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Ex-sistence du Dire et ronde des discours

CHAPITRE I : LACAN ET LEVINAS – UNE ETHIQUE DU DIRE D’EX-SISTENCE

IV. L’EX-SISTENCE DU DIRE – PREMIER TOUR DE L’ETOURDIT ET UN

2. Ex-sistence du Dire et ronde des discours

Autrui est en quête de jugement (en recherche d’identification, de nomination) pour se confirmer contre la mort. Levinas prévient que ce jugement ne doit pas être le jugement de l’Histoire. Contre la tyrannie de l’universel et de l’impersonnel s’affirme l’homme comme singularité irréductible, extérieur à la totalité et aspirant à l’ordre religieux4 où la

reconnaissance de l’individu le concerne dans sa singularité, ordre de la joie qui n’est ni cessation, ni antithèse de la douleur, ni fuite devant elle. La singularité ne peut trouver de place dans une totalité. Le jugement de l’histoire se prononce toujours par contumace (sans la présence de celui qui est jugé, sans son énonciation5). L’absence de la volonté (du Désir) à ce jugement consiste en ce qu’elle ne s’y présente qu’à la troisième personne, sans la parole à la première personne. Cette présence de la subjectivité au jugement qui lui assure la vérité, n’est pas un acte de présence purement numérique, mais une apologie6. Là où le jugement de l’Histoire s’énonce dans le visible, dans les évènements historiques, est exclut l’apologie.

1 Lacan J., Compte rendu du séminaire La logique du fantasme, dans Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p.325. 2 Lacan J., D’un dessein, dans Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.367 : « la répétition est unique à être nécessaire ». 3 Lacan J., …Ou pire, Compte rendu du Séminaire 1971-1972, dans Autres Ecrits, op.cit., p.550, note 1. 4 Je précise à nouveau que le religieux lévinassien n’a rien de commun avec la religion ou la croyance. 5 Le « nommer à » que Lacan qualifie de désastreux le 19 février 1973, dans Les non-dupes errent, inédit. 6 Levinas E., Totalité en Infini, op.cit., p.271.

L’invisible doit pouvoir se manifester pour que l’histoire perde son droit au dernier mot, nécessairement injuste pour la subjectivité1.

La réponse à l’apologie ne peut pas être dialectique. Etre jugé hors dialectique ne consiste pas à entendre un verdict, s’énonçant impersonnellement et implacablement à partir de principes universels. Bien au contraire, « l’exaltation de la singularité dans le jugement se

produit précisément dans la responsabilité infinie de la volonté que le jugement suscite. Le jugement se porte sur moi dans la mesure où il me somme de répondre. La vérité se fait dans cette réponse à la sommation. La sommation exalte la singularité précisément parce qu’elle s’adresse à une responsabilité infinie 2».

b. Dit et dédit

L’interprétation lévinassienne (le dire-à-autrui, geste de l’éthicien), ou réponse à l’adresse du sujet (l’Autre lévinassien dénudé), vise à redoubler l’aporie entre S1 et S2, par

l’apologie, le prophétisme (le prophète est celui qui fait entendre ce qu’il a entendu – du Dire de l’Autre au Dire responsif). Il ne s’agit pas de chercher un rapport entre significations hétéroclites qui consisterait à découvrir, à la place d’une variété infinie de significations, une signification ultime qui expliquerait toutes les autres. Pour révéler l’interruption, ce qui est dit doit être dédit, le dire appelant un dédire3. Levinas ajoute que l’appel du dédit est intérieur au

dit4, il est propre à l’articulation (hétérogène) signifiante.

Bascule discursive

Cette instabilité du dit entraîne un mouvement au sein même du discours, que Lacan qualifie de bascule. Ce dernier note une impuissance spécifique à chaque discours : le produit du discours ne se met jamais en rapport avec la vérité. Le discours analytique et le discours lévinassien révèlent – là où dans les autres discours, le rapport S1-S2 est justement ce qui tente

1 Idem, p.273 : « Le jugement de l’histoire consiste à traduire toute apologie en arguments visibles et à tarir la source inépuisable de la singularité d’où ils coulent et dont aucun argument ne saurait avoir raison […]. L’idée d’un jugement de Dieu représente l’idée limite d’un jugement qui tient compte de cette invisible et essentielle offense qui, pour la singularité, résulte du jugement, d’un jugement d’autre part, foncièrement discret qui ne fait pas taire par sa majesté la voix et la révolte de l’apologie ».

