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C. Effets des cellules apoptotiques sur le tissu environnant : focus sur la

prolifération induite par l’apoptose

L’apoptose est traditionnellement présentée comme une mort cellulaire silencieuse car elle ne déclenche pas de réponse inflammatoire. En réalité, chez la drosophile, la présence de cellules apoptotiques a de nombreuses conséquences sur le tissu environnant, et est donc loin d’être silencieuse. En effet, la présence de cellules apoptotiques peut occasionner la prolifération des cellules voisines (Martin et al., 2009; Mollereau et al., 2013) ou au contraire induire un arrêt de prolifération des cellules du compartiment adjacent (Mesquita et al., 2010; Robinson, 2010). Une apoptose des cellules environnantes a également été observée en réponse à la présence de cellules apoptotiques (Morata and Herrera, 2013; Perez-Garijo et al., 2013). A l’inverse, il a été rapporté que les cellules à proximité des cellules apoptotiques sont plus résistantes à l’apoptose induite par irradiation (Bilak et al., 2014). Par ailleurs, l’apoptose peut avoir des conséquences au niveau systémique en induisant un retard de développement (Demay et al., 2014; Halme et al., 2010; Mirth and Shingleton, 2012). En outre dans les cellules post-mitotiques, une croissance cellulaire hypertrophique peut contribuer à la réparation des tissus (Tamori and Deng, 2014). L’ensemble de ces mécanismes permet de maintenir l’homéostasie tissulaire au cours du développement et semble impliqué dans l’apparition des tumeurs. J’ai choisi de m’intéresser ici uniquement à la prolifération induite par l’apoptose (AiP pour Apoptosis-induced Proliferation) en détaillant le mécanisme moléculaire chez la drosophile et son implication dans la tumorigenèse chez l’Homme.

Signal     apopto"que   Tissu     en  développement   Mort     cellulaire   Proliféra"on     compensatoire   Différencia"on  

Blocage  de  la   mort  cellulaire  

Proliféra"on  induite   par  l’apoptose  

Hyperplasie   "ssulaire  

Figure  n°35  :  Proliféra"on  compensatoire  et  proliféra"on  induite  par  l’apoptose.    

Si  des  cellules  d’un  :ssu  en  développement  sont  éliminées  par  apoptose  en  réponse  à  un  s:mulus,  un   mécanisme  se  met  en  place  pour  maintenir  l’homéostasie  :ssulaire  :  les  cellules  voisines  des  cellules   apopto:ques  prolifèrent.  Ce[e  proliféra:on  induite  par  l’apoptose  (AiP)  permet  de  compenser  la  perte   cellulaire.  On  parle  de  proliféra:on  compensatoire.  A  l’issue  de  ce  processus,  le  :ssu  retrouve  une  taille   correcte  et  se  différencie  normalement.  

Des  cellules  «  undead  »  peuvent  être  générées  par  un  blocage  de  l’exécu:on  du  programme  de  mort  en   bloquant  les  caspases  via  l’inhibiteur  p35.  Les  cellules  «  undead  »  ne  sont  pas  éliminées  du  :ssu,  elles   sécrètent   en   permanence   des   signaux   induisant   la   proliféra:on   des   cellules   voisines.   Du   fait   de   la   persistance  des  cellules  «  undead  »  et  de  la  permanence  des  signaux  mitogéniques,  ce[e  AiP  conduit  à   une  hyperplasie  :ssulaire.      

Adapté  de  Fan  and  Bergmann,  2008a  

48 1. Définition du processus de prolifération compensatoire

Les tissus des animaux en développement ont une étonnante capacité de régénération. L’irradiation de larves de drosophile de troisième stade conduit à l’élimination par apoptose de 40 à 60% des cellules du disque imaginal d’aile. De façon intéressante, à l’issue du développement, en dépit de cette apoptose massive, les adultes présentent des ailes normales (Haynie and Bryant, 1977). La perte des cellules est en fait compensée par une augmentation de la prolifération des cellules saines environnantes. Ce processus, par lequel un tissu endommagé restaure sa taille originelle, est appelé prolifération compensatoire (Figure 35) (Mollereau et al., 2013). L’expression, dans le compartiment postérieur du disque imaginal d’aile, d’une toxine de plante qui inhibe la synthèse protéique conduit, d’une part, à l’élimination de certaines cellules de ce compartiment et d’autre part, à une augmentation de la prolifération qui est observée dans cette même région postérieure (Milan et al., 1997). Ces données suggèrent que des facteurs mitogéniques sont produits dans cette région. Une hypothèse envisagée est que les cellules apoptotiques soient elles-mêmes la source de la production et de la sécrétion de ces facteurs favorisant la prolifération. Toutefois, les cellules apoptotiques étant rapidement éliminées du tissu, il est techniquement difficile de tester cette hypothèse. Des cellules « undead » ont donc été générées pour tenter de répondre à cette question.

