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Chapitre II : Synthèse bibliographique

4. Comportement des alliages d’aluminium en fatigue-corrosion

4.4. Propagation des fissures de fatigue et de fatigue-corrosion

Ce travail de thèse ne s’étant intéressé qu’à l’impact que pouvait avoir la fatigue- corrosion sur l’abattement des durées de vie et aux phénomènes essentiellement d’amorçage, seules des généralités sur la propagation de fissures par fatigue et fatigue-corrosion seront présentées dans ce paragraphe.

De très nombreuses études se sont penchées sur le comportement en fatigue à l’air des alliages d’aluminium. Pour ces matériaux, la propagation de fissures de fatigue dans des conditions de sollicitation données est gouvernée par le facteur d’intensité K qui dépend de la géométrie de la pièce fissurée, de la longueur de la fissure et du chargement appliqué (Equation II-1). Ce critère est pertinent tant que la taille de la zone plastique en pointe de fissure reste négligeable devant les dimensions des matériaux. On parle alors de plasticité confinée.

( )

a

K

⋅σ

π

Equation II-1 : Facteur d'intensité de contraintes

Lors de la sollicitation d’une éprouvette fissurée, le facteur d’intensité de contraintes varie entre une valeur minimale et maximale, dépendant de la contrainte appliquée. La variation du facteur d’intensité de contraintes ∆K rend compte de l’état de plasticité en pointe de fissure. Les régimes de propagation des fissures sont représentés par un diagramme bi- logarithmique représentant la vitesse de propagation mesurée da/dN en fonction de ∆K (Figure II-31). Ces courbes de vitesse de propagation présentent généralement trois stades de propagation.

α = Facteur de correction σ = contrainte

da/dN (m/cycle) ∆K

I

II

III

10-10 10-8 10-6 10-4 KIC m m K C dN da = ∆Kseuil

Figure II-31 : Représentation schématique des différents régimes de propagation de fatigue [76] Le domaine I est très dépendant de la microstructure de l’alliage, de l’environnement considéré et de la contrainte moyenne appliquée. Une forte diminution des vitesses de propagation de fissures est observée lorsque ∆K approche de la valeur du seuil de non propagation (∆Kseuil). En dessous de ce seuil, il est impossible de détecter une avancée de fissures et on considère qu’il n’y a pas de propagation de fissure.

Le stade II, dit domaine des vitesses intermédiaires, se caractérise par une propagation de fissures contrôlée par la contrainte en pointe de fissure. La courbe est linéaire et suit la loi empirique de Paris da/dN = C.∆Km avec C et m des constantes liées au matériau [77]. Dans le régime de Paris, les surfaces de rupture présentent un mode de rupture transgranulaire par clivage (rivières, chevrons) et comportent souvent des zones avec des stries caractéristiques. L’espace entre chaque strie correspond à l’avancée de fissure microscopique pour chaque cycle, ce qui permet de reconstituer l’historique de chargement d’une pièce rompue par fatigue. Ces stries apparaissent plutôt pour les fortes valeurs de ∆K étant donné qu’à faible vitesse, la propagation se fait plutôt par à-coups. Un certain nombre d’auteurs ont proposé des mécanismes de formation de ces stries. On citera les deux plus connus, à savoir les mécanismes de Pelloux [78] et celui de Laird et Smith [79] qui sont basés sur l’irréversibilité du glissement et sur les phénomènes d’émoussement successifs à l’extrémité de la fissure qui se produisent lors des phases d’ouverture de la fissure.

