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Propos des chercheurs au sujet de l’intégration d’une conception dans la pratique

CHAPITRE 1- COMPRENDRE L’ÉCART THÉORIE-PRATIQUE

1.2 P RATIQUER AVEC UNE CONCEPTION INFIRMIÈRE

1.2.2 Propos des chercheurs au sujet de l’intégration d’une conception dans la pratique

Les rapports des études font état de difficultés ayant été rencontrées par les participants au cours du projet. Par exemple, Santopinto et Smith (1995) expliquent que les infirmières ont senti que les enseignements dévaluaient leur pratique et ont exprimé beaucoup de colère. Dans le même sens, des auteurs indiquent que les infirmières associées au projet ont fait l’objet de réactions négatives de la part de leurs collègues infirmières ou d'autres champs professionnels tout au long du processus. Weiss et ses collègues (1994) expliquent ce type de résultats à partir d’un phénomène de résistance au changement ou d’un «manque d’éducation» chez les professionnels. Pour eux, ces réticences visaient le changement de pratique en lui-même plutôt que l’approche ou le contenu enseigné. Au sujet toutefois de la théorie de Parse, Northrup et Cody (1998) précisent que quelques infirmières ont soulevé et mis directement en doute «l’adéquation de la théorie à guider leur façon d’être» (traduction libre, p. 26), tout en demeurant discrets sur la nature de ces craintes et leur portée. Ceux-ci mentionnent néanmoins l’émergence de différents conflits au sein des établissements en justifiant la présence de perspectives ontologiques variées. Quant à St-Germain et ses collègues (2008), ils identifient globalement des «barrières externes» liées au changement comme le manque de temps, l’absence de l’infirmière lors des décisions d’équipe interdisciplinaire, une organisation non-centrée sur la personne, des ressources humaines et matérielles insuffisantes, des déficiences en terme de formation continue et un faible soutien de la part des gestionnaires.

Ces difficultés et résistances sont néanmoins couplées avec diverses réussites ou améliorations à l’échelle individuelle, professionnelle et organisationnelle. Pour parvenir à démontrer ces changements, les chercheurs font d'abord mention des insatisfactions et des tensions que les infirmières vivent avant

l’implantation de l’approche dans les milieux12. Ainsi, malgré les différences

entre les approches, notre analyse de la littérature a permis de relever que les effets identifiés sont similaires. Ce constat est d’ailleurs comparable à la perspective de Heggie (1998) qui a étudié la transformation de perspective chez des infirmières ayant appris et intégré une conception infirmière dans la pratique. De manière générale, ceux-ci indiquent que les infirmières étaient «blasées» et qu’elles pensaient quitter la profession. D’autres disaient être insatisfaites de la perspective mécanique ou paternaliste de leur pratique. Les infirmières ont affirmé que leurs évaluations cliniques étaient axées vers la résolution de problèmes et les résultats désirables particulièrement de nature physique, conduisant certaines d’entre elles à catégoriser certains patients comme «difficiles» ou «problématiques» (Mitchell, 1995). Les interventions visaient quant à elles principalement les techniques de soins et le fonctionnement des individus. En ce qui concerne la clientèle, les personnes soignées ont témoigné que les principaux sujets de discussions avec l’infirmière avaient pour thèmes la médication, les effets secondaires des traitements, les signes et symptômes présentés et l’évaluation de leur état mental (Northrup & Cody, 1998). Au point de vue du fonctionnement global au travail, quelques infirmières ont indiqué qu'elles avaient tendance à se juger entre elles et à critiquer la pratique de leurs collègues (Legault & Ferguson- Paré, 1999). La satisfaction et l’avancement professionnels étaient principalement liés au développement de l’expertise médicale, à l’exécution parfaitement maîtrisée des tâches et à l’obtention de résultats souhaités d’une manière efficace (Jonas, 1995).

Or, de façon générale, et suite à l’implantation, les infirmières expriment avoir expérimenté une croissance personnelle, une conception plus précise du rôle infirmier, de meilleures relations avec la clientèle et leurs collègues, de même qu’une plus grande satisfaction professionnelle (Bournes & Ferguson-Paré, 2007; Flanagan, 2009; Legault & Ferguson-Pare, 1999; Mitchell, 1995;

12 Ces insatisfactions étaient récoltées avant le début du projet ou provenaient des comparaisons que les

Northrup & Cody, 1998; Santopinto & Smith, 1995; Wallace, 1993). D’autres infirmières ont évoqué être plus motivées et comblées en raison notamment de rétroactions positives de la part de la clientèle (St-Germain et al., 2008). En effet, chez les patients et les familles, les informations colligées et rapportées indiquent que ceux-ci ont perçu favorablement l’attitude qu’avaient les infirmières. En effet, ils ont témoigné qu’elles étaient davantage présentes, prenaient plus de temps pour discuter des choses qui étaient importantes pour eux, leur donnaient davantage l’impression d’être une personne à part entière et non un numéro ou une « maladie » (Bournes & Ferguson-Paré, 2007; Flanagan, 2009; Jonas, 1995; Santopinto & Smith, 1995), et favorisaient leur qualité de vie (Mitchell, 1995). À l’échelle collective, certains auteurs ont constaté des améliorations notables au niveau de l’utilisation de contentions physiques et chimiques (Northrup & Cody, 1998) et une visibilité de l’unité à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement (Legault & Ferguson-Pare, 1999). En lien avec l’organisation du travail, plusieurs ont évoqué éprouver une réduction de leur stress et de leur sensation de tension. Certaines unités ont même vu augmenter leur capacité de recrutement de professionnels (Bournes & Ferguson-Paré, 2007).

Toutefois, ces changements n’ont pas été vécus par toutes les infirmières et la clientèle. En effet, certaines d’entre elles ont indiqué ne pas avoir constaté de différences entre cette approche de soins et l’ancienne méthode de pratique. Par ailleurs, certains des milieux ayant procédé à l’implantation d’une approche ont décidé de ne pas poursuivre le projet suite à la période de formation (Northrup & Cody, 1998; Santopinto & Smith, 1995) alors que d’autres écrits demeuraient vagues à cet égard. Compte tenu de ces difficultés, quelques chercheurs ont défini d’une manière rétrospective les éléments nécessaires à une intégration efficace et à l’atteinte des buts fixés en lien avec l’apprentissage d’une conception infirmière pour la pratique (Northrup & Cody, 1998; Gaudine, 2001). Selon eux, les conditions qui amélioreraient le processus d’adoption d’un modèle sont le besoin considérable et préalable pour la formation, la participation des infirmières au processus, le support des

collègues et la cohésion dans l’équipe de travail, le support du superviseur, un contenu concrètement lié à la pratique et la présence de sessions de suivi au sujet de la formation (Gaudine, 2001). Certains précisent également l’importance de nommer des composantes opérationnelles du changement et de l’innovation (Schmidt Bunkers, 2002) qui sont, en d’autres mots, les moyens spécifiques à entreprendre pour atteindre les buts visés par l’implantation de l’approche. D’autres mentionnent spécifiquement la primordialité du soutien offert aux infirmières de la part des formateurs et de l’organisation (Mitchell, 1995; Northrup & Cody, 1998; Santopinto & Smith, 1995; St-Germain, 2007).

1.2.3 Analyse critique des études liées à l’intégration d’une conception