2 Idem.

3 Levinas E., Dieu, la mort et le temps, op.cit., p.146. 4 Idem, p.149.

de stabiliser la structure (rapport d’homogénéité) –, une impuissance particulière, ce que Levinas explique en ces termes :

« Le discours est ininterrompu – Certes. Mais cela ne l’enferme pas dans l’immanence, le présent et l’être. Car de lui-même, tout discours est transcendant. Il brise la totalité dont il enveloppe tout silence et toute eschatologie et toute interruption en parlant à l’interlocuteur1. Il ne parle pas à lui-même. […]. Et même en enveloppant tout cela par le

présent discours je l’interromps en écrivant. Le dialogue, le discours recherche l’unité – mais il la demande en interrogeant et par là même la brise. Si la pensée ne se sépare pas du discours, elle a déjà perdu la totalité. Tout discours est brisé, dérangé de par cette contradiction ultime 2».

Le discours en effet est ininterrompu, c'est-à-dire que l’impossible d’un discours entraîne une bascule des termes qui instaure un nouveau discours, le lien social ne reste pas hors discours. Ainsi, chez Lacan comme chez Levinas, c’est bien le rapport de signification qui est en panne (et produit une bascule, ou transcendance).

L’équivoque

Plus précisément, chez Lacan, il s’agit de s’orienter de l’équivoque, c'est-à-dire du signifiant, de sa grammaire (articulation S1-S2) et de l’ex-sistence : étourdi (S1) n’est un

signifiant que s’il est entendu comme voué à autre chose qu’à un emploi univoque (étourdit – S2) : ce qui inaugure l’équivoque homophonique au sein même d’une tautologie assertive

(même parole – ainsi, tout ce qui est dit est sujet à redite). S1 et S2 se citent l’un l’autre en un

renvoi réciproque interne au signifiant. S1 et S2 sont articulés par citations réciproques et

énigmes croisées. L’articulation de ce qui se dit (S1 en place d’agent) et de ce qui s’entend (S2

en place d’Autre) met nécessairement en évidence une ex-sistence : un dire extérieur au dit est appelé à l’ex-sistence par l’intermédiaire du dit. Dès qu’il y a signifiant (S1//S2 ; dit//entendu),

il y a nécessairement ex-sistence du dire. Telle est « la voie par où advient le nécessaire 3».

Ce dire n’est ni le dit, ni l’entendu, il est dans le mouvement de citation et d’énigme croisées du couple S1//S2. Le dit (S1) et l’entendu (S2), dans leur mouvement universel (assertion),

supposent un dire (modal de la contingence – qu’on dise) qui les limite pour que dit et entendu il y ait. Pour trouver le dire, on ne peut rester ni dans le dit, ni dans l’entendu, ni dans l’un et l’autre, mais il s’agit d’être délogé de toute place stable (non-lieu) dans le mouvement

1 Je souligne.

2 Levinas E., Notes philosophiques diverses, op.cit., p.335-336. 3 Lacan J., L’étourdit, dans Autres Ecrits, op.cit., p.450.

de citation et d’énigme (terme si cher à Levinas) croisées de S1 et S2. Du fait de son décalage

par rapport au couple S1-S2, l’ex-sistence du dire est réelle. Le qu’on dise introduit une

équivoque grammatical, celle des détours dits.

Une bonne logique

Lacan cherche à déplier une bonne logique1 pour ordonner les modes d’accéder au

nécessaire du dire : « pour qu’un dit soit vrai » (S1 équivoque homophonique

étourdi/étourdit), « encore faut-il qu’on le dise » (S2 révèle la modalité du S1 – équivoque

grammaticale), et « qu’on dise qu’il y en ait » (ex-sistence du dire – équivoque logique). Les trois types d’équivoques que Lacan convoque sont présents dès l’Organon d’Aristote.

Ce dernier distingue le registre sémantique (équivoque homophonique), le registre syntaxique (équivoque grammatical) et le registre syllogistique (équivoque logique). Pour le penser grec, toutes les équivoques peuvent être solutionnées, c'est-à-dire annulée. L’homophonie se rapporte aux homonymies aristotéliciennes des Réfutations sophistiques de l’Organon, liées à l’expression, résolvable par l’écriture (pouvoir diacritique) qui dissipe les sens, là où pour Lacan, l’écriture permet au contraire de révéler l’équivoque. Les équivoques grammaticales renvoient aux phrases dans l’Organon et sont interdites dans les Réfutations

sophistiques. La logique enfin renvoie aux raisonnements et relève des syllogismes.