Borrego et al. [80] ont montré que la propagation transgranulaire se faisait bien également par pseudo-clivage pour un alliage appartenant au système Al-Mg-Si à l’état métallurgique T6 (Figure II-32). Moreira et al [81] ont observé des stries de fatigue pour

Figure II-32 : Propagation transgranulaire par pseudo-clivage dans un alliage Al-Mg-Si T6 [80]

Figure II-33 : Strie de fatigue dans l'alliage 2024 T3 [81]

Le stade III, domaine proscrit dans le dimensionnement, mène à la propagation très instable de la fissure principale. Lorsque la valeur de Kmax approche de celle de la ténacité du matériau KIc, la vitesse de propagation augmente brutalement et entraine la rupture soudaine de la pièce. Pour les alliages d’aluminium, la rupture finale se traduit par un mode de rupture ductile caractérisé par la présence de cupules liées à la décohésion de l’interface matrice- précipités. Ce mode d’endommagement a été mis en évidence par Bron et al. pour l’alliage 2024 [82] (Figure II-34).

Figure II-34 : Rupture finale ductile avec cupules d'un alliage d'aluminium 2024 [82]

4.4.2. Influence de la microstructure sur la propagation de fissure en fatigue.

La microstructure conditionne le mouvement des dislocations et donc la déformation plastique résultante. Ce paramètre intrinsèque influence donc directement la propagation des fissures de fatigue.

De manière générale, les précipités durcissants présents dans les grains peuvent influencer les mécanismes de propagation des fissures. En effet, la nature des interfaces matrice-précipités conditionne le cheminement des dislocations au sein du matériau. De plus, la difficulté pour les dislocations de cisailler les précipités augmente avec la diminution de la cohérence des phases durcissantes. Ainsi, certains précipités incohérents sont contournés par les dislocations selon le mécanisme d’Orowan [83]. La durée du traitement de revenu influence aussi les vitesses de propagation de fissures. L’augmentation de la durée de revenu conduit à un phénomène de sur-vieillissement qui s’explique par la croissance, la coalescence et la perte de cohérence des précipités durcissants. L’augmentation de la taille joue un rôle car au-dessus d’une taille critique de précipités dc, le mécanisme de contournement est observé aussi pour les précipités durcissants cohérents.

4.4.3. Influence de la taille de grains sur la propagation de fissure en fatigue.

Pour une valeur de rapport de charge R (R = Kmin/Kmax) donnée, l’augmentation de la taille de grains conduit à une augmentation des phénomènes de fermeture de fissures et conduit ainsi à une augmentation de la valeur de ∆Kseuil. Ces mécanismes s’expliquent soit par une augmentation de la rugosité des surfaces produites lors de la propagation de la fissure lorsque la taille de grains augmente, soit par une influence de la taille de grains sur la limite d’élasticité du matériau [84]. En effet, si la limite d’élasticité est régie par une loi de type Hall-Petch, l’augmentation de la taille de grains conduit à une diminution de la limite d’élasticité, ce qui augmente les phénomènes de fermeture.

4.4.4. Influence de la texture sur la propagation de fissure en fatigue.

La texture influence les vitesses de propagation des fissures au sein des alliages d’aluminium. Ainsi V.W.C. Kuo et E.A. Starke ont montré que, pour des grains faiblement désorientés les uns par rapport aux autres, les dislocations passeraient plus facilement d’un grain à l’autre, tandis que, pour des grains fortement désorientés, les joints de grains agissent comme une barrière face aux dislocations [85]. Ainsi, une texture cristallographique peut

annihiler l’effet barrière des joints de grains et favoriser la propagation de la fissure de fatigue au sein du matériau.

4.4.5. Influence de l’environnement

En milieux gazeux.

Beaucoup d’études se sont penchées sur l’effet d’un environnement gazeux sur la propagation de fissures par fatigue. Un certains nombre de résultats marquants reviennent régulièrement à savoir :

- effet de l’environnement plus marqué pour les faibles vitesses de propagation, avec possibilité de fortes interactions microstructure/environnement.

- effet néfaste de la teneur en vapeur d’eau quand celle-ci augmente. - influence directe possible de l’environnement sur les modes de rupture.

- inversement, rôle du rapport de charge et de la nature du glissement sur un possible effet de l’environnement.

