est

indépendance, voire exception : « l’homme le plus profondément engagé dans sa vie – celui qui ne peut jamais

se taire – le prophète – est aussi l’être le plus séparé, le moins capable de devenir institution ». Idée

d’indépendance qui va jusqu’à l’indépendance économique. Ceci s’acquiert « par un mode de vie – rite et

générosité de cœur – où une fraternité humaine et une attention au présent se concilient avec une éternelle distance à l’égard du contemporain ».

9 Lacan J., Le Séminaire Livre XIX, ou pire…, séance du 21 juin 1972.

10 Rendre Grâce (dire en retour) se dit en hébreu Léhodot. Le mot Yéhouda (Juda) et le mot Yéhoudi (juif) sont

formés sur cette racine (question de l’exception Juda/Juif). Yéhouda s’écrit de cinq lettres : yod-hé-vav-dalèt-hé, soit le tétragramme, plus la lettre dalèt. Cette lettre dalèt dit porte, d’où yéhouda dit porte dans le nom

La fondation de la communauté humaine

La fraternité, ou communauté humaine qui s’instaure par le langage – où les interlocuteurs restent absolument séparés – ne constitue pas l’unité du genre (totalité), elle ne s’explique pas par la ressemblance des frères. C’est la responsabilité de l’éthicien en face d’un visage le regardant comme absolument étranger qui constitue le fait originel de la fraternité. L’égalité (entre les autres hommes) dépend de l’accueil du visage3. L’éthicien, comme Un-

hors-communauté, prend à sa charge la constitution de la communauté, ce qui le conduit à

incarner une place au-delà de l’universel, au-delà de la justice, au-delà de la loi (puisqu’il la fonde), celle d’élu4. Proférer « je » – affirmer la singularité – signifie posséder une place

privilégiée à l’égard des responsabilités pour lesquelles personne ne peut remplacer l’éthicien. La justice, la loi, ne serait pas possible sans l’unicité de l’éthicien. L’appel à la responsabilité infinie confirme la subjectivité dans sa position apologétique (élection) et une impossibilité de se dérober. C’est ce qui constitue la subjectivité de l’éthicien, l’exception sert l’univers5,

« c’est en posant la solitude en termes spécifiques du" je" que l’on peut découvrir le sens de

la "collectivité" 6».

Atlas éthique et anachorèse

Levinas utilise de nombreuses formules pour qualifier ce statut d’exception qui permet de fonder l’ensemble et de donner une consistance à l’inconstant7 tout en marquant

dans le temps, qui refuse l’installation dans le présent (l’hébreu n’a pas de verbe être au présent), et une modalité de traitement de la diachronie irréductible – nomination.

1 Le Me voici fait référence au hineni biblique prononcé par Abraham et Isaïe en réponse, toujours inadéquate, à

Dieu.

2 Levinas E., Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, op.cit., p.180-181.

3 Levinas E., Totalité en Infini, op.cit., p.236 : « le monothéisme [l’Un de la trace] signifie cette parenté humaine (fraternité), cette idée de race humaine qui remonte à l’abord d’autrui dans le visage, dans une dimension de hauteur, dans la responsabilité pour soi et pour autrui ».

4 Idem, p.274 : « la justice ne m’englobe pas dans l’équilibre de son universalité – la justice me somme d’aller au-delà de la ligne droite de la justice, et rien ne peut marquer dès lors la fin de cette marche ; derrière la ligne droite de la loi, la terre de la bonté s’étend infinie et inexplorée, nécessitant toutes les ressources d’une présence singulière. Je suis donc nécessaire à la justice comme responsable au-delà de toute limite fixée par une loi objective. Le moi est un privilège ou une élection. La seule possibilité dans l’être de traverser la ligne droite de la loi, c'est-à-dire de trouver une place au-delà de l’universel – c’est être moi. La moralité dite intérieure et subjective, exerce une fonction que la loi universelle et objective ne saurait exercer, mais qu’elle appelle ». 5 Levinas E., Difficile liberté, op.cit., p.135-136.

6 Levinas E., Carnets de captivité, op.cit., 2009, p.68.

7 Levinas E., Notes philosophiques diverses, op.cit., p.251 : « Le Moi supporte toute la responsabilité comme s’il existait un point privilégié : l’homme en tant que Moi ». Ou encore, dans Difficile Liberté, op.cit., p.39 :

« particularisme qui conditionne l’universalité ». Ou encore, dans les Carnets de captivité, Carnet 2, op.cit., p.83 où Levinas parle du « caractère insulaire de l’existence ». « surindividuation » dans Autrement qu’être ou

l’incomplétude. Le sujet se fait Atlas éthique1, « le Soi est Sub-jectum : il est sous le poids de

l’univers – responsable de tout. L’unité de l’univers est… ce qui m’incombe, me regarde dans les deux sens du terme, m’accuse, est mon affaire 2». Le Moi qui porte cette responsabilité a

un statut différent (unicité de l’élu), il est le seul à être responsable3. Levinas s’appuie sur l’Un de Parménide qui se trouvant en mouvement se met au repos, et lorsque il est au repos se met en mouvement : cette nature d’étrange sorte qui a sa situation dans l’entre deux du mouvement et du repos. Il s’agit dans le texte du Parménide d’une retraite, d’une anachorèse qui ne va pas hors du monde pour s’y installer chimériquement (ce qui reviendrait à un au- delà de l’être qui reviendrait à l’être). En deçà, la Moi est Soi, n’est plus de l’être, ni de