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V. Kinases et pseudokinases

1. Les kinases de type Hanks

Suite à la découverte de la phosphorylation au milieu du XXème siècle, et de la PKA (Protéine Kinase A ou cAMP-dépendante Protéine Kinase A), l’identification et la caractérisation de kinases à Sérine/Thréonine (S/T) et à Tyrosine (Y) ont littéralement explosé (Brautigan 2013). Ainsi, à la fin du XXème siècle, Hanks et Hunter ont répertorié toutes les kinases eucaryotes alors caractérisées et ont effectué un alignement de 60 séquences de kinases appartenant à différentes familles. Cette analyse leur a permis d’identifier 12 sous- domaines conservés à plus de 95% parmi toutes les kinases comparées. Au vu du taux de conservation de ces sous-domaines, qui présageait de leur importance dans la catalyse de réactions de phosphorylation, et en s’appuyant sur le cristal de la PKA qui venait d’être publié, ils ont commencé à attribuer un rôle à chacun des sous-domaines (Hanks, Quinn, and Hunter 1988; Hanks and Hunter 1995). Il a par ailleurs été récemment proposé d’englober toutes les kinases à S/T, eucaryotes ou non, dans une même appellation, les kinases de type Hanks, car elles comportent toutes la même signature composée des 12 sous-domaines définis par Hanks et Hunter (Stancik et al. 2018). Au début du XXIème siècle, les cristaux de plusieurs autres kinases de type Hanks ont été publiés, puis examinés et comparés les uns aux autres afin de définir le cœur du domaine, les différentes conformations qu’il adopte au cours de la catalyse de la phosphorylation et de mettre en lumière les différences existant entre kinases (Taylor et al. 2012).

a. Domaine kinase

Un domaine kinase est composé de 250 à 300 acides aminés qui se replient en deux lobes : un lobe N- terminal essentiellement composé de brins β antiparallèles (brins β 1 à 5, une à deux hélice(s) ) (Figure 17a) et un lobe C-terminal essentiellement composé d’hélices  (4 petits brins β et 6 hélices ) (Figure 17b)

(Hanks, Quinn, and Hunter 1988). Le lobe N-ter comporte les sous-domaines I à IV définis par Hanks et Hunter et est spécialisé dans l’accommodation de l’ATP (Hanks and Hunter 1995; Taylor et al. 2012) :

Sous-domaine I : il est constitué d’une triade de glycines qui est localisée dans une boucle entre les brins β1 et 2 du lobe N-ter (Figure 17c). Cette boucle, particulièrement flexible, est localisée entre deux brins β qui maintiennent l’ATP dans le site catalytique. Elle comporte divers acides aminés polaires non chargés (Sérine, Thréonine, Arginine) qui forment des liaisons hydrogène avec les groupements phosphates de l’ATP et permettent d’orienter le phosphate  de l’ATP vers le site catalytique du domaine kinase (Figure 17c). La fonction de cette boucle est modulée par la composition de sa structure primaire, et parfois par phosphorylation chez certaines kinases

(Bossemeyer 1994).

Sous-domaine II : il est caractérisé par une lysine dont la chaîne latérale plonge dans le site catalytique (K72 sur la Figure 17d) et stabilise les groupements phosphate de l’ATP ( et β lorsque

la kinase est en conformation inactive, et β et  lorsque la kinase est en conformation active). Cette Lysine est l’un des sous-domaines indispensables à la fonction catalytique d’un domaine kinase

(Manning et al. 2002).

Sous-domaine III : il contient un glutamate qui se situe dans l’hélice C du lobe N-ter (E91 sur la

Figure 17d). Ce glutamate facilite la stabilisation de la conformation active du domaine kinase en formant une liaison hydrogène avec la lysine du sous-domaine II.

Sous-domaine IV : il a été repéré par Hanks et Hunter parce que contenant un acide aminé conservé entre toutes les séquences de domaine kinase alignées alors. Cependant, il ne semble pas impliqué dans l’activité kinase.

Vient ensuite le sous-domaine V, qui est une région hydrophobe non structurée séparant les deux lobes du domaine kinase ; cette région est donc appelée « région inter-lobe ». Son rôle dans l’accommodation de l’ATP sera développé par la suite.

