• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.1 Promesses des TICE

Nous allons ici passer en revue les raisons les plus reconnues dans la littérature qui exposent l’intégration des TICE comme une solution potentielle aux problèmes rencontrés dans les systèmes d’éducation de pays africains en développement. Certes, remédier à ces problèmes leur permettrait une participation active à la société de l’information et engendrerait éventuellement le développement socioéconomique de ces populations. Ce sont ces raisons qui encouragent et vont continuer à encourager les projets d’intégration actuels et futurs. Il s’agit de la possibilité d’une modernisation de la pédagogie et du matériel éducatif adapté à la nouvelle réalité du continent et du monde, d’une amélioration de la qualité de l’enseignement, d’une productivité et d’une efficacité accrue, d’un accès élargi à l’éducation et d’une réduction des coûts. Nous conclurons cette section en défendant l’idée que l'intégration des TICE n'est pas une fin en soi, mais qu’elle doit complémenter et améliorer le système déjà en place.

La grande majorité des projets actuels se basent sur une notion de « saut technologique » tel que mis en évidence avec le succès du téléphone portable en Afrique (Tcheng, Huet, Viennois, & Romdhane, 2009), ainsi que sur la multitude d’avantages de plus en plus reconnus dans la littérature actuelle (Tella & Olorunfemi, 2010) qui permettraient aux systèmes éducatifs en Afrique de rattraper leur retard.

Les TIC peuvent participer au développement durable des systèmes éducatifs du Sud en les accompagnants par un "saut technologique" construit sur des compétences locales en émergence afin de permettre une véritable appropriation par les secteurs concernés. (Valerien & Wallet, 2004, p. 117) Dans son ouvrage basé sur ses quinze annéees d’expérience à œuvrer dans les systèmes d’éducation africains, Grêt (2009) nous rappelle que la plupart d’entre eux sont basés sur la répétition et la mémorisation et sur des curriculums qui datent de l’ère industrielle : « Il suffit d’observer les salles de classes africaines, de la maternelle à l’université pour constater à quel point l’enseignant africain se maintient au centre l’action éducative et

combien son style est dominé par la transmission des connaissances de façon magistrale » (p. 6). Il est bien reconnu dans la littérature actuelle que ce modèle n’est plus valable pour un développement durable dans la réalité socioéconomique d’aujourd’hui (Nicolas, 2009). L’intégration des TIC en éducation promet de faciliter le bond technologique nécessaire à une modernisation du système, de façon à se diriger vers un système centré sur l’apprenant et basé sur la construction de la connaissance et un savoir-faire pratique répondant aux besoins de développement du continent (Selinger, 2009).

Les pays en développement doivent se doter d’effectifs suffisants de scientifiques et d’ingénieurs bien formés pour pouvoir faire le saut technologique qui leur permettra de rattraper leur retard. Or, pour que la science, la technologie et l’innovation puissent véritablement contribuer à l’atténuation de la pauvreté (par la création de nouveaux emplois, notamment), la main-d’oeuvre doit acquérir et utiliser de nouvelles connaissances. De plus, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, l’enseignement et la formation doivent suivre l’évolution des tendances mondiales et nationales en matière de développement technologique et l’évolution du marché de l’emploi qui en résulte. (CES, 2009, p. 8)

Parmi les avantages possibles d’une integration des TICE, il y a évidemment la promesse d’une éducation de qualité supérieure : « The adoption of ICT by education has often been seen as a way to contribute to educational change (enable reform or better management of education systems), better prepare students for the information age, improve learning outcomes and the skills of learners and prepare them for the information society » (Assar, El Amrani, & Watson, 2010, p. 2). Les compétences nécessaires à l’utilisation des TIC (recherche, synthèse et analyse d’une large quantité d’information) promettent de donner un rôle plus actif aux apprenants dans leurs apprentissages (Bhattacharya & Kommers, 2009). De plus, la combinaison des différents médias et méthodes pédagogiques intégrant les TIC, offre une meilleure possibilité d’adaptation aux besoins de l’apprenant, ce qui permet un apprentissage plus efficace (Bagale, Naik, Deshmukh, & Patil, 2010). Un système éducatif traditionnel homogène n’est pas adapté à la grande diversité ethnique retrouvée dans la majorité des pays africains (UNESCO, 2010a). Ainsi, la flexibilité offerte par les TIC (ex. formation ouverte à distance) laisse aux apprenants une plus grande liberté d’apprentissage.

Avec de larges parties du terrain vastement inaccessibles, les TIC offrent la possibilité de conditions d’études améliorées (ex. limiter le déplacement physique) et un contact plus aisé avec l’enseignant ou d’autres experts en la matière (ex. soutien en ligne).

