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CHAPITRE I : LACAN ET LEVINAS – UNE ETHIQUE DU DIRE D’EX-SISTENCE

II. UNE ETHIQUE ME-ONTOLOGIQUE

1. L’ex-sistence

a. La différence ontologique

Un mouvement d’ouverture à l’altérité

Lacan et Levinas ont tous deux une dette à l’endroit de Heidegger qui a su mettre en évidence l’existence de l’Etre. Levinas3 souligne que l’ontologie heideggérienne est la

primordiale raison de l’intelligence du sens verbal du mot être4. Le verbe être est, de tous, le mieux entendu et pour autant le moins définissable. Le grand pas de Heidegger est d’avoir inscrit dans le marbre la différence ontologique entre l’Etre (l’œuvre même d’être) et l’étant (le nom, les êtres qui sont). Cette distinction est, pour Levinas, transcendance, premier pas d’un mouvement d’ouverture à l’altérité5, rupture du Même.

Dans la langue grecque, le verbe être est condition de tous les prédicats, il a une fonction logique, copulative, qui opère comme synthèse. Au contraire, en hébreu (tradition dont se réclame Levinas6), le verbe hayah, qui se traduirait imparfaitement par le verbe être,

1 Le Réel chez Lacan est la modalité de l’impossible, ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Il s’éprouve

notamment, mais pas seulement, dans le (non)-rapport à l’Autre.

2 En découle, dans le cadre de cette thèse et dans un souci de clarté deux écritures : l’existence heideggérienne

(qui reste aux prises de l’être même si elle implique une différence), et l’ex-sistence (qui s’appuie sur un incommensurable non-résiliable dans le rapport interhumain). Là où l’existence implique une différence ontologique (différence insuffisante aux yeux de Lacan et Levinas), l’ex-sistence implique un non-rapport (réel) à l’Autre.

3 Levinas E., Mourir pour…, (1987), dans Levinas E., Entre nous, Essais sur le penser à l’autre, Editions

Grasset et Fasquelle, 1991, p.206 à 213.

4 Levinas E., Noms Propres, Montpellier, Fata Morgana, 1976, p.9 : « Et grâce à Heidegger, notre oreille s’éduque à entendre dans sa résonnance verbale, sonorité inouïe et inoubliable ».

5 Levinas E., Transcendance et Mal, (1978), dans Levinas E., De Dieu qui vient à l’Idée, Paris, Librairie

Philosophique J. Vrin, 2004, p.193. Levinas précise, page suivante, que c’est cette différence qui a permis à Jean Luc Marion, dans L’Idole et la distance, de ne plus entendre Dieu à partir de l’être.

6 Levinas E., Difficile liberté, Biblio essais, 1984, p.202 : « L’incompréhension de l’essence éthique de l’esprit est due, en grande partie, à l’oubli de l’hébreu ».

n’a pas de conjugaison possible au présent1. Ainsi, la substantivation de l’action qui permet d’assurer ce temps intermédiaire ne peut pas s’appliquer à ce verbe (idem dans la langue russe – langue maternelle de Levinas). La langue hébraïque, contrairement au grec, n’est pas tissé autour du verbe être. Spinoza décrit le présent seulement comme un point, comme si c’était le seul entre passé et futur. Le temps présent se dit beynoni, point intermédiaire insaisissable comme présent et comme présence. L’action ne peut pas être saisie au temps présent (car temps intermédiaire). Ainsi, la conjugaison du présent donne des substantifs (féminin/masculin, singulier/pluriel) qui garde la marque de l’impossible.

Le verbe est une dimension du Dieu des Juifs. Ainsi, le verbe, qui grammaticalement exprime l’action, et conçu comme action pure qui se soustrait à l’espace, n’a lieu que dans la diachronie du temps. L’irréductibilité du verbe hayah à l’esse rend suspecte la traduction du Tétragramme2, Exode 3,14, Eheye Ascher Eheye. On ne peut pas le traduire au présent (Je

suis qui je suis). Ce verbe constitue le nom infini de Dieu, roc de silence dans le langage3, et

indique la fluence du temps (temps déformalisé). Cette parole de Dieu n’est pas un nom (problématique de la nomination, question centrale de l’éthique chez Lacan et Levinas). Le tétragramme est le nom imprononçable, donc pas un nom. YHWH porte la marque des trois temps simultanément, Y (futur), W (présent), H final (passé)4. HaYaH est donc temps pure

irréductible à l’espace. Selon Levinas, la majeure découverte de Heidegger est la transitivité du verbe être, c’est là sa possibilité d’ouverture (différence ontologique).

