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PROXIMITE DE VALEURS ET ECONOMIE DES GRANDEURS

I. Les proximités comme outil d’analyse des coordinations

2. La proximité non géographique

La proximité non géographique est plus complexe à définir. Elle est de nature relationnelle (Rallet, 2002) et traduit les différentes façons qu’ont les acteurs d’être proches, en dehors de la relation spatiale. Les typologies existantes dans la littérature qualifient généralement cette proximité d’ « organisée » (Rallet, Torre, 2004 ; Boschma, 2005, Pecqueur et Zimmermann, 2004) même si Bouba-Olga et Grossetti (2008) parlent de proximité « socio-économique ». Nous revenons sur quelques-unes de ces définitions et retenons la typologie proposée par Boschma (2005) que nous proposons ensuite de compléter par une proximité de normes et une proximité de valeurs.

Proximité géographique

2.1 La proximité « organisée »

L’expression « organisée » est apparue en 200461 pour qualifiée « la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses membres. L’organisation facilite les interactions en son sein, en tout cas, les rend à priori plus faciles qu’avec des unités situées à l’extérieur de l’organisation »62. La littérature a identifié deux logiques principales à l’origine de la proximité organisée : la logique d’appartenance et la logique de similitude (Gilly et Torre, 2000 ; Rallet et Torre, 2004).

Selon la logique d’appartenance, des acteurs qui appartiennent à une organisation sont plus enclins à coopérer compte tenu des règles et des routines sur lesquelles ils fondent leur comportement (Rallet, Torre, 2001 ; Torre et Rallet, 2005). Le fait d’appartenir à un même espace de rapports (firme, réseau, association…) facilite les interactions entre les membres.

La logique de similitude présuppose que des acteurs membres d’une organisation se ressemblent et peuvent partager un même système de représentations ou un ensemble de croyances et de savoirs. C’est l’adhésion mentale à des catégories communes qui fait que des individus vont être à même de déterminer les meilleures stratégies possibles surtout dans des situations d’incertitude.

Schéma 11 : Première typologie fondatrice de la proximité non géographique

61Auparavant les auteurs ont utilisé la désignation « organisationnelle » 62

Rallet A., Torre A. « Proximité et localisation ». Economie rurale, 2004, Vol. 280, n°1, p. 25–41.

Proximité organisationnelle (nommée « organisée » en 2004)

84 L’expression « organisée » a été critiquée par Bouba-Olga et Grossetti (2008) car elle sous- entend l’appartenance à une organisation en particulier, ce qui n’est pas forcément le cas. Les auteurs veulent mettre en avant l’idée que la proximité non géographique qualifie plutôt les modes d’agencements des activités humaines. Ainsi, interagir ou organiser une activité ne nécessite pas obligatoirement l’appartenance à une organisation au sens strict. C’est pourquoi, ces deux auteurs proposent une typologie différente et qualifient la proximité non géographique, de « proximité socio-économique ».

2.2 La proximité socio-économique

Dans l’article « Socio-économie de proximité » (2008), Bouba-Olga et Grossetti proposent une typologie alternative tout en conservant la distinction fondatrice entre une proximité d’essence spatiale63 et une proximité d’essence non spatiale. Les auteurs introduisent le concept de proximité « socio-économique » pour parler de la proximité non spatiale qu’il décompose en deux types : la proximité de ressources et la proximité de coordination.

La proximité de ressources évalue la façon dont les caractéristiques individuelles des agents se ressemblent ou sont complémentaires. Elle comprend une proximité cognitive qui renvoie aux valeurs, conventions, références entre les individus à la fois formelles et informelles. « Cette proximité concerne tout ce qui se passe dans la tête des gens et qui se manifeste par des actions et des discours » (Bouba-Olga ; Grossetti, 2008, p.8) et renvoie « à l’existence d’institutions formelles (lois) et informelles (valeurs partagées) » (idem, p.16). Cette proximité inclut également une proximité matérielle qui fait référence à la position sociale et aux ressources dont disposent les individus: patrimoine, revenu, diplôme, statut social…Ces deux proximités peuvent toutes deux être fondées sur une logique de similitude ou d’appartenance.

La proximité de coordination fait référence à l’adhésion des acteurs à des réseaux (proximité relationnelle) ou à des dispositifs intermédiaires qui assurent une médiation entre les acteurs et facilitent la rencontre (proximité de médiation).

