a) Structure des différents membres de la famille chez la drosophile
Le génome de la drosophile contient deux gènes codant pour des protéines de la famille Rb : rbf1 (retinoblastoma family 1)et rbf2 ((retinoblastoma family 2) (Du et al., 1996a; Stevaux et al., 2002). Ces deux protéines ont une structure proche des protéines à poche de mammifères (Figure 43), il existe de fortes similarités de séquences notamment au niveau des domaines A et B entre les protéines de deux espèces. De façon intrigante, la séquence nucléotidique de rbf1 est plus proche de celle de p107 et p130 que de celle de rb, mais au niveau protéique Rbf1 a un plus fort pourcentage d’identité avec la protéine pRb qu’avec les protéines p107 ou p130 (Claudio et al., 2002). Les protéines p107 et p130 possèdent un domaine « spacer » très conservé entre les domaines A et B. Il est intéressant de noter que ce domaine « spacer » est absent de Rbf1 et de pRb mais qu’il est présent dans Rbf2. Chez la drosophile, Rbf1 est considéré comme l’homologue de pRb alors que Rbf2 serait l’homologue de p107 et p130. Nous verrons dans la suite de cette introduction que des données génétiques et moléculaires soutiennent cette idée.
Le gène rbf1 code pour une protéine de 845 acides aminés avec un poids moléculaire apparent de 95 kDa. En plus des domaines A et B qui composent la poche, la protéine Rbf1 possède un domaine N-terminal et un domaine C-terminal. Rbf1 interagit principalement avec ses partenaires par l’intermédiaire de la poche A/B, néanmoins des interactions protéiques sont également possibles par l’intermédiaire du domaine N-terminal. En effet, ce domaine est suffisant pour permettre à Rbf1 d’interagir avec ORC2 (une protéine du complexe de
Contrôle rbf1120a rbf2M2 rbf1120a, rbf2M2
Figure n°44 : Interac4on géné4que entre Rbf1 et Rbf2
Les mouches portant une muta7on hypomorphe de rbf1 (rbf1120a) et une muta7on amorphe de rbf2
(rbf2M2) présentent un phénotype d’œil rugueux qui n’est observé ni dans le simple mutant rbf1120a ni
dans le simple mutant rbf2M2. Les muta7ons de ces deux gènes ont donc un effet coopéra7f ce qui
suggère que Rbf1 et Rbf2 assurent des fonc7ons biologiques communes.
Issu de Stevaux et al., 2005
Stade précoce du développement embryonnaire Stade 16 du développement embryonnaire
Rbf1 Rbf2 Rbf1 Rbf2
Figure n°45 : Rbf1 et Rbf2 ont un profil d’expression dynamique au cours du développement embryonnaire
Les embryons sont marqués avec un an7corps an7-‐Rbf1 (A-‐G) ou an7-‐Rbf2 (H-‐N). Au cours des stades précoces du développement, Rbf1 et Rbf2 ont un profil d’expression chevauchant (A-‐D et H-‐K). Puis, au stade 16, on observe une complémentarité d’expression de Rbf1 et Rbf2 dans le système nerveux central embryonnaire (E-‐G et L-‐N) ce qui suggère une complémentarité de fonc7on.
Tous les embryons sont orientés avec l’antérieur à gauche et le dorsal vers le haut sauf les embryons F, G, M et N pour lesquels la face ventrale est vers le lecteur.
CNV : corde nerveuse ventrale, neu : neuropile, sp : spiracle postérieur
Issu de Stevaux et al., 2005
cerveau CNV cerveau sp CNV CNV CNV neu neu neu neu Stade Stade
56 réplication) ou avec Squid (une protéine de liaison aux ARNs) (Ahlander and Bosco, 2009; Ahlander et al., 2008). Contrairement à pRb, Rbf1 ne possède pas de séquence NLS bien caractérisée. Toutefois, une forme de Rbf1 dépourvue des acides aminés 787 à 845 perd sa localisation nucléaire, ce qui suggère que cette région C-terminale de Rbf1 contient une NLS.
La perte de fonction de rbf1 est létale au stade jeune larve (Du, 2000; Du and Dyson, 1999; Frolov et al., 2001) ce qui témoigne du rôle essentiel de Rbf1 au cours du développement larvaire. A l’inverse, la perte de fonction de rbf2 n’est pas létale et les mouches adultes déficientes pour rbf2 ne présentent pas de phénotype visible (Stevaux et al., 2005). Néanmoins un phénotype d’œil rugueux est observé dans le cas d’une perte de fonction hypomorphe de rbf1 associée à une mutation amorphe de rbf2 (Figure 44). Ce phénotype d’œil n’étant pas observé pour les simples mutants, cela suggère que Rbf1 et Rbf2 partagent certaines fonctions biologiques (Stevaux et al., 2005).
b) Profil d’expression de rbf1 et régulation post-transcriptionnelle
rbf1 est exprimé à tous les stades de développement et son expression est relativement uniforme (Keller et al., 2005; Stevaux et al., 2002). A l’inverse, l’expression de rbf2 varie fortement au cours du développement : rbf2 est exprimé à un fort niveau au cours des stades précoces de l’embryogenèse puis son niveau d’expression décroit (Keller et al., 2005; Stevaux et al., 2002). L’expression de rbf2 n’est pas détectable au stade adulte chez les mâles et le faible niveau d’expression observé chez la femelle semble être dû à une expression restreinte aux ovaires. Il est intéressant de noter que rbf1 et rbf2 ont un profil d’expression complémentaire dans le système nerveux central embryonnaire (Figure 45) (Keller et al., 2005), ceci suggère que Rbf1 et Rbf2 pourraient assurer des fonctions différentes mais complémentaires dans ce tissu au cours du développement.
