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Décryptage : qui des marais ou des moustiques est responsable de la malaria ?

II. Plasmodium est l’agent infectieux responsable du paludisme

1. Décryptage : qui des marais ou des moustiques est responsable de la malaria ?

Ainsi que cela a été décrit plus haut, les apicomplexes ont co-évolué avec leurs hôtes et ont adapté leur cycle de vie à celui de ces organismes qu’ils parasitent et, inversement, les hôtes ont mis en place des stratégies pour empêcher l’infection. Plasmodium n’échappe pas à la règle, et ce de manière assez efficace

(Sabbatani, Manfredi, and Fiorino 2010). Russel dira ainsi en 1943 : “No disease has, or has had through

centuries, a more profound influence on world health than malaria”(Russell 1943).

Les plus anciennes allusions à la malaria remontent à 2700 avant JC pour la Chine, où l’on pense alors qu’elle est infligée par des démons armés du marteau, du brasero et de la marmite d’eau froide (description des différentes phases de la pathologie : courbatures et céphalées, fièvre, frissons/sueurs puis rémission entre deux accès de fièvre) (Gantier 1998; F. E. G. Cox 2002). D’autres allusions à la malaria sont faites dans des tables d’argile de Mésopotamie datant de 2000 avant JC, ou encore dans le papyrus d’Ebers en Égypte en 1570 environ avant JC, où les habitants faisaient des offrandes à la déesse Sekhmet contre les ‘pestilences périodiques’ particulièrement dangereuses pour les jeunes enfants pendant les périodes de crues du Nil (Gantier 1998; F. E. Cox 2010). La caractéristique première de la fièvre des marais était en effet sa périodicité (fièvre tierce ou quarte), qui permettait de la distinguer d’autres types de fièvres comme la fièvre typhoïde, par exemple. Hippocrate, en 400 avant JC, avait remarqué cette périodicité, ainsi que le fait que les malades présentaient une splénomégalie et une grande faiblesse. Il attribue alors les fièvres à la consommation de l’eau des marais (traduction du grec ancien - chapitre 7 de son écrit ‘On Airs, Waters, and Places’) :

“Such waters then as are marshy, stagnant, and belong to lakes, are necessarily hot in summer, thick, and have a strong smell, since they have no current; but being constantly supplied by rain-water, and the sun heating them, they necessarily want their proper color, are unwholesome and form bile; in winter, they become congealed, cold, and muddy with the snow and ice, so that they are most apt to engender phlegm, and bring on hoarseness; those who drink them have large and obstructed spleens, their bellies are

hard, emaciated, and hot; and their shoulders, collar-bones, and faces are emaciated […]. This disease is habitual to them both in summer and in winter, and in addition they are very subject to dropsies of a most fatal character; and in summer dysenteries, diarrheas, and protracted quartan fevers frequently

seize them, and these diseases when prolonged dispose such constitutions to dropsies, and thus prove fatal.”(Hippocrates 400BC)

Aulus Cornelius Celsus (25 av. JC-54), encyclopédiste romain, décrit également les différents accès de fièvre (tierce, quarte, paroxysme puis rémission…) (Cunha and Cunha 2008). En Rome antique, les cas de fièvre étaient également reliés à la présence des marais, mais cette fois, c’est l’air émanant des eaux stagnantes qui était incriminé. On y parlait de mal aria, le mauvais air en italien médiéval, qui est utilisé sous la forme contractée malaria en anglais à partir de 1740 (Cunha and Cunha 2008; Hempelmann and Krafts 2013). Des systèmes de drainage conçus par les ingénieurs romains ont permis d’assécher ces marais et d’améliorer les conditions de santé des habitants de la ville. Jusqu’à ce qu’Alaric et ses barbares prennent possession de la ville vers 410 et détruisent les systèmes de drainage… avant de fuir Rome car le retour du

