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3. Conditions requises pour la balistique

3.2. Propriétés mécaniques

La céramique transparente placée en face avant du multicouche de verre et polymère doit présenter des propriétés spécifiques pour pouvoir endommager la pointe du projectile et ralentir sa pénétration. La Figure I-12 présente les différents phénomènes ayant lieu lors d’un impact sur une couche dure, une céramique, placée sur un backing (couche arrière) plus ductile.

Après le contact de la pointe du projectile avec la face avant (étape 1), le projectile vient s’écraser et se déformer sans endommager la céramique. C’est l’étape de dwell (étape 2) qui dure à peine quelques microsecondes. Ensuite, le projectile fissure et perfore la céramique (étape 3). Enfin, la perforation des différentes couches cause l’éjection de fragments (étape 4).

Figure I-12 : Différentes étapes de l’impact d’un projectile sur une couche dure (céramique) placée sur un backing ductile (d’après [79]).

Pour améliorer les caractéristiques mécaniques d’une céramique, il est important de se référer à la microstructure (taille des grains et porosité). La loi empirique de Hall-Petch décrit le phénomène, où les propriétés mécaniques d’un matériau sont améliorées lorsque la taille moyenne des grains diminue [80, 81]. Elle s’écrit selon la Formule I-10, où la contrainte élastique limite dépend de la taille des grains :

𝜎𝜎𝑦𝑦 = 𝜎𝜎0+ 𝑘𝑘. 𝑑𝑑−1/2 (I-10) Avec : σy, la contrainte élastique limite

σ0, la contrainte de friction k, une constante de Hall-Petch d, la taille des grains

L’origine de ce comportement est liée aux déplacements des dislocations présentes dans les grains lors de l’application d’une charge. Lorsque le matériau est sous contrainte, les dislocations d’un grain viennent s’empiler devant des interfaces difficiles à franchir, telles que des joints de grains. Au-delà d’un empilement critique associé à une force locale proportionnelle à leur nombre, les dislocations passent au grain suivant. Si la taille des grains est faible, il y a peu d’empilement de défauts et donc une force locale faible : il est donc nécessaire d’appliquer une charge plus élevée sur le matériau pour déclencher une déformation [82, 83].

Bien que cette propriété soit principalement observée chez les métaux, de nombreuses études sur les céramiques ont montré un comportement similaire, notamment pour la dureté [23, 29, 82, 84-87]. Elle est définie comme la résistance qu’un matériau oppose à la pénétration d’un corps plus dur que lui. Une céramique à haute dureté est favorable pour des applications en balistique lors des phases de dwell et de pénétration. Les fragments générés lors de l’impact présentent un effet abrasif et viennent endommager le projectile.

Plusieurs techniques existent pour étudier cette propriété, chacune caractérisée par un indenteur d’une certaine géométrie. La Figure I-13 présente les indenteurs Vickers et Knoop, les plus fréquemment rencontrés dans la littérature. La valeur de dureté est obtenue par la mesure des diagonales de l’empreinte : A et B dans le cas du Vickers et C pour Knoop.

Figure I-13 : Mesure de la dureté à l’aide d’indenteurs Vickers et Knoop.

La Figure I-14 présente un exemple de l’évolution des valeurs de dureté Vickers et Knoop de spinelles MgAl2O4 selon la taille des grains [85]. Les courbes de dureté en fonction de la taille des grains montrent que des grains submicroniques permettent d’obtenir des duretés supérieures à 14 GPa dans le cas de dureté Vickers. Dès que la microstructure devient plus

grossière, les valeurs de dureté diminuent. Remarquons que les auteurs montrent qu’un spinelle riche en alumine (n = 2 et 2,5) présente des valeurs moins élevées que la composition stœchiométrique.

Figure I-14 : Evolution de la dureté de spinelles MgAl2O4 en fonction de la taille des grains. HV et HK indiquent une dureté Vickers et Knoop. Le nombre indique la charge en kg [85].

