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1.5 Trafic endocytique et post-endocytique

1.5.2 Trafic post-endocytique

1.5.2.1 Propriétés de trafic du récepteur opioïde delta suite à son internalisation

Il y a de nombreuses années, il a été démontré que l'endocytose du DOPr aboutissait à la régulation négative des récepteurs en initiant leur délivrance vers les lysosomes pour la destruction protéolytique ultérieure [362]. Cette hypothèse a été fortement soutenue au cours des années, à la fois dans les modèles cellulaires et les neurones natifs [65,363]. Le DOPr internalisé engage un complexe protéique de tri endosomal appelé ESCRT (de l’anglais endosomal sorting complex required for transport). Ce complexe reconnaît les récepteurs

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ubiquitinés et conduit leur acheminement vers la lumière des corps multivésiculaires (MVB), qui fusionnent plus tard avec les lysosomes [364]. Pour certains récepteurs, tels que l'EGFR, le transfert des récepteurs ubiquitinés vers la lumière de l'endosome est essentiel pour leur envoi vers les lysosomes. En effet, si l'ubiquitination de l'EGFR est abolie, les EGFR intériorisés recyclent de manière aberrante vers la membrane plasmique [365]. Les DOPrs sont également ubiquitinés après leur activation par l'agoniste (dans la première boucle cytoplasmique par la protéine interagissant avec l'atrophine de type 4) et ils traversent les MVB typiques [366,367]. Cependant, contrairement à l’EGFR, ni l'ubiquitination du DOPr ni son transfert vers la lumière des MVB ne sont essentiels pour son acheminement subséquent aux lysosomes [367,355]. Des efforts étaient alors déployés pour comprendre le mécanisme de triage post-endocytique du DOPr et dans ce contexte, il a été démontré que le DOPr interagit avec le GASP (protéine de triage associée aux RCPG) [368-370]. Le GASP est une protéine cytoplasmique exprimée dans plusieurs tissus et abondamment retrouvée dans le cerveau. Elle interagit de manière sélective avec un sous-ensemble de RCPG et module leur tri endocytique vers les lysosomes en faisant intervenir la dysbindine : une protéine cytoplasmique qui intervient dans la biogenèse de structures spécialisées apparentées aux lysosomes. En effet, le GASP et la dysbindine relient certains RCPG à la machinerie ESCRT. Dans ce contexte, la dysbindine favorise le tri du DOPr vers les lysosomes et relie le GASP à la composante HRS de la machinerie ESCRT [369] et l’interférence avec l’interaction GASP-DOPr par mutation du récepteur ou surexpression d'un dominant négatif de GASP inhibe le trafic des récepteurs vers les lysosomes et favorise leur recyclage [370]. Le GASP se lie préférentiellement à la queue cytoplasmique du DOPr non ubiquitiné [370] et cette machinerie retient efficacement les DOPrs dans la membrane limitant les endosomes. En conséquence, l'engagement du DOPr par le complexe GASP favorise la dégradation des récepteurs internalisés indépendamment de l'ubiquitination du récepteur ou de son transfert à la lumière des MVB. Ceci fournit effectivement une flexibilité supplémentaire dans l'itinéraire de trafic post-endocytique du DOPr, permettant au récepteur de rester dans la membrane endosomale limitante pendant une période de temps prolongée par rapport à l’EGFR [371]. Il a été également démontré que l’invalidation génique du GASP abolit la tolérance analgésique aux cannabinoïdes comme le WIN55,212-2 [372], ce qui tisse un lien étroit entre les propriétés de trafic post-endocytique et le développement de la tolérance analgésique.