Les facteurs capables de moduler le niveau d’expression de rbf1 sont assez peu connus. Il a néanmoins été récemment mis en évidence que la perte de fonction du gène ebi conduit à une diminution du niveau d’ARNm de rbf1 au stade larvaire (Lim et al., 2013). Par ailleurs, plusieurs études ont montré que rbf1 pouvait être la cible des complexes Polycomb, à savoir des complexes qui répriment l’expression génique en régulant l’état de méthylation de l’histone H3 (Enderle et al., 2011; Oktaba et al., 2008). Des données obtenues en cellules de drosophile en culture suggèrent que la protéine Ebi s’opposerait à l’action inhibitrice des complexes Polycomb et maintiendrait ainsi un niveau d’expression correcte de rbf1 (Lim et al., 2013).
Au-delà de ces régulations transcriptionnelles, l’activité de Rbf1 est régulée par le biais de différentes modifications post-traductionnelles. Comme pRb, Rbf1 est la cible de nombreuses phosphorylations (Frolov et al., 2005; Xin et al., 2002; Zhang et al., 2014). Sept sites de phosphorylation ont été identifiés dans la séquence de Rbf1. Ces phosphorylations sont notamment importantes pour réguler la fonction de Rbf1 au cours du cycle cellulaire. Par ailleurs, la protéine Rbf1 est sujette à une dégradation par le protéasome (Acharya et al., 2010; Ullah et al., 2007). Rbf1 est une protéine hautement instable : elle n’est plus détectable en cellules de drosophile
Figure n°47 : Aperçu de certains partenaires et gènes cibles de pRb impliqués dans sa fonc>on de suppresseur de tumeur.
Ce#e figure présente une vue simplifiée des fonc6ons de pRb jouant un rôle dans son ac6vité de suppresseur de tumeur. Pour chaque fonc6on, certains partenaires clés sont indiqués. De même, les cibles transcrip6onnelles, qui peuvent être nécessaires pour une fonc6on donnée, sont précisées. Issu de Burkhart and Sage, 2008
Figure n°46 : Représenta>on schéma>que de Rbf1
Rbf1 possède deux domaines A et B formant une structure en poche caractéris6que de la famille Rb. Comme pRb, Rbf1 possède en N-‐terminal un domaine structuré qui lui permet d’établir des interac6ons protéine/protéine. De plus, Rbf1 possède en C-‐terminal un domaine d’instabilité qui favorise la dégrada6on de Rbf1 par la voie ubiqui6ne-‐protéasome.
Adapté de Raj et al., 2012a
A B IE
RbfN
Rbf1 Domaine amino-‐terminalDomaine A/B : pe>te poche
Domaine d’instabilité
57 une heure après traitement à la cycloheximide (un inhibiteur de la synthèse protéique) (Ullah et al., 2007). Une forme de Rbf1 dépourvue en C-terminal des acides aminés 728 à 786 s’accumule à un niveau élevé et ce niveau n’augmente pas en présence d’un inhibiteur du protéasome (Acharya et al., 2010). Rbf1 possède donc en C-terminal un domaine qui contribue à son instabilité et à sa dégradation par le protéasome, ce domaine a été appelé IE (Instability Element) (Figure 46). Il a, par la suite, été mis en évidence que Rbf1 est ubiquitiné in vivo et que cette ubiquitination est fortement réduite après délétion du domaine IE (Raj et al., 2012b). Au cours du développement, Rbf1 est protégé par le signalosome COP9 de cette dégradation par le protéasome (Ullah et al., 2007). Le signalosome est un complexe composé de huit sous-unités qui régule la dégradation par le protéasome de ses protéines cibles en interagissant avec certaines E3 ubiquitines ligases et en les deneddylant (Wei et al., 2008; Yang et al., 2002). En outre, des données obtenues au laboratoire suggèrent que Rbf1, comme pRb, serait sujet à un clivage post-traductionnel par les caspases (Milet et al., 2014). Nous verrons plus loin dans cette introduction que la phosphorylation et l’ubiquitination de Rbf1 ont un impact important sur sa fonction de régulateur de la transcription.
B.pRb et Rbf1 régulent la structure chromatinienne
pRb assure ses différentes fonctions biologiques essentiellement en régulant la transcription de différents gènes cibles. Pour ce faire, pRb interagit physiquement avec de nombreuses protéines nucléaires (Figure 47), principalement des facteurs de transcription, des enzymes de modifications des histones ou des complexes de remodelages de la chromatine (Goodrich, 2003; Goodrich, 2006; Morris and Dyson, 2001). En plus de sa capacité à réguler la transcription au niveau de locus génomiques spécifiques, pRb peut influencer la structure chromatinienne au niveau de larges domaines génomiques voir même au niveau du chromosome entier. En effet, pRb participe à la compaction de larges régions hétérochromatiques et contribue ainsi au maintien de la stabilité génomique (Talluri and Dick, 2012). Ceci explique que les cellules déficientes pour rb présentent des aberrations chromosomiques. De même, Rbf1 est un régulateur transcriptionnel et ses gènes cibles sont impliqués dans une grande variété de fonctions biologiques. En outre, Rbf1 favorise la condensation de la chromatine (Longworth et al., 2008). pRb et Rbf1 remplissent donc leurs différentes fonctions biologiques principalement par une action nucléaire en modulant la transcription.