L’intérêt du philosophe allemand se porte sur l’être comme évènement ou comme geste. La compréhension de son aventure ne se pense pas en terme de quiddité, il ne s’agit pas de s’interroger sur le qu’est ce que c’est, mais sous des modalités adverbiales (existentiaux), ses comment (être-là, être-au-monde, être-avec…). Heidegger réalise ainsi une suspension (épochè) de la quiddité dans l’essence de l’homme pour concevoir cette essence comme existence (déclosion), comme modalité adverbiale de l’évènement de l’être. Il est ainsi à l’origine d’une nouvelle approche du sensé ne reposant pas sur la quiddité.

1 De plus, par l’absence de voyelle, elle manifeste d’autant plus l’absence, et la résistance à la nomination. 2 Marion J.L., La voix sans nom. Hommage – à partir – de Levinas dans Levinas E., Rue Descartes,

Quadrige/PUF, 2006, p.18 : « le nom par excellence de Dieu, tel qu’il le révèle à Moïse, atteste précisément

l’impertinence de tout nom d’essence ou de description en se résumant à une tautologie vide – je suis qui je suis, qui ouvre le champ à la litanie sans fin de tous les noms ».

3 Ouaknin M.A., Méditations érotiques, Essai sur Levinas E., Payot et Rivages, 2003, p.67.

4 HYH renvoie au constant devenir, changement continu dans le temps, marquant l’impossible de la conjugaison

au présent, l’impossible du substantif. Comme la trace lévinassienne (voir infra), il se manifeste par son absence, ne peut pas exprimer la présence, et renvoie à la question de l’Illéité lévinassienne : l’hypostase ne se produit que quand le verbe se transforme en pronom personnel de la 3ème personne du singulier (HW, HY), l’hypostase en

hébreu au présent de la 3ème personne du singulier se dit nistar (l’occulte) – Illéité. L’Illéité signifie dans la trace

L’onto-théo-logie

Lacan entérine indirectement la différence ontologique lorsqu’il rend hommage au discrédit heideggérien quant à la réduction de l’Etre à la dimension de l’étant qui, selon le psychanalyste, se réduit à l’étreinte de l’espace métrique de Descartes et Aristote, soit au registre de la sphère :

« il n'est pas légitime de réduire le corps - au sens propre de ce terme à savoir ce que nous sommes, et rien d'autre, nous sommes des corps - de réduire les dimensions du corps à celle de ce qu'au dernier terme de la réflexion philosophique, Descartes a appelé l'étendue. Cette étendue, dans la théorie de la connaissance, elle est là depuis toujours. Elle est là depuis Aristote. Elle est là au départ de la pensée qu'on appelle - du nom, j'ai horreur de ces foutaises — occidentale. C'est celle d'un espace métrique à trois dimensions, homogène et au départ - ce que ceci implique - c'est une sphère sans limite, sans doute, mais constituée quand même par une sphère. […]. C'est autour de cette appréhension de l'étendue que la pensée du réel, celle de l'étant comme dit Heidegger s'est organisée. Cette sphère était le suprême et le dernier étant : le moteur immobile1 ».

Ce dernier étant est ce que Heidegger a discrédité comme onto-théo-logie, mouvement de réduction de la différence ontologique Etre/étant au seul registre de l’étant (un étant suprême, Dieu, et les autres étants constituant le monde), réduction dénoncée également par Levinas2.

Pour autant, même s’il accrédite la différence ontologique, Levinas ne rapporte pas Dieu à L’Etre, mais au Dire. Heidegger, même s’il joint Dieu à l’Etre et le distingue de l’étant suprême, reste ancré dans une pensée de l’être, ce que Levinas dénonce comme recouvrement de l’Autre par le Même. Bref, « Etre ou ne pas être, ce n’est probablement pas là la question

par excellence 3».

Verwerfung et évènement de l’Ouverture à l’Etre

Lacan note tout l’intérêt de cette différence ontologique en faisant un parallèle entre

Verwerfung (forclusion, rejet) et Evènement d’Ouverture à l’Etre. C’est lors du séminaire L’éthique4 que, faisant référence au das Geviert (le quadriparti), à Hölderlin, et à la

forclusion, le psychanalyste rapproche le concept du retrait propre à la psychose (Verwerfung) du concept heideggérien.