Figure 17 : Présentation de la structure du domaine kinase de la PKA tirée de Taylor et al. 2012 – les brins β sont en vert et numérotés de 1 à 9, les hélices sont en rouge et nommées de A à G. Les liaisons hydrogènes sont symbolisées par des segments en pointillés a) Lobe N-terminal b) Lobe C-terminal c) Zoom sur le sous-domaine I (la triade de Glycines maintenant l’ATP dans le site catalytique de la kinase) d) Zoom sur les sous-domaine II (K72) et III (E91) et leur contribution à la stabilisation de l’ATP e) Zoom sur les sous-domaines VIb (165RDxKxxN171, boucle catalytique) et VII

Le lobe C-ter comporte les sous-domaines VI à XI définis par Hanks et Hunter et qui sont impliqués dans la catalyse de la phosphorylation et la reconnaissance du substrat. Une petite plateforme de brins β courts forme le fond du site catalytique du domaine et repose sur un cœur plus compact d’hélices  ((Hanks and Hunter 1995; Taylor et al. 2012) – Figure 17b) :

Sous-domaine VIa : cette région a été identifiée de manière similaire au sous-domaine IV et joue potentiellement un rôle de stabilisation de certaines conformations du domaine kinase. Il ne semble pas jouer de rôle précis dans l’activité kinase.

Sous-domaine VIb : ce sous-domaine se replie en deux petits brins β (6 et 7, Figure 17e). Entre eux se trouve la boucle catalytique du domaine kinase HRDxKxxN pour les kinases à S/T et plutôt HRDxAARN pour les kinases à Y (Araki et al. 2014). L’aspartate (D166 sur la Figure 17e) de cette boucle catalytique est responsable des transferts de groupement phosphate et ses acolytes Lysine (K168 sur la Figure 17e) et Asparagine (N171 sur la Figure 17e) lui facilitent la tâche en stabilisant les ions Mg2+ cofacteurs de l’activité kinase et le groupement phosphate de l’ATP (Pérez-Gallegos

et al. 2014).

Sous-domaine VII : ce sous-domaine est localisé entre les feuillets β8 et 9 du lobe C-ter ; il s’agit de la boucle de liaison aux ions Magnésium (« Mg-binding loop » sur la Figure 17e). Ces derniers sont des cofacteurs de l’activité kinase importants qui prennent part au positionnement de l’ATP et facilitent le transfert du groupement phosphate  de l’ATP au substrat (Pérez-Gallegos et al. 2014). Le sous-domaine VII contient le motif « DFG » très conservé dont l’aspartate (D184 sur la

Figure 17e) est directement impliqué dans la stabilisation des ions Mg2+.

Sous-domaine VIII : il contient le motif très conservé « APE » dont le rôle sera développé un peu plus tard. Entre les sous-domaines VII et VIII se trouve la boucle d’activation (« activation segment » sur la Figure 17b) dont le repliement et la fonction peuvent être modulés par phosphorylation, et dont la structure primaire (i.e. sa composition en acides aminés) et la longueur influencent sa fonction (Nolen, Taylor, and Ghosh 2004).

Sous-domaine IX : il s’agit de l’hélice F ; elle est probablement plutôt impliquée dans des interactions de stabilisation du lobe C-ter et de soutènement de la plateforme du site actif.

Sous-domaines X et XI : malgré leur conservation, leur rôle est plutôt obscur et probablement proche de celui du sous-domaine IX.

b. Conformations ON/OFF

Les kinases possédant la signature des 12 sous-domaines de Hanks, qui sont donc des kinases « classiques », changent de conformation de manière très dynamique (suivant des processus de régulation qui seront évoqués dans la sous-partie juste après) (Taylor and Kornev 2011). Un ensemble d’interactions de différentes sortes s’instaurent entre les sous-domaines définis ci-dessus et permettent la formation de deux colonnes vertébrales (‘spine’ en anglais) au sein du domaine kinase : la colonne « C » pour « catalytic » et la colonne « R » pour « regulatory » ((Kornev and Taylor 2010) - Figure 18). La colonne « C » (en jaune sur la Figure 18) résulte de la superposition de plusieurs chaînes latérales hydrophobes, de la région inter-lobe notamment, qui s’empilent de part et d’autre de l’adénine de l’ATP, la bloquant ainsi au fond du site catalytique (Figure 18b). La colonne « R » résulte aussi de l’empilement de chaînes hydrophobes : une tyrosine ou une histidine légèrement en amont de la boucle catalytique (Y164 sur la

Figure 18 : Schémas des conformations ON et OFF des domaines kinases d’après Kornev and Taylor 2010 et

Taylor et al. 2012. La colonne « C » comme Catalytic (C-spine) est en jaune et la colonne « R »comme Regulatory

(R-spine) est en rouge. a) Conformation OFF = inactive b) Acides aminés impliqués dans la formation des colonnes C et R c) Conformation ON = active.