Au vu de l’impact de la malaria sur la santé des populations de l’époque, la maladie était prise très sérieusement et perçue comme une punition divine ou un mauvais sort. Quintus Serenus Sammonicus, médecin auprès de l’empereur romain Caracalla, avait mis au point une amulette antipyrétique. Il préconisait d’écrire ABRACADABRA (parfois traduit par « qu’il soit détruit ») d’une certaine manière sur un morceau de papier et de le porter autour du cou à l’aide d’un cordon en lin pendant 9 jours, puis de le jeter par-dessus son épaule dans un ruisseau courant vers l’Est (Hempelmann and Krafts 2013). Beaucoup d’auteurs parlent de la fièvre des marais comme d’une catastrophe redoutée, à l’instar de Homère dans l’Iliade : « Le Chien d'Oriôn […] est la plus éclatante des étoiles, mais c'est aussi un signe funeste qui présage une fièvre ardente aux misérables hommes mortels. » (Homer 850BC).

Il a fallu plusieurs siècles de cohabitation entre Plasmodium et Homo sapiens avant que la curiosité, la persévérance et la patience de quelques scientifiques et médecins militaires ne permettent de trouver le vrai coupable de la malaria. La découverte des bactéries en 1676 par Antoni van Leeuwenhoek puis la théorie des germes de Louis Pasteur et Robert Koch (en 1878-79) a poussé à rechercher l’organisme microscopique responsable de la malaria (F. E. Cox 2010). L’étude d’espèces phylogénétiquement proches de Plasmodium (des Hémosporidés capables d’infecter des oiseaux par exemple) a également fourni des pistes de compréhension du cycle de vie de l’apicomplexe.

Tout commença avec Louis Alphonse Laveran, médecin militaire français affecté à Constantine en Algérie en 1878. Pendant deux ans, dans les hôpitaux de Bône, Biskra et Constantine, Laveran va s’attacher à comprendre la cause de la malaria, qu’il appelle par ailleurs plutôt impaludisme (palus, en latin, signifie marais – paludisme est aujourd’hui utilisé pour nommer la malaria en français) (Petithory 1995). En effectuant des autopsies sur des patients décédés d’un accès palustre, il remarque des pigmentations noires accumulées préférentiellement dans certains organes : la rate, le foie, les vaisseaux capillaires du cerveau et de la moelle épinière. Il observe également, notamment chez les algériens ayant vécu dans des endroits insalubres (ayant donc probablement contracté plusieurs fois le paludisme) une splénomégalie importante et la présence de ce pigment (Figure 4). Il décide alors de rechercher ce pigment dans le sang frais prélevé à des patients atteints du paludisme. À l’aide de son microscope optique (grossissement x400) et de carmin, il examine minutieusement du sang qu’il a prélevé. Il remarque la présence du pigment dans le sang des malades, sous différentes formes – qu’il appelle ‘corps’ – en fonction des phases de la pathologie et rapporte ses observations sur des planches (Figure 5). La quinine, extraite de l’écorce de quinquina pour la première fois au début XIXème siècle, étant le seul traitement antipaludique disponible à l’époque, il l’administre aux malades dont il a la charge et observe également la disparition des fameux pigments dans le sang des patients traités (Laveran 1881). Toutes ces observations amènent Laveran à conclure que le paludisme est dû à un parasite et non à une bactérie comme suggéré plus tôt par Klebs et Tommasi-Crudeli. Ayant remarqué également des mouvements oscillants et l’apparition de flagelles sur les corps n°2 (Figure 5), il décide d’appeler le parasite qu’il observe Oscillaria malariae. Si Laveran ne réussit pas à faire entendre ses découvertes aux membres de l’Académie Française de Médecine, il parviendra néanmoins à convaincre les italiens Grassi, Bignami, Bastianelli, Celli, Golgi et Marchiafava qui contribueront eux aussi à élucider le cycle de vie de Plasmodium.