2. Cellules « undead » : un outil pour caractériser la prolifération induite par l’apoptose Les cellules « undead » sont des cellules au sein desquelles le processus de mort cellulaire a été initié mais qui sont maintenues en vie du fait d’un blocage de l’exécution du programme de mort (Huh et al., 2004a; Kondo et al., 2006; Perez-Garijo et al., 2004; Perez-Garijo et al., 2005; Ryoo et al., 2004; Wells et al., 2006). Cela est par exemple rendu possible par l’expression de l’inhibiteur de caspase p35. Au sein de ces cellules « undead », la totalité de la cascade apoptotique est activée, à l’exception des caspases effectrices Drice et Dcp1 qui sont bloquées. Cette activation de la cascade apoptotique est théoriquement maintenue indéfiniment. De façon intéressante, la présence de cellules « undead » conduit à un phénotype d’hyperplasie tissulaire ce qui suggère un accroissement de la prolifération cellulaire en réponse à ce type particulier de cellules apoptotiques (Figure 36) (Huh et al., 2004a; Kondo et al., 2006; Perez-Garijo et al., 2004; Perez-Garijo et al., 2005; Ryoo et al., 2004).

Les cellules « undead » ont été très largement utilisées chez la drosophile pour tenter d’élucider les bases moléculaires du processus de prolifération compensatoire. Toutefois, les cellules « undead » n’étant pas éliminées du tissu, il n’y a pas, dans ces conditions expérimentales, à proprement parler, de compensation des cellules perdues. On ne peut donc pas parler de prolifération compensatoire, on utilise plutôt le terme AiP pour faire référence à ce phénomène au cours duquel les cellules apoptotiques (ici les cellules « undead ») favorisent la prolifération des cellules saines environnantes (Figure 35) (Mollereau et al., 2013).

Il a été mis en évidence que les cellules « undead » expriment ectopiquement les morphogènes wingless (wg) et decapentaplegic (dpp) (Fan et al., 2014; Huh et al., 2004a; Kondo et al., 2006; Perez-Garijo et al., 2004;

Dronc   Drice,  Dcp-­‐1   Wg   Dpp   Proliféra4on  induite     par  l’apoptose   Cellules  proliféra4ves     voisines   Apoptose   Hid  Rpr   Diap1   Dmp53   JNK   p35  

Contrôle   «  undead  »  (Cellules  hid  +  p35)   Contrôle  

Cellules  «  undead  »  (IR  +  p35)  

Antérieur   Postérieur   Antérieur   Postérieur  

a.  

b.  

Figure  n°36  :  Mécanisme  d’AiP  en  présence  de  cellules  «  undead  »  dans  un  4ssu  proliféra4f  

(a)  En  présence  de  p35,  l’induc7on  d’apoptose  ac7ve  la  machinerie  de  mort  cellulaire  (en  bleu)  mais  les  

cellules   ne   meurent   pas,   du   fait   d’une   inhibi7on   des   caspases   effectrices.   Ainsi,   l’induc7on   d’apoptose,   en   présence   de   p35,   génère   des   cellules   «   undead   ».   Dans   ces   cellules   «   undead   »,   Dmp53   et   la   voie   JNK   sont   ac7vées   de   façon   dépendante   de   Dronc.   La   voie   JNK   et   Dmp53   permeJent  l’expression  et  la  sécré7on  des  facteurs  mitogéniques  Wg  et  Dpp  ce  qui  déclenche  la   proliféra7on  des  cellules  voisines.  Une  signalisa7on  (en  rose)  se  met  donc  en  place  pour  déclencher   l’AiP.   Du   fait   de   la   persistance   des   cellules   «   undead   »   et   de   la   permanence   des   signaux   mitogéniques  ceJe  AiP  conduit  à  une  hyperplasie  7ssulaire.    