Par sa logique syllogistique, Aristote cherche à évacuer toutes les ambigüités possibles au sein d’un raisonnement. Le syllogisme vrai repose sur le principe de non contradiction. Il considère que celui qui parle sans signifier, soit le sujet tel que Lacan cherche à le formaliser, est semblable à une plante2. Le psychanalyste, pour se démarquer du logicien qu’est Aristote,

parle justement de la plante qui jouit pour définir le champ lacanien3 : parler, ce n’est pas

signifier quelque chose, mais jouir :

« Ce qui est frappant, c’est ceci : c’est que s’il y a quelque chose qui nous donne l’idée du "se jouir", c’est l’animal […]. La question devient intéressante à partir du moment où on l’étend et où, au nom de la vie, on se demande si la plante jouit. […]. La question reste à trancher si vie implique jouissance. Et si la réponse reste douteuse pour le végétal, ça ne met que plus en valeur qu’elle ne le soit pas pour la parole. Lalangue où la jouissance fait dépôt, comme je l’ai dit, non sans la mortifier, non sans qu’elle ne se présente comme du

1 Idem.

2 Cassin B, Jacques le Sophiste, Lacan, logos et psychanalyse, Editions EPEL, 2012, p.131. 3 Lacan J., Le Séminaire Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, op.cit., p.88.

bois mort, témoigne quand même que la vie, dont un langage fait rejet, nous donne bien l’idée qu’elle est quelque chose de l’ordre du végétal 1».

La bonne logique et le champ lacanien, contre Aristote, ordonnent donc les modalités suivantes : le possible de l’équivoque homophonique, la contingence du qu’on dise, et le nécessaire de l’ex-sistence du dire. Il faut absolument parcourir le dire pour pouvoir passer de la contingence au nécessaire, ce qui relève de l’impossible, et entraîne une bascule du discours (et donc un changement de discours). En effet, il n’y a pas de métalangage2 : aucun langage ne peut établir la vérité des propositions d’un langage qui serait objet de l’établissement sans être lui-même confronté à sa propre impuissance.

« Il n’y a pas d’universelle qui ne doive se soutenir d’une existence qui la nie 3»

Lacan généralisant cette analyse du couple S1//S24, est conduit à la formule : « Il n’y a

pas d’universelle qui ne doive se soutenir d’une existence qui la nie 5». Toute universelle

suppose la contingence du qu’on dise et donc le nécessaire d’un dire, lui-même extérieur à l’universel du dit. L’ex-sistence contient l’universelle tout en s’exceptant de cette universelle. Tout énoncé, quel qu’il soit, « ne s’énonce pas de nulle part 6» : un dire ex-sistant pose

l’énoncé. La généralisation de Lacan concerne également la réponse à l’adresse du sujet, le dire-à-autrui, la responsabilité de celui qui interprète (l’assignation lévinassienne7). Il s’agit

de répondre à et de la division subjective du sujet, son « affection 8», qui s’adresse dans un

dire ex-sistant à ses énoncés. Cependant, la question est trop grande pour une réponse (trop grande d’un point de vue théorétique)9 : le sujet demande à la fois un refuge face l’Il y a, sans

être enfermé pour autant dans le Même, ce qui, en termes lacaniens, est demande de refuge face au Réel, mais également demande de dé-assujettissement à un discours clos, comme

1 Lacan J., La troisième [1974], dans Lettres de l’Ecole Freudienne, 1975, n°16, p.22-23. 2 Lacan J., L’étourdit, dans Autres Ecrits, op.cit., p.450.

3 Idem, p.451.

4 Idem, p.451 : « A étendre ce procès ».

5 Idem, p.451. Cette négation renvoie à la négation forclusive de Damourette et Pichon (Des mots à la pensée,

Paris, Vrin, 1982). Les mots comme « pas », « point », « plus », « personne », « jamais » ont pour fonction de d’évacuer ce qu’ils expriment en dehors du champ de ce qui est réel ou réalisable.

6 Lacan J., L’étourdit, dans Autres Ecrits, op.cit., p.451.

7 Levinas E., Paix et proximité, (1984), dans Altérité et transcendance, op.cit., p.144 : « exposition qui est expression, premier langage, appel et assignation […] qui concernent le moi, qui me concernent ».

