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STATUT ET CARACTERISTIQUES DU PROVERBE

Chapitre 1. Le proverbe en tant que genre du discours

1.1. Discours et genre du discours

1.1.1. Discours

1.1.1.1. Discours, langue et parole

Dans le champ des sciences du langage, on peut distinguer trois sens du mot discours : - exercice individuel de la faculté du langage

- tout énoncé linguistique observable

- énoncé mis en relation avec ses conditions de production

Pour mieux comprendre la notion de discours, il faut la distinguer des deux autres notions corrélatives que sont la langue et la parole.

L’opposition entre langue et parole est l’opposition fondamentale établie par Saussure. La langue est considérée par Saussure comme un système de signes qui est commun aux membres d’un groupe humain. La parole est l’usage de ce système par les sujets parlants. Si la langue apparaît comme un code commun à l’ensemble des individus appartenant à une même communauté linguistique, la parole, au contraire, est la manière personnelle d’utiliser ce code. Ainsi, dans la conception saussurienne, la parole se distingue de la langue comme ce qui est individuel se distingue de ce qui est social, comme ce qui est concret se distingue de ce qui est abstrait. Dans ce sens, la notion de parole, par rapport au discours, se rapproche des deux premiers sens de ce dernier. La définition saussurienne de la parole nie la dimension sociale qui est en effet une propriété inhérente de la parole. La parole est à la fois individuelle et sociale s’inscrivant dans des types de discours qui sont structurés par des paramètres sociaux. Les études linguistiques prouvent l’existence d’un ensemble de règles, de rituels et de conventions qui gouvernent la production de la parole. La notion de parole au sens saussurien s’avérait inadéquate pour l’étude des faits linguistiques dans leur dimension sociale. D’où le terme de parole est remplacé par le terme discours qui permet de mettre en relation faits linguistiques et faits sociaux. L’opposition entre langue et parole devient l’opposition entre langue et discours.

1.1.1.2. Langue, acte de langage et discours

Dans la théorie de Guillaume, la distinction entre langue et discours joue un rôle fondamental. L’auteur cherche à articuler dynamiquement l’opposition langue/ discours en introduisant entre ces derniers le terme d’acte de langage. La langue, pour Guillaume, est une puissance dont l’existence est virtuelle et non observable directement. Le discours est de l’ordre de l’expression dont l’existence est effective et il n’y a que lui qui est accessible à l’observation directe. La langue est une donnée permanente qui exclut toute momentanéité et le discours en est une exploitation momentanée. Entre la langue et le discours, Guillaume pose l’acte de langage qui permet de passer de la langue au discours. L’acte de langage est un acte transitionnel de la puissance que représente la langue à l’effet qu’est le discours. Aux yeux de Guillaume, la transition de la langue au discours effectuée par l’acte de langage est considérée comme un processus, un mouvement et non comme une opposition. L’acte de langage est un rapport d’actualisation fondamental qui associe la langue et le discours dans le langage.

Notre objet d’étude qu’est le proverbe doit être appréhendé dans le discours. Le proverbe est un produit collectif, une pratique sociale qui est régi par des normes, i.e. des lois du discours proverbial concernant la production et l’acceptation du proverbe : il doit être facile à mémoriser, il doit aborder les problèmes qui touchent de près des utilisateurs, etc. En échange verbal, le proverbe n’est pas neutre mais il comporte des aspects expressifs, i.e. il est choisi par la visée discursive du locuteur dans le but d’obtenir un certain effet pragmatique sur des destinataires, sur la situation de communication. Nous approfondissons ce propos dans la section 1.2.1.

1.1.2. Genres du discours

1.1.2.1. Caractéristiques des genres du discours

Si le discours est conçu comme des pratiques, des processus langagiers conditionnés par les activités humaines, il est incontestable qu’il existe plusieurs sortes de discours. C’est pour cette raison que Bakhtine a introduit la notion de genres du discours. Le concept de genre appliqué à la diversité des discours trouve une double assise théorique dans la rhétorique gréco-latine et dans la théorie des genres littéraires mais c’est Bakhtine, avec son article « Les genres du discours », écrit dans les années 50 du 20e siècle et publié en 1979 (en 1984 pour sa traduction en français), qui a fait émerger les genres du discours comme outil linguistique.

Quand nous parlons, nous parlons dans une langue mais aussi dans un genre de discours. Le locuteur fait l’expérience immédiate du langage à travers les genres du discours, comme le dit Bakhtine : « Les formes de langue et les formes types d’énoncés, c’est-à-dire les genres du discours, s’introduisent dans notre expérience et dans notre conscience conjointement et sans que leur corrélation étroite soit rompue » (1953/1984 : 285). Les genres du discours sont liés aux différents domaines de l’activité humaine. Selon Bres (in Détrie et

al. 2001 : 130), les genres du discours se caractérisent notamment par les propriétés suivantes :

- multiplicité

Les genres du discours sont partout et nombreux. Cette caractéristique des genres du discours est liée à leur provenance : l’activité humaine est inépuisable et chaque sphère de cette activité produit, au fur et à mesure de son développement et de sa complexification, des genres toujours plus complexes et nombreux.