             Adapté  de  Kashio  et  al.  2014,  Ryoo  and  Bergmann,  2012  et  Fan  and  Bergmann,  2008a  

(b)  Exemples  de  phénotypes  d’hyperplasie  7ssulaire  observés,  chez  l’adulte,  après  induc7on  de  mort  

cellulaire  dans  un  7ssu  proliféra7f  au  stade  larvaire  en  présence  de  p35.  Dans  l’exemple  présenté  à   gauche,  la  mort  cellulaire  a  été  induite  dans  les  cellules  proliféra7ves  du  disque  imaginal  d’œil  par  

l’expression   ectopique   de  hid.  p35   est   exprimé   par   toutes   les   cellules   qui   expriment  hid.   Dans  

l’exemple   présenté   à   droite,   la   mort   cellulaire   est   induite   par   irradia7on   (IR)   dans   des   disques  

imaginaux  d’aile.  La  mort  est  bloquée  par  l’expression  de  p35  uniquement  dans  le  compar7ment  

postérieur  du  disque  imaginal  d’aile.      

49 Ryoo et al., 2004). De façon intéressante, la perte de fonction de wg ou dpp réduit fortement la surprolifération des cellules voisines des cellules « undead » ainsi que le phénotype d’hyperplasie tissulaire associé (Perez-Garijo et al., 2005; Perez-Garijo et al., 2009; Ryoo et al., 2004). Ainsi, les cellules « undead » en produisant ectopiquement et de façon continue ces deux morphogènes stimulent, par un mécanisme non-autonome cellulaire, la prolifération des cellules adjacentes ce qui conduit à une hyperplasie du disque imaginal et du tissu adulte correspondant (Huh et al., 2004a; Kondo et al., 2006; Morata et al., 2011; Perez-Garijo et al., 2004; Perez-Garijo et al., 2005; Ryoo et al., 2004). Bien qu’elle soit plus difficilement observable, une expression ectopique de wg et dpp survient également dans les cellules apoptotiques normales (Perez-Garijo et al., 2004; Ryoo et al., 2004).

Différentes études ont permis de mettre en évidence que la caspase initiatrice Dronc et le facteur de transcription Dmp53 assurent une fonction non-apoptotique au sein des cellules « undead » : ils sont requis pour la production de mitogènes pendant l’AiP et l’hyperplasie tissulaire qui lui est associée (Fan et al., 2014; Huh et al., 2004a; Kondo et al., 2006; Wells and Johnston, 2012; Wells et al., 2006). Par ailleurs, la voie de signalisation JNK est activée dans les cellules «undead » et est requise pour la production ectopique de wg et dpp et pour l’AiP provoquée par la présence de cellules « undead » (Figure 36) (Perez-Garijo et al., 2009; Ryoo et al., 2004; Suissa et al., 2011; Warner et al., 2010).

Il est intéressant de noter que les cellules « undead » présentes dans le compartiment postérieur du disque imaginal d’aile ont la capacité de migrer et d’envahir le compartiment antérieur (Perez-Garijo et al., 2004). Bien qu’elles transgressent la frontière antéro-postérieure, les cellules « undead » conservent leur identité postérieure et ne se mélangent pas avec les cellules antérieures (Martin et al., 2009; Morata et al., 2011). Cette capacité des cellules « undead » à migrer est conférée par la persistance d’une activation de la voie JNK dans ces cellules (Morata et al., 2011). De même, il est envisagé que l’expression ectopique de dpp et wg observée dans les cellules « undead » ou dans les cellules apoptotiques normales soit un effet secondaire de l’activation de la voie JNK et non une conséquence directe de l’apoptose (Morata et al., 2011; Perez-Garijo et al., 2009) .

