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1.3 Territoire et innovation

1.3.4 Proximité et innovation

Les approches évolutionnistes de l’innovation accordent une grande attention à l’échange de connaissances et à l’apprentissage, mettant ainsi en évidence le rôle déterminant de la proximité dans le processus d’innovation (Foray et Lundvall, 1996). L’innovation serait donc un processus fondé principalement sur des « relations de proximité » (Doloreux et Bitard, 2005). La proximité est, ainsi au cœur des questions sur les dimensions sociales et territoriales de l’innovation.

Le rôle de la proximité dans le processus d’innovation a d’abord été étudié en regard de la proximité physique (une notion que nous définirons dans notre prochain chapitre) qui joue un rôle important au niveau de l’innovation. En effet, le processus d’innovation implique des acteurs dotés de codes cognitifs différents, d’où la nécessité d’une proximité physique entre ces acteurs afin d’établir des normes partagées (Wolff, 1995). Selon Rallet (1993), l’innovation nécessite un cadre territorial facilitant les échanges de connaissances et d’idées entre les acteurs. Dans cette perspective, la proximité physique devient un support d’interactions (Kirat et Lung, 1995). L’espace a un rôle à jouer dans la dynamique d’accumulation et de création de connaissances. La proximité physique peut ainsi faire naître par le contact face à face entre les acteurs, de nouvelles ressources cognitives communes et de nouveaux modèles de pensée et d’action (May, 1999; Gilly et Pecqueur, 2000).

Le lien étroit entre proximité et innovation découle de la nature des connaissances. Depuis les travaux de Polanyi, on distingue deux types de connaissances : tacites et codifiées. Amable, Barré et Boyer (1997), définissent la connaissance tacite comme :

Cette forme de connaissance qui n’est que partiellement ou pas du tout codifiée qui se diffuse selon des canaux divers, qui se mêle parfois à une expertise particulière ou à son savoir-faire et qui s’acquiert principalement par expérience.

Quant aux connaissances codifiées, elles sont généralement transportables à travers des supports (documents, disque, etc.) alors que les connaissances tacites sont incorporées dans les savoirs faire des acteurs et sont échangeables par les interactions interpersonnelles (Gallaud, 2005) et par la socialisation (Nonaka, 1994). Les innovations reposent surtout sur les connaissances tacites. Plus la connaissance est tacite, plus elle est incorporée dans son contexte et plus son appropriation par des individus extérieurs est difficile, d’où l’importance des interactions de face à face et par conséquent de la proximité physique, comme l’indique Feldman (1994, p. 2) : «Knowledge traverses corridors and streets more easily than continents and oceans» et Pavitt (1998 : 797):

… the main practical benefits of academic research are not easily transmissible information, ideas and discoveries available on equal terms to anyone anywhere in the world. Instead, they are various elements of a problem-solving capacity, involving transmission of often tacit (i.e., non codifiable) knowledge through personal mobility and face-to-face contacts. The benefits therefore tend to be geographically and linguistically localised.

Cependant, cet argument est controversé (Dahl et Pederson, 2003). Dans leur revue critique des recherches sur ce sujet, Breschi et Lissoni (2001) refusent de voir une opposition entre connaissances tacites et codifiées. Ils affirment que des connaissances tacites peuvent être codifiées et transmises sur de longues distances, mais ceci reste en débat. Toutefois, nous précisons, à l’instar de Grossetti (1998), que les effets de la proximité sur l’innovation ne sont pas spécifiques à l’innovation comme telle. On peut généraliser ses effets sur l’activité économique en général.

Cependant, les recherches sur la proximité soulèvent deux problèmes par rapport à la proximité physique. Premièrement, il est réducteur de considérer que la seule proximité physique d’acteurs appartenant au même secteur économique pourrait suffire à assurer leurs interactions. C’est vrai que la proximité physique est souvent une condition nécessaire pour l’innovation, mais elle est insuffisante (Porter, 1998). Pour Markusen (2000), les relations entre les acteurs sont importantes, mais elles ne

sont pas uniquement le résultat de leur proximité physique. « Le simple fait de cohabiter sur un même territoire ne constituerait pas une condition suffisante pour que des acteurs entrent en relation. » (Tremblay et al., 2003). Grossetti (1998 : 92) considère que la proximité physique « pure » favorise les interactions, mais ne les créé pas nécessairement. Celles-ci naissent principalement dans le contexte d’activités organisées. Dans la même veine, Filippi et Torre (2003) soulignent que la colocalisation géographique ne signifie pas nécessairement le développement de relations entre acteurs voisins.

