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1.2 Signalisation des récepteurs opioïdes delta

1.2.3 Les effecteurs du récepteur opioïde delta

1.2.3.1 L’adénylate cyclase

L'AC est l'enzyme qui synthétise l'adénosine monophosphate cyclique (AMPc) à partir de l'adénosine triphosphate (ATP). L’AMPc fonctionne comme un second messager pour relayer les signaux extracellulaires aux effecteurs intracellulaires. C’est un composant clé des voies de signalisation intracellulaires procaryotes et eucaryotes. Chez les eucaryotes, l'AMPc induit des réponses physiologiques allant de la croissance, la différenciation et l'expression des gènes à la sécrétion et la neurotransmission. Récemment, on a démontré leur importance dans les processus d’apprentissage et de mémoire, d’addiction aux drogues, de longévité et ceux cardiovasculaires. Il active principalement la protéine kinase dépendante de l’AMPc (PKA), qui régule par phosphorylation l’activité de nombreuses enzymes, kinases secondaires, facteurs de transcription, récepteurs et canaux [114]. L'AMPc active également les facteurs d'échange des protéines G monomériques nommés protéines EPAC [115,116], active les canaux dépendants des nucléotides cycliques et régule l'activité de certaines phosphodiestérases cycliques spécifiques du guanosine monophosphate cyclique (GMPc) [117]. Dans les bactéries, l'AMPc se lie directement aux facteurs de transcription et est responsable de la répression des gènes impliqués dans le métabolisme, servant également de mécanisme de rétroaction [118].

Chez les mammifères, 10 gènes ont été clonés qui codent pour les AC membranaires (AC1 à AC9) ou pour une forme soluble de l’AC (sAC). Les isoformes de l’AC chez les mammifères présentent une identité de séquence de 50 à 90%. Les 9 formes membranaires, partageant environ 60% d'homologie, sont composées de 6 segments transmembranaires suivis d'une grande boucle cytoplasmique répétés en tandem, donnant un total de 12 segments transmembranaires et 2 domaines cytoplasmiques (C1 et C2) (figure 6). La structure cristalline aux rayons X des domaines cytoplasmiques a fourni des détails atomiques du site actif et du

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mécanisme de catalyse [119]. Le noyau catalytique de l’AC des mammifères est composé d'un hétérodimère des domaines C1 et C2, qui sont reliés entre eux par une pseudo-symétrie double. En particulier, le site actif de la catalyse, où les nucléotides se lient, est situé à l'interface des domaines, mais est pseudo-symétrique par rapport au site de liaison de la forskoline (un diterpène qui augmente la quantité d'AMPc dans les cellules en stimulant l'AC). Deux résidus d'acide aspartique dans le site actif supportent la liaison de l'ATP par la coordination de deux ions magnésium. Les AC utilisent des cations divalents (par exemple, Mg2+ ou Ca2+) pour déprotoner le groupement hydroxyle du cycle ribose de l'ATP [119]. Cette étape clé est nécessaire pour l'attaque nucléophile subséquente du phosphate par l'oxyanion nouvellement formé. Les produits finaux sont l'AMPc et le pyrophosphate (PPi). La protéine Gαs se lie sur un site partagé entre les domaines C1 et C2, tandis que la forskoline se lie à une poche hydrophobe à l'interface des deux domaines. Bien que le rôle fonctionnel des domaines membranaires des AC reste controversé, il a été suggéré qu’ils peuvent se dimériser à travers ces domaines [120]. L'activation de toutes les isoformes de l’AC par Gαs est terminée par l'hydrolyse du GTP en GDP.

Figure 6. Domaines structurels des AC membranaires.

Les neuf AC membranaires comprennent un domaine N-terminal intracellulaire, deux domaines TM1 et TM2 (six TM chacune) liés par le domaine cytoplasmique C1 et une extrémité C-terminale intracellulaire contenant le domaine C2. Le domaine catalytique hautement conservé est formé suite à l'association des domaines C1 et C2 (en vert) (image modifiée de [121].