3. Modèles de prolifération induite par l’apoptose n’utilisant pas p35 Au-delà de l’utilisation des cellules « undead », d’autres approches ont été utilisées pour étudier la

prolifération compensatoire chez la drosophile. En combinant l’utilisation du système d’induction conditionnelle UAS-Gal4 et son inhibiteur thermosensible Gal80ts, on peut facilement induire la mort cellulaire en exprimant ectopiquement un gène pro-apoptotique dans un domaine donné du disque imaginal d’aile uniquement pendant un lapse de temps limité (Bergantinos et al., 2010a; Fan et al., 2014; Herrera et al., 2013; Nachtrab and Poss, 2009; Smith-Bolton et al., 2009; Sun and Irvine, 2011). Ainsi, la mort cellulaire survient précocement au cours du 3ème stade larvaire et des mécanismes de compensation, notamment de prolifération compensatoire, peuvent se mettre en place pendant tout ce stade de développement jusqu’à la formation de la pupe (Halme et al., 2010;

Proliféra4on     cellulaire     =    proliféra4on  compensatoire     Disque     endommagé  

Réponse  aux  dommages   Induc4on  d’apoptose  

Uniquement  à  ce  stade  de   développement  et  dans  

une  zone  restreinte      

Compensa4on   Restaura4on  d’une  taille  

correcte  du  4ssu   Disque  imaginal  d’aile  intact  

(3ème  stade  larvaire)    

Disque  en  cours  de  

régénéra4on   Aile  adulte  

Figure  n°37  :  Une  induc4on  spa4o-­‐temporellement  restreinte  d’apoptose  pour  étudier  le  mécanisme   de  proliféra4on  compensatoire.    

En  u7lisant  les  ou7ls  géné7ques  disponibles  chez  la  drosophile,  on  peut  aisément  induire  l’apoptose  à  

un  stade  de  développement  donné  (début  du  3ème  stade  larvaire)  et  dans  une  zone  restreinte  du  disque  

imaginal  d’aile  (ici  la  poche  du  disque  en  vert).  Une  proliféra7on  en  réponse  à  ceJe  mort  cellulaire  peut  

se   meJre   en   place   jusqu’à   la   fin   du   3ème   stade   larvaire   pour   compenser   ceJe   perte   de   7ssu.   CeJe  

proliféra7on  compensatoire  permet  de  restaurer  une  taille  correcte  du  7ssu.  Ainsi,  l’aile  adulte  obtenue   est  semblable  à  une  aile  contrôle.    

Adapté  de  Nachtrab  and  Poss  2009  

Proliféra4on  cellulaire     =    

50 Nachtrab and Poss, 2009; Smith-Bolton et al., 2009). Du fait de cette compensation, les tissus adultes ne présentent pas d’altération en dépit de l’apoptose massive induite au stade larvaire (Figure 37).

L’utilisation de ces modèles d’apoptose temporellement et localement restreinte a permis de mettre en évidence que la présence de cellules apoptotiques « authentiques » induit bien un accroissement de la prolifération. Cette augmentation de la prolifération survient, dans un premier temps, à proximité des cellules apoptotiques puis cette augmentation peut être observée à une plus grande distance de la région contenant les cellules en train de mourir (Bergantinos et al., 2010a; Smith-Bolton et al., 2009). A l’inverse, l’équipe de Ginés Morata a observé une réponse proliférative systémique (le taux de prolifération est augmenté dans tout le disque imaginal d’aile) associée à une migration des cellules pour recoloniser le domaine endommagé (Herrera et al., 2013). Cette différence de réponse à la présence de cellules apoptotiques pourrait être due à l’inducteur de mort utilisé ou à la taille et la localisation de la zone endommagée. Quoiqu’il en soit, cette modification du niveau de prolifération s’accompagne d’une réorganisation du cytosquelette au sein des cellules vivantes bordant le domaine dans lequel les cellules meurent. Ceci permet le maintien de la structure de l’épithélium au cours de l’élimination des cellules apoptotiques (Bergantinos et al., 2010a).

Ces modèles de prolifération induite par une apoptose temporellement et localement restreinte ont été utilisés pour étudier le mécanisme moléculaire sous-jacent à cette augmentation du taux de prolifération. Les études réalisées s’accordent sur le fait que la voie de signalisation JNK est requise pour l’AiP dans ces modèles (Bergantinos et al., 2010a; Fan et al., 2014; Herrera et al., 2013; Sun and Irvine, 2011). Toutefois, selon l’étude considérée, la voie JNK peut être activée à la fois dans les cellules apoptotiques et dans les cellules vivantes voisines ou exclusivement dans les cellules voisines (Bergantinos et al., 2010a; Fan et al., 2014). En dépit de ce rôle crucial de la voie JNK, on ne sait pas encore aujourd’hui précisément comment la voie JNK est activée et quels sont les membres de la voie impliqués dans cette prolifération compensatoire.