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Schéma 12 : Décomposition de la proximité selon Bouba-Olga et Grossetti (2008)

2.3 Les définitions proposées par Boschma (2005)

Ron Boschma (2005) introduit une autre manière de questionner le rôle de la proximité. Dans son article « Proximity and innovation : a critical assessment64 », l’auteur s’intéresse aux aspects positifs et négatifs de la proximité sur l’apprentissage et l’innovation. Les interactions entre les agents économiques étant conditionnées par les chevauchements entre les proximités géographiques et organisées, Boschma travaille sur leurs liens, leurs combinaisons et leurs effets sur l’innovation et précise qu’il existe des effets de seuils c'est-à-dire que pas assez de proximité ou trop de proximité nuit à la coopération. Il propose une décomposition de la proximité organisée en quatre formes : proximité cognitive, sociale, organisationnelle et institutionnelle.

La proximité cognitive correspond à l’existence de similarités dans les connaissances et les compétences entre des agents. Elle favorise l’apprentissage mutuel et la capacité à communiquer efficacement (Knoben ; Oerlemans, 2006). Le transfert et la captation d’informations entre deux acteurs nécessitent un certain niveau de proximité cognitive afin de faciliter leur diffusion et leur compréhension. Néanmoins, une proximité cognitive excessive peut également produire des effets de verrouillage, d’enfermement des acteurs dans des

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Boschma R., Proximity and innovation: a critical assessment, Regional Studies 39 (1) 61-74, 2005.

Proximité de ressources Proximité «socio-économique » Proximité de coordination Matérielle Cognitive Relationnelle Médiation Similarité ou complémentarité

86 routines. Une certaine distance cognitive est donc nécessaire à la création de nouvelles connaissances notamment en cas de promiscuité géographique (Boschma ; Iammarino, 2009). La proximité sociale renvoie au concept d’encastrement social (Granovetter, 1985) et correspond à l’ensemble des relations socialement encastrées dans des réseaux relationnels. Les relations économiques sont, pour partie, dépendantes de ces réseaux relationnels. Basé sur la confiance et des liens d’amitiés, familiaux et/ou d’expériences (Boschma, 2005), la proximité sociale réduit le comportement opportuniste et favorise l’engagement des acteurs dans une coopération. Elle peut aussi aboutir à des effets de lock-in si elle n’est pas associée à d’autres formes de proximités.

La proximité organisationnelle fait référence aux différentes modalités de coordination des transactions entre des agents économiques. Selon l’arrangement organisationnel choisi (le marché, le réseau, la structure hiérarchique), le degré d’autonomie des partenaires de l’échange, l’intensité des relations et des échanges d’informations seront différents. La proximité organisationnelle permet de réduire l’incertitude entre les membres et d’instaurer des mécanismes de contrôle. Elle peut aussi être source de rigidité si les relations deviennent trop hiérarchisées. Boschma soutient l’idée qu’un système à liens « lâches » tel que le réseau confédéré décrit par Rorive (2005) représente une solution idéale.

La proximité institutionnelle se situe à un niveau macroéconomique et renvoie à l’existence d’un cadre institutionnel constitué de « règles du jeu » institutionnelles, de lois, de règlements auxquels les acteurs adhèrent. Ce cadre institutionnel sert de base à la coordination économique entre les agents qui doivent respecter les obligations. Boschma inclut également dans la proximité institutionnelle le partage de traditions, d’habitudes qui facilitent les routines et les interprétations des acteurs dans une situation donnée.

Schéma 13 : Décomposition de la proximité organisée selon Boschma (2005)

Proximité Organisée

Seule la définition de la proximité institutionnelle nécessite, selon nous, un approfondissement. Le mélange de règles objectivées et de valeurs subjectives au sein de cette proximité constitue un frein à son analyse. Nous pensons qu’il est nécessaire de distinguer ce qui relève des règles formelles, que nous qualifions de « proximité de normes », de l’ensemble des valeurs portées par les individus, des façons de faire, de penser, des croyances que nous qualifions de « proximité de valeurs ».

La proximité organisée ainsi segmentée (cf. tableau 7 p.91) permet d’analyser l’ensemble des liens partagés entre les membres d’un cluster et d’étudier leurs effets sur l’élaboration des coopérations.

Schéma 14 : Proposition de segmentation de la proximité organisée

Sociale Cognitive Organisationnelle De normes De valeurs Proximité Organisée

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