1 Lacan J., Le Séminaire Livre XIII, L’Objet de la psychanalyse, séance du 5 janvier 1966, inédit. Je souligne. 2 Levinas E., Dieu, la mort et le temps, op.cit., p.137-155.

3 Levinas E., La conscience non intentionnelle, (1983), dans Levinas E., Entre nous, Essais sur le penser à l’autre, Editions Grasset et Fasquelle, 1991, p.142.

Dans une confrontation entre Rilke et Hölderlin, Heidegger précise ce qu’il en est du

Geviert. Il accuse le premier d’annuler la différence ontologique, de reconduire l’Etre à l’étant

du sujet. Rilke serait dans la droite ligne de la tradition métaphysique (qui est, toujours selon le philosophe, à l’origine du recouvrement de l’Ouverture de l’Etre par une généralisation de l’étant) : il aurait renversé l’ouvert du monde en l’extrayant de la sphère sacrée du Geveirt, nœud de la Terre et du Ciel, des Divins et des Mortels, lieu dévoilé d’une énonciation pure, Dire originel (le quadriparti – das Geviert). L’Etre est cette question radicale qui dévoile la pauvreté du sujet dans la nuit du monde, fracturant en quelque sorte le registre ontique de l’étant. L’Ouverture à l’Etre est sortie, révolution historiale de la vie vers autre chose qu’elle, une reprise de l’espace ouvert par l’être-jeté du Dasein. Rilke ne ramènerait qu’à la dialectique narcissique (sphère), à l’étant dépourvu d’Ouverture à l’Etre. Le jugement d’Heidegger est sans appel : Rilke ne serait pas un vrai poète, celui qui risquerait le plus et éprouverait, dans l’absence de Salut, l’Etre sans abri, celui qui apporterait aux mortels la trace des dieux enfouis (Etre) dans l’opacité de la nuit du monde (étant). Hölderlin, pour qui le dire n’appartient pas à l’enceinte de la langue1 (quotidienneté), qui a notamment écrit, dans un

poème intitulé La vocation du poète, « Bis Gottes Fehl hilft 2» (qui se traduit par jusqu’à ce

que le défaut de Dieu soit une aide), serait plus proche de l’ouverture, de l’évènement de

l’Etre.

Ainsi, à suivre Lacan, l’expérience ontologique de l’Ouverture à l’Etre équivaudrait au retranchement de l’être – c'est-à-dire la Verwerfung, enjeu de la réponse de Lacan au commentaire de Jean Hyppolite3 à propos du texte de Freud sur la dénégation – Die

Verneinung4. Cet article de l’inventeur de la psychanalyse porte sur le mécanisme inconscient de la dénégation qu’il extrait d’une séquence clinique, le dire d’un patient : « Vous demandez

qui peut être cette personne dans le rêve. Ce n’est certes pas ma mère ». Freud explique ce

qu’il entend par dénégation : une levée du refoulement sans l’acceptation du refoulé, où la fonction intellectuelle se sépare du processus affectif. La dénégation est acceptation intellectuelle du refoulé, mais persistance de l’essentiel du refoulement. Même si est imposée l’acceptation intellectuelle complète du refoulé, le processus de refoulement lui-même n’est

1 Heidegger M., Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1986, p.326. 2 Hölderlin, Poèmes, Aubier, 1943, p.281.

3 Lacan J., Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la « Verneinung » de Freud, (1954), dans Ecrits,

Editions du Seuil, 1966.

4 Cet article de Freud en version allemande et française, traduit et annoté par Jean-Claude Capèle et Daniel

Mercadier, est consultable à l’adresse suivante : http://www.khristophoros.net/verneinung.html. Egalement consultable dans Freud S., La dénégation, dans Résultats, idées, problèmes, tome 2, Paris, PUF, 1985, p.135- 139.

pas encore levé. Le rôle de la fonction intellectuelle de jugement est d’affirmer ou de nier des contenus de pensée. Nier quelque chose en jugement, par la condamnation (le « non »), permet au penser, par le symbole de la négation, de se libérer des limitations du refoulement. La négation au sein de la dénégation permet de prendre connaissance du refoulé sans l’accepter dans la séparation de l’intellectuel à l’affectif.