8 Levinas E., Signature, dans Difficile liberté, op.cit., p.440 : « Responsabilité pour Autrui que cette affection suscite ».

celui du discours du maître (philosophe). Il s’en déduit qu’un discours clos n’est pas efficace face au surgissement Réel, et n’est pas satisfaisant pour le sujet.

Alléger l’universalité du discours du maître

Le discours du maître fait comme s’il n’y avait pas de (non-)lieu pour dire cette universelle, comme s’il n’y avait pas cette ex-sistence du dire qui l’a posé. Cette négation de l’ex-sistence (négation de l’exception, donc négation de la négation), « pour faire alibi à ce

que je dénomme du discours du maître 1», cherche à dissimuler l’impossible articulation entre

S1 et S2. Le discours du maître feint la nullibiquité2, un seul lieu : l’universel. La ritournelle

de la logique philosophique 3 se réduit à l’alternance des discours du maître et de

l’universitaire. Du côté du maître, l’agent (S1) s’adresse au savoir (S2) et à son mouvement

d’universalisation. Du côté de l’universitaire, l’agent (S2) adresse son savoir universel à

l’étudiant (a).

Discours du maître : S1 S2

$ // a Discours universitaire : S2 a

S1 // $

Dans cette ritournelle, Lacan note une alternance entre la question morale propre aux préoccupations du maître (l’universel du bien de la Dialectique de la raison pratique de Kant) et la connaissance (l’universel du savoir de la Dialectique transcendantale4 de la Critique de

la raison pure) propre à celles de l’universitaire. La raison, en position de semblant, pose la

double universalité de la loi morale issue de la raison pratique et de la loi naturelle issue de la raison pure. Or, si on efface le semblant (l’agent), et c’est la conséquence logique de l’impuissance, on efface aussi son pendant : ainsi, la loi « s’allège de s’affirmer comme

1 Lacan J., L’étourdit, dans Autres Ecrits, op.cit., p.451. 2 Idem, p.451.

3 Idem.

4 La dialectique transcendantale fait la critique des illusions dans lesquelles tombe la raison lorsqu’elle prétend,

grâce aux outils de l’entendement (les catégories) établir une connaissance de l’âme, du monde, de Dieu (car échappent à l’expérience).

formulée de nulle part, c'est-à-dire d’être sans raison 1». La lourdeur de la loi morale

kantienne (ou du surmoi identifié par Freud à la loi morale kantienne) dépend donc de la place d’où cette loi est édictée (la raison pratique chez Kant). L’allègement de cette loi morale ne peut venir que de la mise à l’écart de la raison pratique. On obtient un allègement de ce surmoi si l’universalisation est sans raison, dégagée de toute raison de faire le bien notamment. Or l’association libre permet précisément la mise à l’écart des deux raisons (pure et pratique) et fait place au seul dire en tant qu’il n’est soutenu que par son fonctionnement propre, c'est-à-dire son ex-sistence. Par l’association libre, la division subjective renverse la raison du pseudo agent du discours (qui se révèle n’être qu’un semblant) et permet, au-delà d’une simple ritournelle, l’apparition de la structure de la ronde des discours. Dans la structure dire/dit/entendu, aucun des trois ne peut servir de fondement aux deux autres.

Cette ronde des discours est présentée par Levinas en ces termes :

« Le discours philosophique qui énonce sa propre rupture ou sa propre impuissance, est-il le même que celui qui vient de se rompre ou de s’arrêter ? S’il est le même, c’est que le conditionné et le conditionnant sont contemporains (structure). Mais le discours est aussi libération à l’égard de sa condition. Le discours philosophique est un discours qui se rompt – qui se retire de la parole qui marmonne impersonnellement – (qui se parle) – il s’en retire pour parler du discours où tout à l’heure il parlait. Mais le discours qui énonce sa propre rupture – ou sa propre impuissance – n’est pas le même que celui qui vient de se rompre ou de s’arrêter. Il a réfléchi sur l’interruption. Il n’y a pas d’unité du discours, mais une histoire faite de ses interruptions et de la descente à un nouveau niveau. Repli sur des positions préparées à l’avance ? Une descente qui est la marche vers le discours absolu à partir duquel toute cette histoire et toute cette descente est visible. Ou n’est-il pas encore en question – en tant qu’il s’adresse à un Autre 2».

