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2. Partie expérimentale

2.2.4. Protocole de jugement de grammaticalité du clitique accusatif

Description du protocole

Contrairement aux trois protocoles précédents qui étaient des protocoles de production induite, celui-ci est un protocole de jugement de grammaticalité. Ce dernier test que nous avons également créé a pour but de déterminer les performances en jugement de grammaticalité des enfants de notre étude (âgés de 4 à 8 ans) sur des items incluant des omissions légitimes et illégitimes du clitique accusatif 3e personne. Ceci afin de préciser le

rôle du facteur [OMISSION] (cf. chapitre 1.3.) dans la difficulté à produire le pronom clitique accusatif 3e personne chez les jeunes enfants.

Procédure et matériel

Dans un premier temps, nous avons créé des items comportant des omissions grammaticales ou agrammaticales de clitiques nominatifs et accusatifs. Pour cela, nous avons utilisé différents types de phrases : [A], [B] et [C]. La structure [A] implique la récupération de l’objet omis à partir du contexte discursif, la structure [B] celle à partir de la sémantique lexicale du verbe (ex. fumer, conduire). La [C] utilise soit des constructions impersonnelles employant un pronom nominatif explétif27, soit d’autres constructions avec un pronom

« plein » (à contenu sémantique) qui ne permettent pas l’omission de ce dernier (cf. chapitre 1.3.). Voici trois exemples des phrases utilisées, considérées comme grammaticales en français parlé :

[A] : T’as déjà vu Dora à la télé ? Dora ? Oui, j(e)connais.

[B] : Qu'est-ce que tu fais avec une voiture ? Je conduis…

[C] : Qu'est-ce qu'on doit avoir si il pleut ? Faut avoir un parapluie !

Toujours selon les mêmes types de structures, voici deux exemples28 de phrases considérées comme agrammaticales en français parlé :

[A/B] : Tu connais ma maman ? *Oui, j’ai rencontré.

[C] : S’il a faim, qu’est-ce qu’il fait le bébé ? *Pleure beaucoup.

Afin de sélectionner les items proposés aux enfants, un premier protocole avait été créé pour des adultes. Cette version initiale du protocole avait servi de base afin d’avoir un consensus, un « accord » sur le caractère grammatical ou agrammatical de chaque item. Cette version a été administrée à un groupe de 52 étudiants en psychologie (comprenant 3 garçons) de l’Université de Genève, que nous appellerons par la suite le groupe des « adultes ». Elle était

27 Nous utilisons cette structure [C], car le fait qu’on puisse omettre ou non le pronom explétif nominatif en alternance est reconnu comme faisant partie du français parlé (Tuller et al., 2011). Aucune compétence discursive ou lexicale n’est nécessaire à cette omission. Ainsi, si les enfants de notre étude réussissent leurs jugements sur des phrases de type [C] et non sur des de types [A] ou [B], alors la difficulté ne provient non pas de la tâche, mais bien d’une mauvaise maîtrise des compétences discursives et lexicales nécessaires à l’omission du clitique accusatif 3e personne.

28 Les types de phrases [A] et [B] ne se distinguent plus lorsque l’énoncé est considéré comme agrammatical. En effet, en raison de ce caractère agrammatical, il est impossible de récupérer l'objet grâce au contexte discursif ou grâce à la sémantique lexicale du verbe.

composée de 40 items (8 blocs de 5 items dont le premier avec feedback correctif). Suite à cette passation, nous avons sélectionné et gardé uniquement les items dont l’accord inter-participants était supérieur ou égal à 90 %, ce qui donne au total 23 items, dont 3 d’habituation (avec feed-back correctif) et 20 items test. Nous avons contrôlé le nombre de phrases grammaticales et agrammaticales et l’ordre des items a été randomisé. Le tableau VIII présente la composition des items de ce protocole :

Tableau VIII. Répartition des 23 items du protocole de jugement de grammaticalité du clitique accusatif

Cette épreuve se présente sous la forme d’un jugement de grammaticalité de phrases énoncées par une marionnette. Pour construire ce protocole, nous nous sommes inspirés de deux études.

