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1.3 Territoire et innovation

1.3.2 L’encastrement social de l’innovation

La principale particularité du modèle interactif par rapport au modèle linéaire c’est qu’il s’appuie sur les interactions entre les différentes étapes de l’innovation (Amable, Barré et Boyer, 1997). Ainsi, selon l’école évolutionniste, l’innovation est considérée comme un processus encastré d’abord dans la société, puisque la composition du réseau social joue sur la capacité d’innover.

Cependant, la prise en compte de l’innovation dans les recherches sur l’analyse de la société et son évolution est récente. Cette notion était absente des travaux classiques (Durkheim, Spencer et Marx). Une absence qui s’explique, selon Fontan, Klein et Tremblay (2005), par la vision déterministe et unilinéaire que ces auteurs ont de la transformation des sociétés.

Les travaux de Schumpeter et de Veblen constituent des antécédents importants pour faire le lien entre le social et l’innovation (Tremblay, 1989; 2007). Le principal apport de Schumpeter est celui de l’entrepreneur innovateur. Le rôle de l’entrepreneur consiste à surmonter une série d’obstacles notamment la réaction du milieu social à l’égard de l’innovation. Pour Schumpeter, l’innovation aurait lieu à certains endroits, car il y aurait là une culture locale propice et une aptitude sociale à

accepter la nouveauté (Fontan, Klein et Tremblay, 2005). Dans cette perspective, certaines cultures seraient plus propices à l’innovation. Pour Tremblay (1989; 2007), l’analyse de Veblen complète l’analyse de Schumpeter en mettant en relief les effets de réciprocité entre la technique/technologie et l’environnement social. Pour Veblen, les technologies ont une incidence sur l’environnement culturel et institutionnel. En même temps, cet environnement institutionnel exerce lui-même un effet sur les technologies. Certes les travaux de Schumpeter et de Veblen constituent les antécédents de la mise en relation de l’innovation et du social, mais ce sont les économistes évolutionnistes (Nelson, Winter, Kline, Rosenberg, Dosi, etc.) qui parachèvent leurs travaux (Tremblay, 1989; 2007).

L’approche évolutionniste est basée principalement sur l’hypothèse des connaissances limitées des acteurs (Niosi, 1995). Ainsi, les acteurs doivent entrer en relation et échanger leurs connaissances pour innover. Les évolutionnistes insistent sur le fait que l’innovation a de multiples sources et implique, par conséquent, plusieurs acteurs socioéconomiques. L’innovation est perçue, ainsi, comme un processus cognitif où des acteurs d’origines multiples coexistent et collaborent dans des contextes d’apprentissage. Dans la conception évolutionniste, les acteurs « … ne peuvent agir seuls ou isolés, ils doivent profiter des compétences externes et complémentaires des autres individus. » (Doloreux, 2001: 174).

Dans cette perspective, voir l’innovation comme un processus d’apprentissage collectif constitue la principale « entrée » sociale dans le modèle interactif d’innovation. Selon les analyses évolutionnistes, la capacité d’innovation d’une entreprise ou d’un territoire dépend largement des processus d’apprentissage et d’accumulation des connaissances (Kirat et Lung, 1995). Les processus d’apprentissage collectif ont souvent lieu grâce à l’interaction entre les entreprises et les autres acteurs (Niosi, 1995). L’apprentissage et l’innovation qui en découlent résultent donc d’un processus d’interaction social entre différents acteurs à l’intérieur

d’un environnement donné (Smith, 1994; Asheim, 1996; Asheim et Isasken, 2002; Tremblay 2007). Comme l’ont souligné Lengrand et Chatrie (1999 : 14) :

Productivity is no longer seen as an “additional productivity of operations” but rather as a “systemic productivity of relations” where a firm’s competitiveness depends on the productivity of its “interfaces” or “interactions”.

