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La Protéine Phosphatase de type 1 (PP1) est la première phosphatase à avoir été découverte (Brautigan 2013). Cette phosphatase à Sérine/Thréonine appartient à la famille PPP (Phosphoprotein phosphatase) évoquée dans la partie précédente de ce manuscrit (Khalife et al. 2013). Les phosphatases membres de la famille des PPP sont exprimées sous la forme de sous-unités catalytiques capables d’interagir avec de nombreux partenaires protéiques qui font office de sous-unités régulatrices (Yang and Arrizabalaga 2017). Ainsi, chez les mammifères, 3 isoformes de sous-unités catalytiques PP1, notées PP1c, (, β/δ et ) sont encodées par des gènes différents et sont capables d’interagir avec plus de 200 sous-unités régulatrices, formant ainsi une multitude d’holoenzymes, notées PP1 (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017). D’un point de vue moléculaire, PP1c est une sous-unité catalytique comportant de nombreux sillons capables d’accueillir différents motifs d’interaction présents sur les sous-unités régulatrices (Figure 16).

Les sous-unités régulatrices interagissent avec PP1c au moyen de domaines entiers (comme les répétitions Leucine-Rich chez Sds22 ou Ankyrin chez MYPT1) ou via un à plusieurs motif(s) d’interaction de quelques acides aminés de longueur (RVxF, FKK, SILK, ϕϕ, ainsi nommés à partir des acides aminés qu’ils contiennent et qui leur confère un potentiel de liaison à PP1c - (Khalife and Pierrot 2016)). Les surfaces d’interaction ainsi créées (1500 à 5000 Ų) recouvrent 5 à 20% de la surface de PP1c et impactent plus ou moins sa structure, notamment celles des sillons acide, hydrophobe et C-ter qui encadrent son site catalytique, et, donc, sa fonction (Figure 16, (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017)). Le code de liaison à PP1c est par ailleurs très précis (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017) :

Spécifique : les sous-unités régulatrices de PP1c n’interagissent pas avec d’autres PPP

Universel : PP1c étant conservée à plus de 80% dans le règne des eucaryotes (Bhattacharyya et al. 2002), le code de liaison à la sous-unité catalytique est le même quel que soit l’eucaryote

Figure 16 : Structure tertiaire de la sous-unité catalytique PP1c (β) et présentant ses différents sillons catalytiques (indiqués par des flèches) et d'interaction (régions colorées, cf. légende).

Recouvrant : deux motifs d’interaction ciblant le même sillon sur PP1c ne peuvent se combiner

pour interagir en même temps ; le premier à interagir avec le sillon de PP1c empêchera le second de faire de même – premier arrivé, premier servi !

Dégénéré : des variabilités dans la séquence des motifs d’interaction induisent des différences

d’affinité avec PP1c

Non exclusif : PP1c peut interagir avec plus d’une sous-unité régulatrice si les différents

partenaires protéiques lient des régions ou sillons différents sur la sous-unité catalytique

Dynamique : les partenaires de PP1c sont en compétition pour lier la sous-unité catalytique,

suivant les motifs d’interaction qu’ils contiennent et l’affinité de l’interaction qu’ils sont capables d’instaurer avec la phosphatase.

Les sous-unités régulatrices jouent un rôle de premier plan dans la régulation de l’activité enzymatique de PP1c. En effet, PP1c est l’une des phosphatases les plus actives ; elle présente une telle affinité avec l’intermédiaire réactionnel du groupement phosphate à retirer, qu’elle multiplie par 1021 le taux de réaction de déphosphorylation (Lad, Williams, and Wolfenden 2003; Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017). Une sous-unité catalytique PP1c seule est donc une véritable « machine de guerre » qui déphosphoryle tout sur son passage, comme l’illustrent les expériences de Chatterjee et al. montrant que sa surexpression entraîne la mort de la cellule (Chatterjee et al. 2012). Pour maintenir la balance phosphorylation/déphosphorylation, il est donc primordial de maîtriser la « puissance déphosphorylatrice » de PP1c en modulant son activité, sa spécificité de substrat, et en l’orientant dans l’espace et dans le temps (Khalife and Pierrot 2016). Ces mécanismes de régulation sont d’autant plus importants que PP1c est exprimée de manière abondante (jusqu’à 250.000 copies dans les cellules des souches cancéreuses HeLa) et ubiquitaire (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017). C’est là que les sous-unités régulatrices prennent toute leur importance :

 Contrairement à la PP1c, les sous-unités régulatrices sont exprimées à différentes phases du cycle cellulaire ; elles peuvent donc se relayer au chevet de la/des sous-unité(s) catalytique(s) PP1c pour laquelle/lesquelles elles présentent une certaine affinité afin de contrôler sa/leur localisation et/ou son/leur activité (G. S. Kumar et al. 2016; Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017).