Maillart & Schelstraete (2007) utilisent un ordinateur qui « apprend à parler » et les enfants jugent de l’acceptabilité des phrases que l’ordinateur utilise pour décrire des images. Pérez-Leroux et al. (2006), quant à eux, utilisent une marionnette qui décrit différentes images. La tâche de l’enfant est de corriger cette marionnette lorsqu’elle fait une erreur syntaxique (voir aussi Schaeffer, 2000). Pour ce qui est de notre recherche, nous avons enregistré les réponses de la marionnette en fichier audio. La voix de la marionnette est celle d’une femme avec une prosodie attrayante pour les enfants. La marionnette en question est une peluche (escargot) que nous avons nommée « Zaga » (cf. annexe V, page 93). Lorsque l’enfant pense que la réponse de Zaga est grammaticalement correcte, soit « bien dite », alors il prend une bille et la lui met dans la bouche. Si ce n’est pas le cas, il ne donne pas de bille ou manifeste verbalement « pas de bille ». Nous disposions d’une vingtaine de billes (donc plus que le nombre d’items considérés comme grammaticaux). La disposition du matériel et des personnes est illustrée par la figure 7 :

Figure 7. Disposition du matériel et des participants

Voici des exemples pour chaque type d’items : en [20] une réponse de la marionnette avec omission légitime (donc grammaticale) d’un pronom clitique accusatif 3e personne et en [21]

avec omission illégitime (donc agrammaticale). Puis, en [22] une réponse de la marionnette avec omission légitime d’un pronom nominatif explétif et en [23] avec une omission illégitime d’un pronom nominatif (non explétif) :

[20] Expérimentateur : « Qu’est-ce que tu fais avec une voiture ? » [L’expérimentateur s’adresse à la marionnette]

Zaga : « Je conduis … »

Réponse attendue : «Oui, une bille» [l’enfant donne une bille à la marionnette]

[21] Expérimentateur : « Oh imagine ! Ton chien est trempé, qu’est-ce que tu as fait avec ton chien ? » [À la marionnette]

Zaga : « J’ai mouillé … »

Réponse attendue : «Non, pas de bille » [l’enfant ne donne pas de bille]

[22] Expérimentateur : « Si le réveil sonne mais que tu ne te lèves pas. Qu'est-ce que Maman pourrait dire ? »

Zaga : « Eh ! Faudrait se réveiller ! » Réponse attendue : «Oui, une bille »

[23] Expérimentateur : « Pourquoi est-ce qu’il pleure le bébé? » Zaga : « a faim le bébé »

Réponse attendue : «Non, pas de bille »

L’analyse des réponses de ce protocole donne lieu à un taux de réponses correctes, c’est-à-dire le taux de jugement exact quant à la grammaticalité ou à l’agrammaticalité des phrases.

Un enregistreur numérique garde une trace des productions des enfants. Cela nous a permis de réécouter certains enregistrements ou items pour lesquels les participants ont justifié leurs réponses. Pour plus de détails, la totalité de ce protocole est présentée en annexe V, page 93.

Hypothèses opérationnelles

[HD]: On s’attend à ce que le taux de réponses correctes dans le jugement de grammaticalité sur l’omission du clitique accusatif 3e personne corrèle négativement avec le taux d’omission du pronom clitique accusatif 3ème personne recueilli dans les autres protocoles utilisés dans cette étude. Ceci peut s’écrire :

% de réponses correctes % omission de ACC 3 dans les autres protocoles [HD1]: Dans une perspective développementale, on s’attend à ce que le taux de réponses correctes des enfants évolue avec l’âge et soit inférieur à celui des « adultes » (soit inférieur à un taux de 90 %). Ceci donne l’inéquation :

% de réponses correctes : « 4-6 » < « 6-8 » < « adultes »

On postule en outre que les items « nominatifs » seront mieux jugés que les « accusatifs » (cf.

note de bas de page 24, chapitre 2.2.4)