Figure 18b), la phénylalanine du motif DFG (F185 sur la Figure 18b) et d’autres résidus hydrophobes du lobe N-ter (hélice C et feuillet β5). Le passage de la conformation OFF (Figure 18a) à la conformation ON (Figure 18c)ne se résume pas simplement à la formation/stabilisation de ces colonnes. Il coïncide parfois avec une rotation du motif DFG qui passe alors d’une configuration OUT à une configuration IN. Cette rotation est intimement liée aux mouvements des résidus alentour situés dans l’hélice C ou proches de la boucle catalytique (Treiber and Shah 2013; Möbitz 2015). La phosphorylation de la boucle d’activation, qui débute avec le motif DFG, peut également impacter cette configuration IN (Nolen, Taylor, and Ghosh 2004). Enfin, d’autres interactions peuvent se mettre en place pour renforcer la conformation ON du domaine kinase : liaison hydrogène entre la Lysine du sous-domaine II et le Glutamate du sous-domaine III (schématisé sur la Figure 18c), liaison similaire entre le Glutamate du motif APE et une Arginine située entre les hélices H et I du lobe C-ter, etc. (Taylor et al. 2012). Toutes ces données démontrent l’existence d’un cœur catalytique commun à toutes les kinases. Ainsi, une kinase chez qui les colonnes C et/ou R sont brisées n’est pas active (Taylor et al. 2012; Chao and Avruch 2019). Des comparaisons des surfaces de plusieurs cristaux de kinases ont permis de démontrer que ces changements de conformation, qui visent à stabiliser l’ATP au sein du site catalytique pour faciliter la catalyse de la phosphorylation, peuvent comporter des spécificités d’une kinase à une autre, comme des poches plus ou moins spacieuses ou accessibles (Kornev et al. 2006; Thompson et al. 2009). Enfin, dans le brin β5 du lobe N-ter, au début du sous- domaine V, se trouve un acide aminé appelé « gatekeeper ». Sa chaîne latérale est suspendue au-dessus du site catalytique, entre les colonnes C et R (Kornev and Taylor 2010). La taille de cette chaîne, qui est spécifique à chaque kinase, va donc impacter l’accès au site catalytique.

c. Régulation de l’activité kinase

Aux changements de conformation dynamiques évoqués ci-dessus, s’ajoutent divers modes de régulation de l’activité kinase (Hunter 1987; Kornev and Taylor 2010) :

 Des modulations par MPT, principalement par phosphorylation, dans la boucle catalytique, dans la boucle de la triade de glycines ou ailleurs dans le domaine catalytique, induisent des changements conformationnels et peuvent donc activer ou inhiber l’activité kinase (Doerig et al. 2015).

 Certaines kinases, comme la kinase à S/T PKA ou la kinase à Y BTK (Bruton’s Tyrosine Kinase), comportent des domaines de régulation en amont et en aval du domaine kinase et qui sont capables d’interagir avec ce dernier pour le stabiliser, soit en conformation active soit en conformation inactive (Taylor et al. 2012; Q. Wang et al. 2015). D’autres kinases forment des complexes avec des partenaires protéiques. C’est le cas de la kinase à S/T mTOR (mammalian Target Of Rapamycin) (Chao and Avruch 2019). La force des interactions mises en place entre une kinase et ses différents partenaires, les variations de l’expression de ces derniers au cours du cycle cellulaire, les modulations de leur structure et de leur capacité d’interaction avec la kinase par MPT sont tous autant de facteurs qui modulent la formation de complexes protéiques et, donc, de l’activité kinase.

 Certaines kinases sont dépendantes de cofacteurs spécifiques leur permettant d’adopter une conformation ‘ON’. C’est le cas de la PKA (qui est cAMP-dépendante), des kinases cycline- dépendantes (CDK), ou encore des kinases calcium et/ou calmoduline-dépendantes (CDPK), par exemple (Morgan 1995; Pérez-Gallegos et al. 2014; Simon, Huart, and Wilmanns 2015). La présence de ces cofacteurs active la kinase suivant les mêmes processus que ceux décrits aux deux points précédents.

 La présence et la quantité de substrat(s) à phosphoryler peut également impacter l’activité kinase. En effet, les kinases ciblent un nombre de substrat(s) plus ou moins limité (Taylor and Kornev 2011). Elles possèdent donc des modes de reconnaissance de leur substrat (en général 3 acides aminés en amont et 3 en aval du site à phosphoryler) plus ou moins précis (i.e. des résidus spécifiques et/ou enfouis) selon leur spécificité de substrat (Kobe et al. 2005; Turk 2008). En fonction des kinases, la reconnaissance du substrat peut induire des changements de conformation suffisants pour l’activation du site catalytique et l’accommodation de l’ATP. Dans d’autres cas, c’est l’inverse qui se produit (Taylor and Kornev 2011).

Les points abordés au cours de ce chapitre démontrent la plasticité des domaines kinases, la diversité des modes de régulation de leur activité, alors qu’elles présentent globalement toutes le même cœur catalytique (Huse and Kuriyan 2002).