À ce propos, Callon (1988), utilise la notion de « laboratoire étendu » pour désigner le réseau d’innovation et l’ensemble des partenaires qui participent au processus d’innovation. L’innovation serait un processus auquel participent plusieurs acteurs et partenaires et non toujours « le fruit d’une intuition géniale issue du cerveau d’une seule personne » (Fontan, Klein et Tremblay, 2005: 52). L’interaction des différents acteurs est à l’origine d’un effet système développant des bases de connaissance différentes selon le bagage intellectuel et social des acteurs.

L’élaboration des idées, leur explication, leur mise à l’épreuve s’entrelacent en permanence au gré des multiples interactions qui saisissent les chercheurs, leurs commanditaires et leurs publics potentiels (Callon, 1988: 176).

Le processus d’innovation est donc l'occasion d’une mise en relation d’acteurs, d’un système d'action, soit l’occasion d’échanger et de communiquer (Thuderoz, 1997). Comme l’ont évoqué Johnson et Lundvall (1993: 75) :

The more complex the learning process, the more interactions it probably requires. Professional searching in universities, research institutes and R&D departments, which is characteristic for the modern economy, also involves many forms of intense interacting inside research communities and between these and other communities and individuals.

Les activités d’innovation d’une entreprise dépendent en partie de la diversité et de la structure de ses liens avec ses travailleurs et ses clients et de ses collaborations avec d’autres entreprises (Amin et Robins, 1992). Ces liens constituent

des sources de savoir et de technologie pour l’activité d’innovation d’une entreprise. Dans cette prespective, Etkowitz et Leydersdorff (2000) proposent le modèle de la triple hélice qui décrit des connaissances produites dans des réseaux mêlant universités, entreprises et institutions gouvernementales.

L’innovation est, ainsi, le fruit de connaissances tangibles et codifiables en interaction avec des connaissances tacites, encastrées dans les réseaux, les organisations et les territoires. Fontan et Klein et Tremblay (2005) insistent sur la construction sociale de l’innovation et sur les interrelations qui interviennent à tous les niveaux. Ils soutiennent la présence continuelle du social tout au long du processus de l’innovation. L’innovation découle d’actes individuels, mais en même temps encadrés et rendus possibles par un contexte social et par les interactions entre les différents acteurs. Pour Saglio (1991 : 533 ) :

Pour passer d'une conception de l'industrie ou du système local d'entreprises comme de simples agrégats d'unités autonomes à une conception qui rende compte des effets de système structuré, il convient de mettre au centre de l'analyse l'existence et la production de règles sociales communes structurant les comportements et les stratégies des différents protagonistes.

Les règles sociales spécifiques font référence généralement aux normes de comportement et aux référents cognitifs et culturels communs. Ils découlent principalement de la culture locale définie par Saxenian (1994, citée par Saives, Desmarteau et Kerzazi, 2011) comme « les conceptions partagées et les pratiques qui unifient une communauté et qui définissent toute chose, en partant du comportement du marché de travail jusqu’aux attitudes envers la prise de risque ».

Le capital social devient, ainsi, un ingrédient essentiel pour comprendre le processus d’innovation. Il contribue notamment à réduire les coûts de recherche et d’analyse d’information (Amara, Landry et Lamari, 2003). À cet égard, Maskell (1999: 7) affirme que :

Firms in communities with a large stock of social capital will…always have a competitive advantage to the extent that social capital help reduce malfeasance, induce reliable information to be volunteered, cause agreements to be honored, enable employees to share tacit information, and place negotiators on the same wave-length.

Nous pouvons souligner également que ces idées s’inspirent en partie des travaux sur l’encastrement largement diffusée par le courant de la sociologie économique, notamment avec les travaux de Granovetter. Selon ces travaux, les activités économiques sont encastrées dans des réseaux de relations sociales (Granovetter, 1985).

Selon notre perspective, l’innovation doit être vue comme un processus social qui implique plusieurs acteurs, dont la mise en relation est très reliée au territoire et est facilitée par la proximité relationnelle que celui-ci permet.