 Certaines sous-unités régulatrices sont capables de réguler la localisation de PP1c. Ainsi, dès qu’il est exprimé, NIPP1 (Nuclear Inhibitor of PP1) recrute spécifiquement PP1 et  au noyau (Trinkle- Mulcahy, Sleeman, and Lamond 2001).

 Certaines sous-unités régulatrices sont capables de moduler la spécificité de substrat de la phosphatase. Ainsi, la Spinophiline recrute la PP1 neuronale aux synapses. Son interaction avec la PP1c n’induit pas de changement drastique de charge ou de repliement dans la sous-unité catalytique. Pourtant, les subtiles modulations de la structure de la sous-unité catalytique induites par cette interaction orientent sa spécificité de substrat, en l’empêchant notamment de déphosphoryler la phosphorylase a sans impacter sa capacité à déphosphoryler d’autres substrats neurone-spécifiques (Ragusa et al. 2010).

 Certaines sous-unités régulatrices sont capables d’inhiber l’activité phosphatase. C’est le cas, par exemple, de l’Inhibiteur 2 (I2). Cette sous-unité régulatrice de PP1c est conservée chez tous les eucaryotes. Son expression est à son niveau le plus élevé pendant la mitose, où il joue un rôle clé dans la régulation de la kinase Aurora B (qui est notamment impliquée dans la validation des points de contrôle du cycle cellulaire, l’alignement des chromosomes et la complétion de la

cytokinèse) et de PP1c. I2 inhibe PP1c qui, elle, inhibe Aurora B en la déphosphorylant. I2 tient ainsi un rôle important dans l’orchestration des différentes étapes de la mitose (W. Wang, Stukenberg, and Brautigan 2008). Par ailleurs, l’Inhibiteur 2 est pressenti pour jouer un rôle dans la biogénèse de PP1c, et notamment dans l’incorporation des ions divalents Fe2+ et Zn2+ dans son site catalytique (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017; Heroes et al. 2015).

 Aux différents niveaux de régulation de l’activité phosphatase évoqués ci-dessus, s’ajoutent les MPTs ; la phosphorylation de PP1c (G. S. Kumar et al. 2016) ou celle des sous-unités régulatrices

(Nasa et al. 2018), participe directement à la régulation de l’assemblage de plusieurs holoenzymes PP1. De plus, la compétition entre les sous-unités régulatrices, qui est liée à leur nombre et à leur affinité relative avec PP1c et avec leurs autres partenaires, influe également sur la formation de différentes holoenzymes PP1 (Verbinnen, Ferreira, and Bollen 2017).

La régulation de l’activité et de la localisation des holoenzymes PP1 leur permet de contrôler des processus cellulaires très variés comme la division cellulaire (Rebelo et al. 2015; Moura et al. 2017), la synthèse des protéines (Yang and Arrizabalaga 2017), la transcription, le trafic intracellulaire ou l’apoptose

(Ceulemans and Bollen 2004) au niveau cellulaire et, à l’échelle d’un organe, des processus importants comme la contraction musculaire (Lacampagne, Fauconnier, and Richard 2008) ou la plasticité synaptique

(Munton, Vizi, and Mansuy 2004). Cette liste est loin d’être exhaustive, mais permet de présumer de l’essentialité des holoenzymes PP1 (c’est-à-dire des sous-unités catalytiques, mais aussi des sous-unités régulatrices ainsi que des interactions entre elles) pour les cellules eucaryotes.