Comme décrit précédemment, la sécrétion de Wg et Dpp par les cellules apoptotiques n’est pas une caractéristique propre des cellules « undead », mais survient également dans des cellules apoptotiques classiques (Perez-Garijo et al., 2004; Ryoo et al., 2004; Smith-Bolton et al., 2009). Cette donnée suggère que l’AiP induite par ces morphogènes pourrait avoir un rôle important dans la prolifération compensatoire. Toutefois, bien que ces deux morphogènes soient produits dans les cellules apoptotiques, diverses données indiquent qu’ils ne sont pas requis pour la prolifération compensatoire (Herrera et al., 2013; Perez-Garijo et al., 2009). En effet, cette prolifération survient tout de même dans un contexte mutant pour l’un ou l’autre des morphogènes (Herrera et al., 2013; Perez-Garijo et al., 2009). De même, la perte de fonction conjointe des deux morphogènes n’altère pas ce processus de compensation (Perez-Garijo et al., 2009). Par ailleurs, dans le cas de la mort induite transitoirement et localement au sein du disque imaginal d’aile par la surexpression d’eiger ou de rpr, wg est exprimé dans les cellules en prolifération mais pas dans les cellules en train de mourir (Smith-Bolton et al. 2009). En outre, aucune modification du profil d’expression de wg et dpp n’est observée dans le cas de la mort induite transitoirement par hid (Herrera et al., 2013). Par conséquent, Wg et Dpp ne semblent pas indispensables pour

51 le phénomène de prolifération compensatoire. Le signal provenant des cellules apoptotiques et permettant la prolifération compensatoire reste donc à identifier.

Une étude suggère que ce signal serait fourni par une altération, au sein des cellules apoptotiques, de la localisation des protéines de polarité Par. Cette altération induit l’activation de la voie JNK et conduit à la prolifération des cellules environnantes (Warner and Longmore, 2010; Warner et al., 2010). On ne sait pas encore aujourd’hui précisément comment la voie JNK induit cette prolifération compensatoire. Toutefois, il existe des données dans la littérature permettant d’envisager plusieurs modes d’action possibles. En effet, il a été mis en évidence que l’induction d’apoptose stimule l’activation du facteur de transcription Yorkie dans les cellules saines environnantes où Yorkie est requis pour le processus de compensation (Sun and Irvine, 2011). Cette activation dépend de la voie JNK mais pas de la caspase Dronc (Sun and Irvine, 2011). Plus précisément, il a été montré que la protéine Jub (Ajuba LIM protein), connue pour lier physiquement Warts et l’inhiber est requis pour l’activation de Yorkie dépendante de la voie JNK (Du Toit, 2013; Sun and Irvine, 2013). Une autre étude réalisée récemment indique que la voie EGFR est importante pour l’AiP et que son activation survient en aval de la voie JNK (Fan et al., 2014). Ils envisagent donc un modèle où Spitz serait produit en réponse à la voie JNK dans les cellules apoptotiques, puis ce ligand serait secrété ce qui permettrait d’activer la voie EGFR dans les cellules adjacentes puis de déclencher la prolifération compensatoire (Fan et al., 2014) .

Par ailleurs, des données récentes indiquent que Dmp53 pourrait avoir un rôle dans la prolifération compensatoire. Il existe deux isoformes de Dmp53 : la forme longue (Dmp53) et une forme tronquée en N-terminal (DNp53). L’expression ectopique de DNp53 induit de l’apoptose, accroit l’expression de wg et augmente le taux de prolifération cellulaire (Dichtel-Danjoy et al., 2013). Cette prolifération induite par DNp53 dépend de Notch (N). De façon intéressante, il existe des sites putatifs pour Dmp53 en amont de N. Ces données suggèrent que l’isoforme DNp53 pourrait contrôler l’AiP via la régulation transcriptionnelle de N (Simon et al., 2014).