Mais, Freud va plus loin et s’attarde sur l’origine psychologique de cette fonction intellectuelle de jugement. Il distingue, au sein de la fonction intellectuelle de jugement, le jugement d’attribution (attribuer ou refuser une propriété à une chose) et le jugement d’existence (reconnaître ou contester à une représentation l’existence dans la réalité). Le jugement d’attribution, c’est la propriété bonne ou mauvaise, en moi le bon, au dehors le mauvais. Le jugement d’existence résulte de la condition à partir de laquelle je peux décréter que la chose existe. Pour Freud, cette fonction a à voir avec le moi-réalité où le principe de réalité se construit à partir du principe de plaisir. Il ne s’agit pas d’inclure le bon et d’exclure le mauvais, mais de savoir, quand on a une perception, si elle existe dans la réalité. Freud est contraint d’en passer par le mythe pour donner forme épique à l’origine du jugement de la fonction intellectuelle. Dans le jugement, il y a introjection et expulsion (mythe du dedans et du dehors). Derrière l’affirmation – Bejahung – il y a l’unification – Vereinigung – qui est la marque même de l’Eros. Derrière la dénégation – Verneinung – il y a expulsion – Ausstossung (Verwerfung) – qui est la marque de Thanatos. Freud décrit ainsi une double opération au sein du jugement d’attribution et du jugement d’existence.

Pour Hyppolite, la construction du texte de Freud sur la dénégation comme origine même de l’intelligence est dialectique (dans le sens hégélien où l’Aufhebung – nier, supprimer et conserver – est négation de la négation). L’intelligence consiste à dire ne…pas, à porter une négation après une première négation (qui serait celle du refoulement). La dénégation est l’Aufhebung du refoulement mais la non-acceptation du refoulé. C’est un mode de présentation de ce qu’on est sur le mode de ne l’être pas où l’intellectuel se sépare de l’affectif. Dire non est le socle où s’élabore l’intellect, la pensée ne surgit qu’avec un contenu nié par la dénégation. La Verneinung est l’étage foncier d’une négativité en acte dans le psychisme, où refus et destructivité porte sur quelque chose de l’affect (le mot est le meurtre de la chose chez Hegel). Bref, la genèse de la pensée (Bejahung) est une négation de la négation où la pensée se sépare de l’affectif. Selon Hyppolite, Bejahung et Ausstossung sont simultanés, Freud a besoin de construire un mythe du dedans et du dehors pour rendre compte d’une négation première.

Pour Lacan, l’approche de Freud porte sur les objets qui entourent le sujet (jugement d’existence et d’attribution), celle d’Hippolyte sur la question de la négativité dans le rapport du sujet avec les objets du monde. Il se penche de son côté sur la négativité dans le rapport du sujet à l’être1, le non intellectuel est une méconnaissance de la première symbolisation en lien avec la mort (question de la Verwerfung – c’est ici que s’inscrit le mythe freudien du dehors et du dedans), la Verneinung est du côté de la négativité mais pas de la mort (négation de la négation). La Bejahung est l’ersatz de l’unification du moi, lieu de la méconnaissance au niveau ontique (l’étant heideggérien) de la conscience du sujet, conscience ontologiquement trouée par la création du symbole de la négation, par l’évènement de l’Ouverture à l’Etre, dans la Verwerfung. Bref, la Bejahung n’est pas totale ou complète, elle s’accompagne d’un retranchement (c’est ici le point commun avec la notion heideggérienne de déclosion/retrait).

« L’affectif dans ce texte de Freud, précise Lacan, est conçu comme ce qui d’une

symbolisation primordiale conserve ses effets jusque dans la structuration discursive. Cette structuration, dite encore intellectuelle, étant faite pour traduire sous forme de méconnaissance ce que cette première symbolisation doit à la mort 2», ou encore, à la perte.

L’affectif est ce rapport du sujet à l’Etre, une certaine écoute du néant, une posture qui annule les résistances du sujet à l’appel de l’Etre, il permet le dévoilement dans la structure d’une « sorte d’intersection du réel et du symbolique qu’on peut dire immédiate, pour autant qu’elle

s’opère sans intermédiaire de l’imaginaire, mais qui se médiatise, encore que ce soit précisément sous une forme qui se renie, par ce qui a été exclu au premier temps de la symbolisation 3». L’affectif dévoile en quelque sorte le Réel, ce qui échappe au symbolisable,

ouverture qui comporte pour tout sujet une part non symbolisable.