Cette histoire faite de ses interruptions ne permet pas le fondement d’un ultime discours, mais est toujours en question, du fait de l’adresse à l’Autre : maintien du dire d’ex-sistence.

c. Une pratique de l’ab-sens

Se garder de comprendre

Dans la situation analytique, les manifestations de l’inconscient excèdent la signification que permettrait le rapport S1-S2 et ne cessent de surprendre, itération du réveil3.

Un rapport entre S1-S2 conduit au sens dans les autres discours, alors qu’il est impossible dans

1 Idem, p.451.

2 Levinas E., Notes philosophiques diverses, op.cit., p.336. 3 Levinas E., Dieu, la mort et le temps, op.cit., p.223.

le discours analytique. L’articulation hétérogène entre S1-S2 est ab-sens1, s’écarte du sens.

L’interprétation, dans un redoublement, cherche à mettre en évidence cette ab-sens si facilement annulée : ainsi l’analyste fait absence2, écoute l’ab-sens, l’éloignement du sens, le non sens en jeu. Telle « est sa ressource, à lui, de tous les jours3 ». Ecouter, et non pas comprendre, ce qui reviendrait à assimiler l’Autre au Même : « tout mode prématuré de

l’interprétation est critiquable en tant qu’elle comprend trop vite, et ne s’aperçoit pas que ce qu’il y a de plus important à comprendre dans la demande de l’analysé, c’est ce qui est au- delà de cette demande. C’est la marge de l’incompréhensible qui est celle du désir. C’est dans la mesure où cela n’est pas aperçu, qu’une analyse se ferme prématurément, et pour tout dire, est manquée 4». Toute explication ou compréhension oublie l’ab-sens.

La gonfle du sens ab-sexe

La vérité n’est pas le dévoilement (Heidegger) de ce qui est caché, mais pulsation. Lacan répond négativement à la question de savoir si la pratique de l’ab-sens confirme « la

logique dont s’articulent dans l’analyse castration et Œdipe5 », la logique freudienne où la castration est le roc définitif. Il précise cependant que « Freud nous met sur la voie de ce que

l’ab-sens désigne le sexe 6» : le sexe ne repose sur aucune détermination à priori. Freud est

celui qui a franchit la logique du tiers exclu, celle du « mot qui tranche 7», du oui ou du non, où la réalité tombe dans la sphère de tel mot ou catégorie, ou en dehors. Du côté aristotélicien du tiers exclu règne le sens ab-sexe8 où se déploie la sphère du mot, véritable « gonfle9», et l’universel. Lacan prévient, « Si vous posez qu’on ne peut pas à la fois dire oui et non sur le

même point, là vous gagnez… Mais si vous misez que c’est ou oui ou non, là vous perdez 10».

Lacan ne vise pas le paradoxe (qui se soutient de la contradiction dissipée comme l’homonymie traitable des mots de l’Organon), mais une équivoque intraitable. Le trou du

1 Lacan J., L’étourdit, dans Autres Ecrits, op.cit., p.452. 2 Idem, p.451.

3 Idem.

4 Lacan J., Le Séminaire Livre VIII, Le transfert, op.cit., p.250. 5 Lacan J., L’étourdit, op.cit., p.452.

6 Idem. 7 Idem.

8 A propos d’Aristote, Lacan précise que « le Horsexe, voilà l’homme sur quoi l’âme spécula ». Cf. Le Séminaire Livre XX, Encore, op.cit., p.78.

9 Lacan J., L’étourdit, op.cit., p.452.

souffleur est la condition de tout sens, de toute logique, et de tout paradoxe (voir le paradoxe du catalogue qui contient l’ensemble des catalogues).

Avec le sexe ab-sens, l’adresse du sujet ex-siste au tiers exclu. Le dit de la vérité, qu’on peut recueillir – en lisant un livre de philosophie par exemple – n’est pas le dire de la vérité qui échappe et reste toujours énigme : « c’est ainsi que le dit ne va pas sans

dire […]. Partant de la locution : "ça ne va pas sans dire", on voit que c’est le cas de beaucoup de choses, de la plupart même, y compris de la chose freudienne telle que je l’ai située d’être le dit de la vérité. N’aller pas sans… c’est faire couple, ce qui comme on dit "ne va pas tout seul" 1». Et à la Chose freudienne s’ajoute la Chose lévinassienne. Le dit (citation)

fait couple avec le dire (énigme), tout en restant ex-sistant à ce dernier (même structure que la non-dialectique tuché/automaton où le Réel ex-siste à l’articulation signifiante). « Le