- hétérogénéité

Les genres du discours ne sont pas homogènes en ce qui concerne la taille, le contenu de sens, le mode de structuration, etc. Un genre peut être court comme un proverbe ou très long comme un roman. Les mécanismes structurants changent d’un genre à l’autre. C’est à cause de cette hétérogénéité que les genres du discours ne peuvent jamais être entièrement définis par un ensemble donné d’unités et de règles linguistiques.

- variabilité des contraintes que les genres du discours imposent

Un genre se définit par les trois éléments suivants : le contenu thématique, le style et la structure. Ces trois facteurs constituent un modèle de genre que le sujet parlant doit adopter et respecter dans son activité langagière. Néanmoins, le degré d’intensité des contraintes varie d’un genre à l’autre. A côté des genres qui sont fortement standardisés dans des rituels tels que les condoléances, les prières, la messe, il en est d’autres qui laissent plus de liberté au sujet parlant dans sa créativité tels que la conversation familiale, le journal intime, le roman. - mode d’être

Cette caractéristique concerne le mode d’acquisition des genres du discours chez le sujet parlant. Si certains genres tels que l’exposé scientifique, la dissertation, genres oratoires qui exigent de ceux qui y participent qu’ils doivent avoir des connaissances spécifiques, « la plupart d’entre eux s’acquièrent simultanément à l’apprentissage de la langue de façon implicite, le sujet parlant pouvant parfaitement les maîtriser tout en ignorant jusqu’à leur existence théorique » (Bres in Détrie et al. 2001 : 130). Les genres tels que la conversation familière, le compliment, l’excuse s’apprennent par imprégnation.

Ainsi, les genres du discours sont à la fois stables et labiles. Ils sont stables parce qu’ils disposent de normes, de règles qui font leur identité et qui les distinguent des autres genres du discours. Ils sont labiles par leur taille, leur mode de structuration, leur niveau d’intensité des contraintes, leur mode d’être, etc.

1.1.2.2. Genres du discours et types du discours

Certains auteurs emploient indifféremment les termes « genres du discours » et « type du discours » mais la tendance dominante est plutôt de les distinguer.

Les types du discours sont associés à de vastes secteurs de l’activité sociale, autrement dit, les différentes sphères de l’activité sociale produisent des types de discours identifiables par certains traits spécifiques. Par exemple, l’activité religieuse produit un ensemble de discours qui ont des éléments en commun à l’égard de la thématique, du style, etc. L’identification des types de discours se fait en fonction des lieux de production et de circulation. Par exemple, le discours publicitaire est interdit à l’Eglise. L’identification des genres du discours se fait également par le langage utilisé (type du discours philosophique : langage hyper normé ; type du discours conversationnel : langage moins normé) et par le but pragmatique assigné (types du discours religieux : faire croire ; type du discours politique : convaincre).

Comme les genres du discours, les types du discours sont nombreux, voire innombrables autant qu’il y a d’activités humaines. Comme les genres du discours, le développement d’une nouvelle sphère d’activité entraîne la circulation d’un nouveau type de discours. Par exemple, l’apparition de la télévision entraîne la création du type de discours télévisuel et de nombreux genres du discours associés : reportage, talk-show, jeu télévisé, etc. Parallèlement, la disparition d’une sphère d’activité humaine entraîne la disparition d’un type du discours ou des genres du discours. Par exemple : à l’époque actuelle, l’inexistence de l’activité dans laquelle un poète passe d’un village à l’autre pour raconter des histoires entraîne la disparition du genre de discours d’épopée. Les types du discours et les genres du discours représentent plusieurs points communs mais il n’y a pas de recouvrement. Chaque type a ses genres. Par exemple, le type de discours religieux a des genres : prière, messe, psaume, etc. Certains genres peuvent être présents dans plusieurs types : le genre du discours reportage peut apparaître dans le type du discours télévisuel, dans le type du discours journalistique.

Après avoir donné une définition du discours, du genre du discours en relevant leurs caractéristiques et en les distinguant des autres termes corrélatifs, nous montrons, dans ce qui suit, notre point de vue sur notre objet d’étude, le proverbe, en tant que genre du discours.

1.2. Le proverbe en tant que genre du discours

1.2.1. Le proverbe relève-t-il de la langue ou du discours ?

Répondre à cette question permet de préciser notre point de vue en ce qui concerne la façon de concevoir et d’appréhender le proverbe.

On peut donner plusieurs arguments pour justifier le statut du proverbe comme unité de langue. Nous en proposons ici quelques-uns.

Les proverbes sont préconstruits, ils sont des expressions toutes faites, ils font partie du code de langue et ils appartiennent au stock lexical.

Le deuxième argument est lié au premier. On peut regrouper les proverbes en répertoire au format de dictionnaire. Cela prouve que le proverbe appartient à la langue car on peut lister les unités de langues dans les recueils mais il est impossible de faire l’inventaire des unités discursives.