En effet, la proximité physique est une condition nécessaire, mais non suffisante pour former un système d’innovation (Kirat et Lung, 1995). Souvent le partage des connaissances tacites nécessite des interactions face à face entre les acteurs. Ces interactions peuvent être facilitées par la proximité physique puisque « le renforcement d’une relation est simplement plus probable dans un cadre local. » (Grossetti, 1998 : 91). Mais, elles ne seront possibles que si elle se double d’autres formes de proximité.

Dans le cas des technopoles21, Doloreux (1998) souligne que la dynamique technopolitaine n’est pas forcément territorialisée et que la logique des rapports spatiaux peut être dépourvue de dynamique locale. Une technopole qui n’est pas ancrée dans son territoire local crée peu d’effets cumulatifs et entraînants sur le développement de ce dernier et l’interaction est faible. Elle va plutôt ressembler aux districts du type plateforme satellite tels que décrits par Markusen (2000). Dans sa typologie des districts industriels, Markusen (2000) définit les plateformes satellites comme une simple agglomération d’entreprises, principalement des grandes entreprises dont le siège et le capital sont détenus à l’extérieur, qui entretiennent des relations de concurrence et sont peu intégrées dans le milieu local. Ainsi, le simple

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S’inspirant des cas de la Sillicone Valley, les technopoles étaient présentées comme un des instruments d’une politique volontariste de développement local qui visent à créer une synergie entre les acteurs d’innovation par la simple proximité physique (Rallet, 1995; Doloreux, 1998)

fait de rassembler des entreprises dans le même espace géographique ne garantit pas la création de synergies et d’interactions locales.

Ceci nous ramène aux résultats de Klein, Tremblay et Fontan. (2003), qui à partir d’une recherche à Montréal sur les secteurs de l’aéronautique, les biotechnologies et les TIC, concluent que les principaux aspects qui facilitent l’innovation sont par ordre d’importance la main-d'œuvre, les interactions personnelles et les réseaux d’information. La proximité physique d’entreprises connexes a une importance moyenne pour la capacité d’innover. La forme de proximité la plus importante pour l’innovation est la proximité relationnelle ou organisationnelle et non pas la proximité physique. Plus encore, pour Rallet et Torre (2001), le partage d’un certain nombre de valeurs et de règles est sans doute une condition plus essentielle à la coordination des agents que leur seule simple colocalisation physique.

Ces propos peuvent cependant être nuancés. Massard, Torre et Crevoisier (2004), soulignent que l’importance de la proximité physique dépend de la nature de la recherche. Les opérations de R&D d’exploration, qui visent la recherche de nouvelles connaissances et des innovations du type radical, nécessitent généralement une proximité physique entre les différents partenaires. C’est moins vrai dans le cas de la R&D d’exploitation ou d’imitation. Dans le cas de l'exploitation d’une technique d’innovation relativement connue (R&D d’exploitation), les coopérations nécessitent seulement des rencontres de face-à-face temporaires. Enfin, l’imitation des processus innovants des firmes concurrentes (R&D d’imitation), se fait généralement à l’interne et ne requiert pas de proximité physique avec d’autres acteurs.

Pour échanger les informations, d’autres types de proximités entrent en jeu (Bellet, Kirat et Largeron, 1998), proximité technologique, organisationnelle, institutionnelle, sociale, etc. regroupés souvent sous le terme de la proximité organisée (Tremblay et al., 2003) et qui est selon Rallet et Torre (2004) d’essence

relationnelle. Selon Amin et Thrift (1993), l’ancrage territorial des processus de l’innovation dépend largement de la densité des interactions que les acteurs tissent entre eux et de leur adhésion à des règles et des normes communes. Pour Kirat et Lung (1995), la possibilité de construire un système d’innovation dépend de la transformation de la proximité physique et de la proximité technologique en un système d’innovation organisé institutionnellement.

En résumé, comme l’ont souligné Rallet et Torre (2004), le croisement de ces deux types de proximité : physique et relationnelle, nous fournit une grille d’analyse des différents modèles d’organisation géographique des activités économiques, décrits plus-haut. Ainsi, dans le modèle des systèmes locaux d’innovation, la proximité relationnelle est fondée sur la proximité physique entre les acteurs (Tableau 6).

Tableau 6. Le croisement de la proximité physique et la proximité relationnelle et ses résultats en termes d’interaction

Proximité physique Proximité relationnelle Proximité

physique

Agglomération d’entreprises Système local d’innovation

Proximité relationnelle

Mobilité, interactions temporaires Réseaux non territoriaux

Source : Rallet et Torre (2004 : 28)