Ce mécanisme de prolifération compensatoire n’est pas restreint aux tissus prolifératifs. En effet, une prolifération compensatoire peut être observée, en réponse à l’apoptose, dans un tissu en cours de différenciation. Lorsque hid est exprimé ectopiquement sous contrôle du promoteur GMR, une prolifération ectopique est observée en postérieur du sillon morphogénétique dans une région où les cellules ont normalement arrêté de proliférer (Srivastava et al., 2007). Une activation du morphogène Hedgehog (Hh) a été observée dans les cellules en train de mourir en postérieur du sillon morphogénétique. Cette activation est dépendante des caspases effectrices Drice et Dcp1 (Fan and Bergmann, 2008a; Fan and Bergmann, 2008b). Hh permet le retour, dans le cycle cellulaire, des cellules post-mitotiques voisines qui ne sont pas encore différenciées en photorécepteurs, et ainsi favorise la prolifération (Fan and Bergmann, 2008a; Fan and Bergmann, 2008b).

Radiothérapie   Cellules  tumorales   S4mulus  apopto4que   Caspases  ini4atrices   Caspases  effectrices   iPLA2   PGE2   APOPTOSE   EP2   GSK-­‐3β Axin   PROLIFERATION  

β-­‐caténine    

           

Repeuplement  de  la  tumeur  

Figure   n°38   :   La   radiothérapie   peut   avoir   des   conséquences   délétères   du   fait   de   l’existence   d’un   mécanisme  d’AiP  des  cellules  tumorales  

La   radiothérapie   génère   des   s7muli   apopto7ques   qui   ac7vent   les   caspases.   Les   caspases   effectrices   clivent  différents  substrats  cellulaires  dont  iPLA2.  Ce  clivage  induit  une  signalisa7on  paracrine  à  l’origine   d’un   processus   d’AiP.   En   effet,   le   clivage   d’iPLA2   augmente   son   ac7vité,   ce   qui   entraine   une   augmenta7on   du   niveau   de   PGE2.   PGE2   se   lie   à   son   récepteur   EP2   présent   à   la   surface   des   cellules   tumorales  voisines  qui  ont  survécu  à  l’apoptose.  Cela  permet  d’ac7ver  EP2  et  conduit  à  une  signalisa7on  

cellulaire  abou7ssant  à  la  signalisa7on  de  la  β-­‐caténine  et  donc  à  la  proliféra7on  cellulaire.  CeJe  AiP  

permet  de  repeupler  la  tumeur.  La  radiothérapie  peut  donc,  du  fait  de  ceJe  AiP,  être  contre-­‐produc7ve   et  indirectement  favoriser  la  croissance  tumorale.    

52 4. Lien entre prolifération induite par l’apoptose et tumorigenèse

La radiothérapie est fréquemment utilisée chez l’Homme pour tenter d’éliminer par apoptose les cellules cancéreuses nocives pour l’organisme. Toutefois le bénéfice de ce traitement a été remis en cause (Huang et al., 2011). En effet, il a été mis en évidence que l’apoptose induite par les radiations ionisantes active une voie de signalisation dans les cellules tumorales qui stimule la prolifération des cellules tumorales ayant survécu à l’irradiation (Figure 38) (Connell and Weichselbaum, 2011; Huang et al., 2011). Cette AiP qui survient en réponse à la radiothérapie contribue donc au repeuplement de la tumeur (Connell and Weichselbaum, 2011; Huang et al., 2011). La radiothérapie pourrait donc dans certains cas être inefficace et même contre-productive en stimulant la prolifération des cellules tumorales survivantes.

Le mécanisme moléculaire permettant l’AiP dans ce contexte tumoral a été en partie caractérisé (Boland et al., 2013a; Connell and Weichselbaum, 2011; Huang et al., 2011; Jager and Fearnhead, 2012; Li et al., 2010). L’activation de la caspase 3 dans les cellules tumorales est requise pour l’AiP (Huang et al., 2011). De façon cohérente une déficience de la caspase 3 rend les cellules tumorales plus sensibles à la radiothérapie (Huang et al., 2011). Par ailleurs il est intéressant de noter qu’un niveau élevé de caspase 3 dans les cellules tumorales est associé à un mauvais pronostic pour le patient (Connell and Weichselbaum, 2011; Huang et al., 2011). La caspase 3 stimule la synthèse d’une molécule de signalisation à savoir la prostaglandin E2 (PGE2). Il a été mis en évidence