De façon générale, l’augmentation des vitesses de propagation sous environnement gazeux (l’air par exemple) s’explique par l’existence de deux mécanismes séquentiels à savoir l’adsorption de vapeur d’eau et la fragilisation par l’hydrogène. Sous air, l’adsorption en vapeur d’eau se traduit par une translation des courbes da/dN-∆K et la fragilisation par l’hydrogène par une rupture de pente caractéristique sur ces courbes.

En milieu aqueux corrosif

Quasiment aucune donnée n’est disponible sur la propagation de fissure par fatigue- corrosion pour les alliages d’aluminium de la série 6xxx. Pour les alliages des séries 2xxx et 7xxx, l’influence de la corrosion aqueuse se traduit généralement par deux effets [86]. Le premier est dû à l’action des espèces agressives sur l’endommagement généré par déformation cyclique en pointe de fissure, conduisant à un décalage des courbes da/dN-∆K vers des vitesses plus élevées. Le second effet est la superposition au dommage de fatigue d’un endommagement de type CSC qui, lui, se traduit par l’apparition d’un plateau sur les courbes da/dN-∆K. Il est fréquent que ces deux effets soient simultanés.

Il a également été montré que la fréquence de sollicitation avait une forte influence sur les vitesses de corrosion [87]. Apparemment, pour une faible fréquence de 0,1Hz, un alliage d’aluminium AA 2618, immergé dans une solution de NaCl à 3,5%, voit ses vitesses de propagation de fissures augmenter d’un demi ordre de grandeur.

N. Pauze a également montré de nombreuses interactions entre fréquence, niveau de contrainte, caractéristiques des défauts de corrosion localisée sur la nature du dommage observé et les vitesses de propagation [73].

4.4.6. Mécanismes d’endommagement assistés par l’environnement

Trois mécanismes de rupture assistée par l’environnement sont généralement invoqués pour retranscrire un éventuel effet de l’environnement sur la fissuration en fatigue :

- un mécanisme basé sur la dissolution anodique du métal lorsque l’environnement est aqueux et corrosif. La sollicitation mécanique cyclique favorise la rupture du

film d’oxyde par un effet de concentration de contrainte en pointe de fissure, par formation de marches de glissement ou par frottement des lèvres de la fissure. La propagation de la fissure se fait par dissolution de la surface exposée à chaque cycle. Ce mécanisme favorise la propagation en volume et diminue l’effet barrière des interfaces.

- un mécanisme de fragilisation par hydrogène basé sur le principe de la diminution de la contrainte de cohésion. Ici l’hydrogène est produit soit par réduction des ions H+ durant les mécanismes de corrosion ou bien se retrouve dans la vapeur d’eau contenue dans l’air ambiant. L’adsorption puis la diffusion ou le transport d’atomes d’hydrogène dans le réseau de l’alliage et plus particulièrement dans la zone plastique en pointe de fissure, diminuerait la force d’attraction interatomique. Pour une teneur critique en hydrogène, la décohésion produirait une microfissure se propageant dans les zones enrichies en hydrogène. Ce phénomène conduirait à la propagation de la fissure suivant les plans de clivage, les joints de grains et les interfaces entre précipités/dispersoïdes/matrice [88-89]. Un second mécanisme dénommé HELP est également proposé [90-93]. Il est basé sur les interactions hydrogène-dislocations. L’hydrogène augmenterait la densité et la mobilité des dislocations et par là même la déformation au voisinage de la surface de rupture et favoriserait le franchissement des obstacles par les dislocations ce qui aurait pour effet d’augmenter le nombre de cupules sur les faciès de rupture.

- un mécanisme concerne la formation d’une couche d’oxyde qui peut conduire à une augmentation de la vitesse de propagation en augmentant l’irréversibilité du glissement. Toutefois, il a été montré que la formation d’une couche d’oxyde épaisse peut favoriser l’effet de fermeture des fissures et ainsi diminuer leur vitesse de propagation.