Chez Plasmodium falciparum, comme chez les autres apicomplexes, un seul isoforme de PP1c est exprimé

(Yang and Arrizabalaga 2017). PfPP1c est localisée dans le noyau et le cytoplasme du parasite, et est également exportée aux sillons de Maurer (Daher et al. 2006; Blisnick et al. 2006). Une étude basée sur l’utilisation d’inhibiteurs de phosphatase, comme la calyculine A, qui inhibe spécifiquement PP1c, ou l’acide okadaïque qui cible préférentiellement PP2A, a montré qu’elle est la phosphatase majeure du parasite (Bhattacharyya et al. 2002). Diverses approches destinées à statuer sur l’essentialité de cette enzyme ont ensuite été entreprises. La première était basée sur l’utilisation de l’ARN interférence. Les parasites transfectés dans le cadre de cette étude n’ayant pas survécu, les auteurs ont conclu à l’essentialité de PfPP1c pour le cycle intra-érythrocytaire du parasite (R. Kumar et al. 2002). Cependant, ces résultats sont à relativiser car, comme évoqué plus haut, Plasmodium ne dispose pas du dispositif enzymatique nécessaire pour permettre au système d’ARN interférence de fonctionner (Baum et al. 2009). La mortalité observée par Kumar et al pourrait peut-être s’expliquer par une toxicité intrinsèque de l’ARN utilisé. Les essais d’interruption de PfPP1c effectués chez les stades sanguins dans les années qui ont suivi ont tous été infructueux, montrant ainsi la vraisemblable essentialité de cette enzyme à cette phase du cycle de vie de Plasmodium (Guttery et al. 2014; M. Zhang et al. 2016). Ces informations ont été confirmées plus récemment en utilisant un système d’insertion de transposons PiggyBac chez P. falciparum (M. Zhang et al. 2018). En parallèle, une étude, basée cette fois sur l’utilisation d’un système de KO conditionnel où le gène d’intérêt est remplacé par une cassette de résistance au stade sporozoïte, a été effectuée chez P.

berghei (M. Zhang et al. 2016). Lorsque l’expression de PbPP1c a ainsi été abolie, les parasites n’ont présenté aucun défaut de développement ni au stade sporozoïte, ni aux stades hépatiques. Néanmoins, par la suite, les parasites KO pour PbPP1c n’ont pas pu établir d’infection des érythrocytes, confirmant ainsi l’essentialité de PbPP1c pour le développement intra-érythrocytaire des parasites. La fonction de la PP1c

de Plasmodium lors de l’émergence puis de l’activation des gamétocytes, ainsi que lors de la fécondation des gamètes et du développement des ookinètes, n’est donc pas connue à ce jour.

Au sein de l’équipe 2 du CIIL, plusieurs sous-unités régulatrices de PfPP1c conservées, et identifiées par génomique comparative, ont été caractérisées : Leucine-Rich Repeat 1 (LRR1, (Daher et al. 2006)), Inhibiteur 2 (I2, (Fréville et al. 2013, 2014)), Inhibiteur 3 (I3, (Fréville et al. 2012)), eukaryotic Initiation factor 2β (eIf2β, (Tellier et al. 2016)). Différentes approches de criblage d’interactions protéine-protéine ont ensuite permis d’identifier des partenaires de PfPP1c spécifiques de Plasmodium (Hollin et al. 2016). Nous y reviendrons plus tard dans la partie Cadre & Objectifs de ce manuscrit.

La capacité des motifs d’interaction, notamment RVxF qui est présent chez 70% des sous-unités régulatrices de PP1c (Rebelo et al. 2015), à interagir fortement et très localement avec un sillon de PP1c a mené à des approches d’inhibition des interactions permettant la formation d’holoenzymes PP1 basées sur l’utilisation de molécules ou de peptides mimant des motifs d’interaction comme RVxF (Guergnon et al. 2006; Godet et al. 2010; Chatterjee et al. 2012; Ammosova et al. 2012; Brautigan 2013). Ces approches se sont avérées particulièrement efficaces dans l’inhibition du développement de Plasmodium falciparum in vitro

(Pierrot et al. 2012; Fréville et al. 2014; Pierrot et al. 2018). Elles s’ajoutent aux études de l’essentialité de PP1c effectuées chez Plasmodium, notamment en démontrant l’importance des interactions protéine-protéine à l’origine de la création des holoenzymes PP1 pour la (sur)vie du parasite.