Un autre argument, qui a fréquemment été signalé, concerne la non actualisation des éléments lexicaux, à savoir l’absence de référence actuelle et l’absence de modifications structurelles. Par exemple, dans le proverbe La barbe ne fait pas l’homme, les SN la barbe et

l’homme ne réfèrent pas à une personne concrète. Le proverbe Bon cœur ne peut mentir

n’accepte pas la modification Mon cœur ne peut mentir. Le proverbe Ce que les yeux ne voient pas ne fait pas mal au coeur ne peut pas être modifié par Ce que les yeux ne voyaient pas ne faisait pas mal au cœur.

On peut invoquer un argument lié à l’acquisition des proverbes. Les proverbes possèdent formellement l’aspect d’une phrase mais ils doivent être appris en bloc et par cœur. La moitié d’un proverbe n’est plus un proverbe. Cet élément cognitif a son origine dans la perception que le proverbe est une unité constitutive du lexique.

Nous ne faisons pas partie des partisans de l’hypothèse selon laquelle le proverbe appartient à la langue. Pour nous, le proverbe appartient bel et bien au discours. Voici nos arguments pour légitimer le statut de l’unité de discours du proverbe.

Le premier argument concerne la manière d’actualisation du proverbe. Le proverbe appartient au discours car il y est né : il porte des marques d’énonciation. Dans le proverbe, on constate un système d’actualisateurs du nom et du verbe qui sont les déterminants défini,

indéfini, possessif et les morphèmes de personne, de temps et d’aspect. Dans le proverbe La barbe ne fait pas l’homme, le SN la barbe ne renvoie pas à une barbe concrète mais à la barbe avec toutes les propriétés suffisamment et nécessairement pour l’identifier. Le SN l’homme ne réfère pas à une personne particulière mais à l’homme représentatif de tous les hommes sans penser aux différences individuelles. Le verbe faire conjugué au présent de l’indicatif dénote une référence temporelle indéterminée. Ainsi, on ne peut pas dire que les SN la barbe,

l’homme sont non actualisés mais ils actualisent de leur manière. Les proverbes possèdent leur propre mode d’actualisation.

Le deuxième argument est d’ordre rhétorique et pragmatique. Les métaphores et les effets de style qu’on trouve abondamment dans le proverbe sont créés par et dans le discours. Dans le proverbe Maison sans flamme, corps sans âme, il s’agit de deux images : maison sans flamme et corps sans âme. La symétrie des mots : maison-corps, sans-sans, flamme-âme ; la répétition de la préposition sans, l’assonance flamme-âme permet d’établir expressivement la relation de comparaison entre deux membres du proverbe. Une maison sans flamme manque de vitalité, comme un corps sans âme manque de vivacité. Sans flamme et sans âme, la maison et le corps restent des enveloppes qui manquent de la profondeur qui les rend vivants. Et le message que le proverbe veut transmettre à son utilisateur est qu’il faut prendre soin de la maison et du corps.

Le troisième argument est en faveur d’un statut discursif. Le proverbe est un énoncé autonome et clos. Sur ce point, Anscombre écrit : « Un proverbe est clos dans la mesure où il peut à lui tout seul faire l’objet d’une énonciation auto-suffisante, i.e. ne requérant pas d’énonciations antérieures et postérieures pour former un discours complet. Et un proverbe est autonome dans la mesure où il ne lui est pas assigné de place fixe dans les discours dans lesquels il apparaît » (2000 :12). L’énoncé proverbial implique un énonciateur qui dans sa propre voix faire entendre la voix d’un autre qui est posé comme responsable de l’énoncé. L’autre est la Sagesse des Nations. Elle constitue le savoir-parler, le bien-dire, diffusé par une figure de pensée dominante, une culture du discours.

Ce qui vient d’être dit suffit pour caractériser le proverbe comme unité de discours mais pas de langue. Et le proverbe constitue un genre de discours dans l’océan des genres du discours.

1.2.2. Le proverbe en tant que genre du discours

Considérant le proverbe comme un genre du discours, nous devons prouver que le proverbe est une convention prise entre deux principes complémentaires : principe d’identité

et principe de différence. Par principe d’identité, il faut relever les facteurs caractéristiques du proverbe en ce qui concerne son contenu thématique, son style et sa structure. Ces facteurs constituent des normes, des règles qui permettent de définir le genre du discours proverbial. Par principe de différence, il faut justifier que le proverbe est un genre à part entière en le distinguant des autres genres, notamment des genres affins. La distinction se fait également par les facteurs définissants les genres que sont le contenu thématique, le style et la structure.

Dans les deux chapitres qui suivent, nous justifions que le proverbe observe ces principes de façon satisfaisante. Dans le chapitre 2, nous distinguons le proverbe des autres genres de discours apparentés tels que le dicton, la maxime, l’aphorisme, la sentence, l’adage, et le slogan pour le proverbe français et thành ngữ (locution) et la chanson populaire pour le proverbe vietnamien. Dans le chapitre 3, nous relevons les caractéristiques les plus saillantes du proverbe vietnamien et du proverbe français telles que : la structure binaire, le rythme, la rime, la symétrie des mots d’un même champ lexical, l’autonomie sémantique, syntaxique et pragmatique, la métaphoricité, la restriction aux hommes, la généricité et enfin l’origine populaire.