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Chez les eucaryotes supérieurs, on pense que les protéines G, la calmoduline (CaM), les protéines kinases et les ions bicarbonate sont les modulateurs natifs de l'activité de l’AC [122- 125]. En effet, les protéines Gαi1,2,3, Gαo et Gαz (appartenant aussi à la sous famille des protéines Gi/o) inhibent l'activité de l’AC dépendamment de l’isoforme. La Gαi inhibe l’AC5 et AC6, les Gαo inhibent l’AC1. La protéine Gαz inhibe également l’activité de l’AC sans être affectée par la PTX. La protéine Gβγ peut stimuler l'activité de l’AC2, AC4 et AC7, bien qu'elle dépende de la coactivation par Gαs. La protéine Gβγ interagit avec le domaine C1 de l’AC2 pour la stimuler [126]. Au contraire, elle a l'effet opposé sur l’AC1, AC3 et AC8, provoquant une réduction de l'accumulation d'AMPc. Il a été aussi démonté que la protéine Gβγ inhibe l’AC5 et AC6 dans des expériences de culture cellulaire [127], mais pas dans des expériences in vitro [128]. Ces résultats opposés peuvent résulter des effets de Gβγ sur d'autres molécules de signalisation, et devront être mieux compris dans des recherches futures. Les protéines RGS ont également été impliquées dans la régulation directe des AC. RGS2 diminue l’accumulation d’AMPc [129] et se lie au domaine C1 de l’AC5 [130]. De plus, les expériences de transfert d'énergie par résonance de bioluminescence (BRET) suggèrent que RGS2 peut interagir directement avec l’AC2 et AC6 [131]. La CaM est un activateur puissant de plusieurs isoformes de l’AC de mammifères comme l’AC1 [132], AC8 [133] et AC3 [134]. La CaM inhibe l’AC1 et AC3 indirectement par l'activité de la protéine kinase dépendante de la CaM (CaMK) de type II et IV. La phosphorylation de l’AC1 et AC3 par les CaMK inhibe la cyclase en bloquant la liaison des activateurs. La modification post-traductionnelle des AC par phosphorylation, qui peut être provoquée par la PKA ou la protéine kinase dépendante du Ca2+ (PKC), est généralement inhibitrice. La PKA supporte un mécanisme de rétroaction négative où l’augmentation de production d’AMPc induit l’activation de PKA qui va à son tour phosphoryler et inhiber l’AC. Le niveau de Ca2+ cellulaire peut également réguler l'activité de l’AC directement, car toutes les isoformes sont inhibées par des concentrations élevées de calcium [135]. La fonction de l’AC peut également être affectée par le stress cellulaire [136], ainsi que par des petites molécules exogènes telles que la forskoline, un diterpène activateur de l’AC [137]. Bien que de multiples isoformes de l’AC puissent être exprimées dans une seule cellule, elles sont souvent sélectivement régulées par des facteurs spécifiques et organisées par compartimentalisation [138].

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Il est reconnu depuis longtemps que le DOPr module la production d'AMPc en engageant différents sous-types des protéines Gαi/o sensibles à la PTX [37]. Dans les lignées cellulaires immortalisées exprimant le DOPr endogène ou recombinant, la protéine Gαi2 a été fréquemment associée à l'inhibition de l'AMPc, bien que des sous-types supplémentaires soient également impliqués dans cette réponse [47]. Par exemple, les DOPrs exprimés dans les cellules CHO (cellules ovariennes de hamster chinois), les cellules COS (cellules de rein de singe vert africain) [139,140] et les cellules HEK293 (Cellules embryonaires de rein humain 293) [141] activent Gαz et modulent l'activité de l’AC d'une manière insensible à PTX. Dans les cellules COS et CHO, l'inhibition de l'AC par les agonistes du DOPr n'était évidente que lorsque ces récepteurs étaient co-exprimés avec le MOPr [140], cependant, dans les cellules HEK293, les DOPrs exprimés seuls étaient capables à la fois d'inhiber [141,142] ou stimuler la production d'AMPc via Gαz [143,142]. La raison pour laquelle certaines cellules, mais pas d'autres permettent au DOPr d'activer Gαz en l'absence du MOPr n'est pas évidente. Gαz a un taux d'hydrolyse GTP très lent [144], qui peut être sélectivement accéléré par les protéines RGS de type Z1 [145], réduisant fortement l'inhibition de la production d'AMPc par Gαz [146]. Des différences dans la concentration des protéines RGS entre les différentes cellules peuvent expliquer pourquoi l'inhibition de la production d'AMPc a été observée dans les cellules HEK293, mais pas dans les cellules CHO ou COS. Cependant, si c'est effectivement le cas, l'activation de Gαz par le dimère MOPr-DOPr impliquerait que l'hétéromère est capable d'inactiver les protéines RGS [47].

L'activation aiguë du DOPr dans le cerveau peut également produire une modulation positive ou négative des niveaux d'AMPc. Ainsi, bien que l'activation du DOPr au niveau du striatum inhibe la production d'AMPc, la stimulation de ceux présents dans les bulbes olfactifs [147], le cortex préfrontal médian [148] et les cultures primaires de neurones hippocampiques [149] potentialisent la production d'AMPc. Ce modèle distinct de modulation de l'AMPc par le DOPr est étroitement corrélé avec l'expression spécifique des différentes isoformes de l’AC qui sont distinctement modulées par Gαi/o et Gβγ [47].

La signalisation du DOPr par l’AMPc peut également contribuer aux effets analgésiques des opioïdes, mais le mécanisme par lequel ces signaux peuvent influencer la nociception reste à élucider. En effet, il a été démontré que l'analgésie est réduite chez les souris qui n’expriment

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pas l’AC5 [150] et augmentée chez celles surexprimant l’AC7 [151], ce qui plaide en faveur d'une implication de l’AC dans l'effet analgésique des opioïdes. Cependant, l’effet analgésique aigu de la morphine n’a pas été affecté chez les souris qui n’expriment pas l’AC1 et l’AC8 [152]. L'échec des inhibiteurs de la PKA à modifier l'analgésie morphinique aiguë confirme également que les effecteurs de l'AMPc sont minimalement impliqués dans les réponses analgésiques aiguës aux opioïdes [153], tout comme l'observation que les inhibiteurs de la phosphodiestérase ne modifient pas l'analgésie engendrée par l'administration intracérébroventriculaire ou intrathécale du DPDPE [154]. D'autre part, la signalisation via l’AC a été impliquée dans les adaptations cellulaires qui résultent d'une stimulation chronique du DOPr et peut contribuer à la tolérance analgésique.