Figure 4 : Planche I dessinée et publiée par Laveran en 1881 (‘Nature Parasitaire des Accidents de l’Impaludisme’ – Source = Gallica – Bibliothèque Nationale de France)

Figure 5 : Planche II dessinée et publiée par Laveran en 1881 (‘Nature Parasitaire des Accidents de l'Impaludisme’ – Source : Gallica – Bibliothèque National de France)

Laveran, comme beaucoup de ses confrères de l’époque, pense que le microorganisme qui déclenche les crises de paludisme est transmis par l’inhalation de l’air des marais ou la consommation d’eau stagnante

(Newton 1895). Albert Freeman Africanus King, un médecin américain, croit en revanche fermement que les moustiques n’y sont pas pour rien dans la transmission du paludisme et établit sa doctrine paludisme- moustique sur la base de 19 points factuels (F. E. Cox 2010). Ces 19 faits sont en grande majorité des comparaisons entre les conditions de reproduction et de vie idéales des moustiques (température supérieure à 60°F, soit environ 15°C, besoin de points d’eau stagnante pour le développement des larves de moustique, capacité des moustiques adultes à voler, incapacité à voler à une altitude supérieure à 3-4 mètres) et des saisons/conditions de transmission du paludisme (King 1883).

Il faudra attendre 1897, avec les canadiens William Mc Callum et Eugène Opie qui étudient des pathologies touchant les oiseaux, pour obtenir des informations sur les formes sexuées d’Haemoproteus

columbae et leur fécondation dans l’estomac du moustique. Les deux étudiants en médecine observent

également la séquestration de Plasmodium relictum dans le foie et la rate d’oiseaux morts de paludisme aviaire (F. E. Cox 2010). Patrick Manson, parasitologue écossais, est intéressé par cette découverte mais ne peut se rendre dans des zones impaludées pour l’étudier. Il réussit à convaincre Ronald Ross, médecin de l’armée britannique, de faire quelques études en ce sens (F. E. Cox 2010). Ross fait différentes expériences au cours desquelles il capture des oiseaux, examine leur sang pour retrouver le pigment de Laveran et les met en présence de moustiques appartenant à différentes espèces, ce qui lui permettra de noter que les parasites aviaires ne sont pas transmis par les Anopheles qui transmettent le paludisme humain (Ross 1898). Il dissèque ensuite les moustiques et suit l’évolution du cycle de vie des protozoaires dans leur estomac (Ross 1898). Il montre ainsi que les flagelles observés par Laveran (qui sont les stades sexués mâles) fusionnent avec des cellules rondes qu’il prend pour des leucocytes (mais qui sont en réalité les stades sexués femelles), avant de donner des « vermicules » qui traversent la paroi de l’estomac du moustique et forment des boules dans la paroi à l’extérieur de l’estomac. Il observe ensuite les changements d’aspect de ces boules pendant 1 à 2 semaines puis leur destruction suivie par la libération de parasites (stades sporozoïtes) qui sont stockés dans les glandes salivaires des moustiques (Figure 6, (F. E. Cox 2010)). À la même époque, les italiens Bignami et Grassi, puis Manson, démontrent à l’aide d’une approche similaire que les moustiques sont responsables de la transmission de Plasmodium de personnes atteintes d’un accès palustre à des personnes saines (tout simplement en laissant les Anophèles femelles se nourrir sur des malades puis sur des personnes saines) (F. E. Cox 2010).

Le monde de la malariologie pensa la boucle bouclée en 1903 avec l’affirmation du scientifique allemand Fritz Schaudinn que les sporozoïtes étaient capables d’infecter directement des hématies, bien que personne n’ait pu confirmer ses résultats (F. E. Cox 2010). Cependant, 34 ans plus tard, Sydney James et Parr Tate démontrent qu’il y a une phase de latence entre le moment où des sporozoïtes de Plasmodium

gallinaceum sont injectés à des poules et le moment où les parasites sont détectés dans le sang (F. E. Cox 2010). Une décennie plus tard, en 1947, Henry Shortt et Cyril Garnham, des parasitologues britanniques ayant déjà travaillé sur un parasite du genre Hepatocystis, découvrent que cette période de latence est due à une phase de développement dans le foie (F. E. Cox 2010). L’élucidation du cycle de vie complet de

Figure 6 : Planche reprenant les observations de Ross sur le développement de Plasmodium dans l'estomac du moustique (Source : ‘Report on the Cultivation of Proteosoma, Labbé, in Grey Mosquitos’ – 1898)

Figure 7 : Frise chronologique reprenant les évènements majeurs de l'élucidation du cycle de développement de Plasmodium