Des observations similaires ont été rapportées sur de l’alumine, dont la dureté Vickers augmente de 15 à 22 GPa en diminuant la taille des grains de 4 à 0,4 µm [88]. Des valeurs de dureté très élevées, supérieures à celle du saphir (~ 25 GPa), ont notamment été obtenues sur du spinelle suite à un frittage SPS à forte charge et basse température. Une dureté Vickers de l’ordre de 28 GPa est mentionnée, associée à des grains de 7 nm [89]. Sokol et al. [84] ont aussi mis en évidence une taille de grains critique, à partir de laquelle le phénomène Hall-Petch inverse est observé. Suite à un frittage SPS à très haute charge (1 GPa), des spinelles ont montré une augmentation de la dureté de 12 à 20 GPa pour des tailles de grains allant de 1 µm jusque 30 nm. En dessous de cette taille, le nombre de joints de grains, zones plus fragiles que les grains, devient excessif, ce qui cause une diminution de la dureté.

La dureté est donc influencée par la taille des grains, mais également par la porosité. La Figure I-15 présente l’évolution de la dureté Vickers en fonction de la taille des grains et de la densité relative d’échantillons d’alumine obtenue dans différentes conditions de frittage [23]. L’alumine à la microstructure la plus fine (0,5 µm) ne présente pas la dureté la plus élevée à cause du fort taux de porosité de l’échantillon. Une augmentation de la densité relative améliore progressivement la dureté pour atteindre 21 GPa, associée à une taille de grains d’environ 1 µm et une densité de 99,5%. Pour les autres conditions de frittage, une densité supérieure à 99,9% est obtenue et la taille des grains augmente, entraînant une diminution de la dureté : l’effet Hall-Petch est observé. Lors du frittage, il y a donc un compromis à trouver pour avoir une densification optimale tout en conservant une croissance des grains limitée.

Figure I-15 : Influence de la porosité sur la dureté Vickers d’alumines (d’après [23]).

D’autres propriétés mécaniques, telles que le module d’Young E et la ténacité, sont à étudier afin d’augmenter l’efficacité d’endommagement du projectile par la céramique. Le module d’élasticité E relie la contrainte σ et la déformation ε dans la loi de Hooke. Une haute valeur

de E est recherchée pour augmenter la phase de dwell lors de l’impact de la face avant [66]. Selon la littérature, la porosité est le facteur qui influence le plus cette propriété. Par exemple, pour un composite MgO-MgAl2O4, Atkinson et al. [90] ont rapporté des valeurs de E égales à 192 et 70 GPa pour des taux de porosité de 6 et 24,5%, respectivement. Une céramique peu dense présentera un faible module élastique [91, 92]. Cependant, la taille des grains n’influencerait pas cette propriété [93]. Sokol et al. [94] ont présenté des spinelles MgAl2O4 avec des modules élastiques égaux à 279 et 288 GPa pour des tailles de grains de 15 et 170 µm, respectivement.

La ténacité K1c caractérise la résistance d’un matériau à la propagation des fissures ou la quantité d’énergie qu’il peut absorber avant de rompre. Cette caractéristique dépend également fortement de la porosité. Un composite MgO-MgAl2O4 avec une densité relative de 94% présente une ténacité de 2,2 MPa√m, alors qu’un échantillon dense à 75% a une ténacité de 0,6 MPa√m [90]. Selon certains articles, la ténacité n’est pas influencée par la taille des grains. Mroz et al. [86] rapportent une ténacité de 1,4 MPa√m pour des spinelles avec des grains de 0,34 ou 2,1 µm. Un article de Tokariev et al. [95] présente également des valeurs de ténacité relativement proches (1,9 et 1,2 MPa√m) pour des spinelles avec des tailles de grains bien différentes (5 et 60 µm). La ténacité est considérée comme indépendante de la taille des grains lorsque les fissures ou la fracture sont de type transgranulaire [96, 97].

Pour stopper et endommager le projectile à l’impact, la céramique placée en face avant doit présenter de bonnes propriétés mécaniques, favorisées par une faible taille de grains et une densité relative proche de 100%. Un état de l’art focalisé sur les différentes étapes de fabrication et les points importants à considérer dans l’élaboration de céramiques transparentes est présenté dans la partie suivante.