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Cependant, la régulation négative lysosomale n'est pas le seul devenir post-endocytique du DOPr. Il varie plutôt en fonction de l'engagement du récepteur de différentes machineries de triage discrètes qui dictent spécifiquement le sort du récepteur suite à son internalisation. En effet, une fraction du DOPr internalisé recycle à la membrane plasmique, et le taux de recyclage du DOPr peut être assez important dans certains cas [373,363]. Généralement, le recyclage dépend de l’agoniste associé au récepteur et est favorisé par des périodes courtes de stimulation [85,374]. Les différentes conformations du récepteur stabilisées par différents ligands déterminent son interaction distincte avec des protéines de tirage spécifiques décidant de son sort vers la voie de recyclage ou bien celle de dégradation. L'association de la βarr1/2 avec les queues C-terminales du DOPr phosphorylées et non phosphorylées a été corrélée avec des itinéraires post-endocytiques distincts; les DOPrs dépourvus de ces sites de phosphorylation ont été préférentiellement ciblés par la βarr2 vers la voie de dégradation tandis que les récepteurs de type sauvage ont été partiellement recyclés vers la membrane plasmique via leur interaction avec les deux βarrs [316]. Ainsi, le trafic post-endocytique du DOPr peut être régulé par la phosphorylation catalysée par la GRK2 ainsi que les différentes isoformes de la βarr. Aussi, comme déjà détaillé dans la section 1.2.4.2.4, la nature de l’association au sein du complexe DOPr/βarr2/Gβγ a modulé la capacité de recyclage du récepteur. Les interactions distinctes avec la βarr constituent alors un mécanisme qui module le sort du récepteur vers la voie de recyclage ou ailleurs [85].

Les différences de triage du récepteur ont aussi été attribuées à une sensibilité spécifique des ligands aux enzymes de conversion de l'endothéline ECE2. Lorsque le récepteur est occupé par des peptides qui agissent comme des substrats de convertase comme la deltorphine II, il peut recycler à la membrane plasmique suite à sa libération après dégradation du ligand par cette peptidase favorisant sa resensibilisation. Ceci n’a pas été le cas pour le SNC-80 ou la leu- enképhaline (qui ne sont pas des substrats de l’ECE2), ce qui soutient le rôle d’ECE2 dans la modulation différentielle de la signalisation des ROs occupés par différents agonistes peptidiques [375]. En outre, bien que les drogues administrées de manière exogène et les opioïdes endogènes entraînent l'endocytose du DOPr in vivo, les récepteurs s'accumulent dans différents compartiments cellulaires [376]. Cette toute récente découverte de l’équipe de Mark Von-Zastrow a révélé, à l’aide d’une élégante approche utilisant un biocapteur génétiquement

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codé de la forme active des ROs, que le MOPr et le DOPr activés par les ligands peptidiques endogènes produisent de la signalisation aussi bien au niveau de la membrane plasmique qu’au niveau des endosomes après leur internalisation. Les drogues exogènes non peptidiques qui traversent la membrane plasmique produisent un schéma différent en activant de façon unique les ROs au niveau de l’appareil de Golgi somatique et dendritique [377]. Ainsi, le sort du DOPr semble être flexible et soumis à un contrôle différentiel par les ligands naturels et exogènes, à la fois dans les modèles de systèmes cellulaires et in vivo.

Plusieurs éléments de preuve suggèrent que l'engagement du DOPr de plusieurs machineries endosomiques ait de la signification physiologique. Premièrement, la machinerie GASP est soumise à un contrôle par des protéines de signalisation conventionnelles telles que les protéines G hétérotrimériques [378]. Deuxièmement, il existe des preuves que GASP contrôle divers processus de signalisation non canoniques, tels que la liaison à des facteurs de transcription spécifiques [379] ou la régulation de l'autophagie [368]. Troisièmement, en conservant les récepteurs dans les membranes endosomales sans leur transfert dans la lumière de l'endosome, la machinerie GASP pourrait également supporter une signalisation des protéines G plus conventionnelle initiée au niveau de la membrane limitant les endosomes, les évidences de signalisation endosomale sont de plus en plus décrites pour plusieurs RCPG [380,381,310,382]. Ceci est aussi corroboré par la toute récente publication de l’équipe de Mark Von-Zastrow citée un peu plus haut [377].