Lorsque le sujet subit cette articulation du Réel et du Symbolique, c’est cliniquement le registre de l’hallucination, et lorsque le sujet agit cette articulation, c’est l’acting out. Au sujet de l’hallucination, Lacan dégage le terme de Verwerfung, et indique que c’est exactement ce qui s’oppose à la Bejahung primaire et constitue comme tel ce qui est expulsé. La Verwerfung a coupé court à toute manifestation de l’ordre symbolique, c'est-à-dire à la

Bejahung. Or, la Verneinung et la Verdrangung correspondent au temps second de la Bejahung. La Verwerfung coupe court à la Verneinung et à la Verdrangung. Ce qui n’est pas

venu au jour du symbolique apparaît dans le Réel. L’Ausstossung constitue le Réel en tant

1 Lacan J., Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la « Verneinung » de Freud, (1954), dans Ecrits,

Editions du Seuil, 1966, p.382.

2 Idem, p.383. 3 Idem.

qu’il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation. Quand ce Réel surgit, le sujet ne peut trouver de mot, tel est l’état dans lequel se trouve l’homme aux loups quand il subit l’hallucination de son doigt coupé.

Lacan prend la Verwerfung (exclusion radicale du Réel – à entendre ici dans son sens subjectif) comme vérité ontologique de la Verneinung. La Verwerfung est ce qui s’oppose en l’accompagnant à la Bejahung primaire, extase du néant comme Ouverture à l’Etre. La dimension ontologique de l’Ouverture à l’Etre (Verwerfung) informe l’ontique de son peu de fondement ; elle concerne la relation du sujet à l’être au sens strict, elle ne laisse plus rien être comme un simple étant et dévoile l’être comme néant en inscrivant tout rapport au monde sur fond d’absence. Lacan fait explicitement ce lien entre la révélation de l’être et la Verwerfung :

« La Verwerfung donc a coupé court à toute manifestation de l'ordre symbolique, c'est-à- dire à la Bejahung que Freud pose comme le procès primaire où le jugement attributif prend sa racine, et qui n'est rien d'autre que la condition primordiale pour que du réel quelque chose vienne à s'offrir à la révélation de l'être, ou, pour employer le langage de Heidegger, soit laissé-être. Car c'est bien à ce point reculé que Freud nous porte, puisque ce n'est que par après, que quoi que ce soit pourra y être retrouvé comme étant 1».

Quelque chose de l’Ouverture à l’Etre n’est pas laissé être sur le plan ontique de la

Bejahung et n’aura pas de représentant dans l’histoire du sujet2. L’ontique est ici, si l’on suit

la logique de Lacan, et pour comprendre son allusion à Heidegger, négation de l’ontologique, ou encore, négation de la négation. Lever cette double négation est inscrire, comme le fait Heidegger, la différence ontologique. L’ontologique existe à l’ontique, tout comme la

Verwerfung existe à la Bejahung3.

Non-clôture du Dasein

Levinas souligne également une certaine forme de dépassement de la totalité et de l’idéalisme. Bien que la structure du Souci – Sorge – désigne la compréhension de l’être dans le Da comme toujours référé à la rencontre des choses et comprenant à partir de ces choses, il

1 Idem, p.387-388.

2 Idem : « Telle est l'affirmation inaugurale, qui ne peut plus être renouvelée sinon à travers les formes voilées de la parole inconsciente, car c'est seulement par la négation de la négation que le discours humain permet d'y revenir. Mais de ce qui n'est pas laissé être dans cette Bejahung qu'advient-il donc ? Freud nous l'a dit d'abord, ce que le sujet a ainsi retranché (verworfen), disions-nous, de l'ouverture à l'être, ne se retrouvera pas dans son histoire, si l'on désigne par ce nom le lieu où le refoulé vient à réapparaître ».

3 Idem, p.392 : « le sujet n'éprouvera pas un sentiment moins convaincant à se heurter au symbole qu'il a à l'origine retranché de sa Bejahung. Car ce symbole ne rentre pas pour autant dans l'imaginaire. Il constitue, nous dit Freud, ce qui proprement n'existe pas; et c'est comme tel qu'il ex-siste, car rien n'existe que sur un fond supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il n'existe pas ».

remarque que le Souci exclut la totalité du fait d’une permanente non-clôture du Dasein1. Heidegger, par l’être en question, a ouvert la voie à une rationalité de l’inquiétude, abîme sans