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1.2 Un changement de paradigme : la valorisation du territoire

1.2.3 Les changements structurels postfordistes

1.2.3.1 Vers une nouvelle représentation de l’espace

1.2.3.1.1 L’École de la régulation

Les idées de l’École de la régulation constituent un point de repère théorique important pour les travaux sur la revalorisation du territoire et l’émergence des recherches sur les systèmes locaux d’innovation (Lévesque et al., 1996). En effet, les travaux de cette école sont fondamentaux pour analyser la revalorisation du territoire et son rôle dans la structuration des activités économiques, mais surtout pour comprendre les nouvelles modalités de gouvernance qui caractérisent les approches postfordistes. De manière générale, les travaux de cette école défendent l’idée de base selon laquelle :

… la reproduction et le changement des sociétés se produisent dans des contextes dirigés par des systèmes de règles, formelles et informelles, des habitudes et des traditions, qui permettent de distinguer les unes des autres des sociétés fondées sur le même mode de production. (Klein, 2008b: 42)11

En 1974, à partir d’une étude de l’évolution de l’économie américaine, Aglietta expose dans sa thèse, intitulée Régulation du mode de production capitaliste dans la longue période (Prenant exemple des États-Unis, 1870-1970), les idées fondatrices de la théorie de la régulation. Sur la base de ses travaux et ceux par la suite, de Boyer, Lipietz, Coriat, etc., l’École française de la régulation est née.

L’approche de la régulation cherche principalement à expliquer la dynamique de la croissance du fordisme (Gilly et Pecqueur, 2000). Dans cette perspective, Aglietta souligne que le fordisme est non seulement un modèle d’organisation de la production, mais aussi un régime d’accumulation et un mode de régulation. Le fordisme fait référence ainsi à:

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Dans cette perspective, le libéralisme économique, par exemple est basé sur la régulation par le marché. C’est le marché qui garantit le rapprochement entre le prix naturel et le prix du marché. Le mécanisme régulateur réside dans l'équilibre entre l'offre et la demande effective, entre les producteurs et les acheteurs (Klein, 2009).

… un stade nouveau de la régulation du capitalisme, celui du régime de l’accumulation intensive où la classe capitaliste recherche une gestion globale de la reproduction de la force de travail salarié par l’articulation étroite des rapports de production et des rapports marchands par lesquels les travailleurs salariés achètent leurs moyens de consommation. (Aglietta, 1976: 96)

Le régime d’accumulation fordiste est fondé sur la redistribution des gains de productivité aux salariés afin de garantir la demande effective. Le système de production fordiste reposait sur un mode de régulation basé essentiellement sur un compromis social entre les hauts salaires et l’amélioration des niveaux de vie des ouvriers (Leborgne et Lipietz, 1992; Benko, 1996; Scott, 2001), comme le souligne Boyer :

Le compromis salarial fordiste associe acceptation de la rationalisation et de la mécanisation et institutionnalisation d’une formule salariale garantissant une progression du niveau de vie plus ou moins en ligne avec la dynamique de la productivité. (Boyer, 1998: 16)

Les relations entre les acteurs étaient essentiellement de nature conflictuelle. Les rapports entre les classes sociales, patrons et travailleurs, et le gouvernement se réglaient par la confrontation, afin d’arriver à des compromis (Klein, 2008a). Ainsi, « Une montée en régime de pouvoir syndical permet la négociation de conventions collectives dans les entreprises ou les secteurs typiquement fordistes, tel celui de l’automobile. » (Boyer et Juillard, 2002 : 379).

Après avoir analysé les modes d’accumulation et de régulation du système fordiste, Aglietta (1976) explique, dans une perspective marxiste, la crise des années 1970 par la lutte des classes qui découle de ce système rigide qui porte en germe un nouveau modèle, le postfordisme. Ainsi, il décrit le postfordisme ou le « néo- fordisme », comme : « …une évolution des rapports de production capitalistes encore en gestation pour répondre à la crise de reproduction du rapport salarial de manière à sauvegarder ce rapport fondamental, c'est-à-dire à perpétuer le capitalisme. »

(Aglietta, 1976 : 101). À partir des années 1980, les sociétés occidentales basculent ainsi vers un régime d’accumulation et de régulation plutôt flexible (Moulaert et Swyngedouw, 1991).

Développée au début principalement par des économistes français, l’approche de la régulation s’est répandue à partir des années 1980 vers d’autres disciplines, comme la géographie et la sociologie, et vers d’autres pays (Benko, 1996). Initialement, la théorie de la régulation était une théorie plutôt macroéconomique. Elle s’intéressait principalement aux composantes macros du système capitaliste : la monnaie, le rapport salarial et l’État. Plus tard, en se basant sur ces travaux, la notion de régulation a évolué vers une acception plus large à une échelle méso-économique afin d’analyser les changements sociaux, économiques et politiques survenus depuis les années 1980 (Jessop, 1989; Moulaert et Swyngedouw, 1991). Dans cette perspective, le mode de régulation se définit de plus en plus de manière simplifiée comme la « structure de gouvernance politique ou quasi-politique » (Benko, 2008). Ainsi, plusieurs recherches en géographie économique se sont intéressées à l’étude de la régulation du local et des systèmes économiques locaux et régionaux, avec principalement les travaux sur les districts italiens et ceux sur les milieux innovateurs. Pour Benko (2008 : 41), l’objectif de ces travaux était de montrer :

… comment les espaces industriels anciens et nouveaux, en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, sont associés à des tissus complexes d’ordre politico-institutionnel fondant le fonctionnement des systèmes de production locaux, celui des marchés d’emploi locaux, la formation d’avantages comparatifs, etc.

Comme le confirme Krätke: «The growing differentiation of regional development types in the contemporary phase of capitalist development is the focus of regulationnist and other institutionnalist approaches.» (1999: 684).