Selon Hall (2010), du côté des enseignants, il est clair que les TIC peuvent augmenter la productivité (ex. réduire la redondance des tâches) et faciliter la gestion de leurs classes (ex. utiliser des tableurs et des bases de données). Il ajoute que l’administration des écoles peut tout autant bénéficier de l’outil informatique, par exemple, avec une plus grande efficacité pour l’analyse et l’interprétation des résultats scolaires ou encore pour concevoir les emplois du temps des classes. Alors que les possibilités de communication offertes à travers les TIC permettent notamment une amélioration de la qualité de l’éducation en facilitant le partage de ressources et la collaboration entre collègues (au niveau des apprenants, des enseignants et des établissements).

Un autre aspect de ces promesses est relié à la détérioration du ratio enseignant/élèves en Afrique aujourd’hui. Ceci est dû principalement à deux facteurs (Hennessy, et al., 2010). D’une part, il y a les multiples initiatives découlant des efforts actuels de l’UNESCO (2008) pour atteindre ses buts d’accès universel à l’éducation d’ici 2015 qui augmentent l’effectif des élèves. D’autre part, il y a l’épidémie du SIDA qui réduit quotidiennement l’effectif des enseignants (Thakrar, Wolfenden, & Zinn, 2009). Dans son étude basée au Lesotho, au Malawi, en Mozambique, en Ouganda et en Tanzanie, Mulkeen (2005) souligne que cette pénurie d’enseignants s’est fait déjà ressentir dans plusieurs zones rurales où les écoles ont dû fermer leurs portes. L’enseignement à distance et l’utilisation de nouveaux médias peuvent constituer une réponse partielle à cette pénurie d’enseignants (Streuli & Moleni, 2008). Les TIC offrent la possibilité d’une formation continue pour les enseignants, sans qu’il leur soit nécessaire d’interrompre leur enseignement. De plus, l’éducation à distance offerte par les universités étrangères ou locales, signifie que les étudiants n’ont plus besoin de se déplacer autant pour étudier, offrant ainsi plus de chance à ceux qui restent attachés à leurs terres d’origines (par choix ou non). Ceci diminue non seulement l’exode rural mais aussi la fuite de cerveaux, donc le

départ d’enseignants potentiels vers les pays étrangers ou vers le secteur privé et les centres urbains (Guri-Rosenblit, 2009).

Faute d’accès à une éducation de base, plus d’un adulte sur trois est analphabète en Afrique subsaharienne (PNUD, 2010). Les télécentres communautaires d’une part, et les différents modes de formation offerts par les TIC de l’autre, promettent un élargissement de l’accès à l’éducation : « Les progrès technologiques […] sont tels aujourd’hui qu’il est matériellement possible que de larges fractions des populations du Sud, notamment en Afrique, puissent aspirer à bénéficier d’un accès simple et dans les meilleurs conditions aux savoirs » (Gabas, 2004, p. 34). Avec 70% de la population vivant en zone rurale, les TIC, par la technologie sans fil et l’énergie solaire par exemple, offrent des possibilités qui n’avaient encore jamais été envisageables (Evans, Haughey, & Murphy, 2008). De plus, les outils informatiques facilitent la production d’information en langue locale, sa traduction en plusieurs langues, sa reproduction et sa diffusion (Diki-Kidiri, 2007). Les droits linguistiques des minorités culturelles pourraient donc être respectés tout en leur offrant un accès à l’éducation.

L’augmentation du pool d’apprenants (Ndaruhutse, 2008) et les coupures dans les budgets du secteur de l’éducation dans plusieurs pays africains dû à la récente crise économique mondiale (Green, King, & Miller-Dawkins, 2010) ont augmenté la nécessité de trouver des solutions plus efficaces et à moindres coûts. Dans leur communication présentée au 10e sommet de la francophonie intitulé « Développement durable : leçons et perspectives », Valérien et Wallet (2004) défendent l’idée que « les TICE peuvent permettre une réduction des coûts de fonctionnement des systèmes éducatifs lorsqu’elles sont intégrées dans une dimension spacio-temporelle réfléchie » (p. 121). L’enseignement face-à-face nécessite une panoplie de mesures coûteuses (salles de classes à entretenir, contraintes d’un horaire spécifique, la présence physique d’un professeur qualifié en personne à chaque leçon, matériel spécialisé, etc.) qui peuvent être réduites par l’intermédiaire des TIC, à travers la simulation logicielle, le multimédia, la reproduction et distribution immédiate de contenu, la disponibilité d’information variée toujours à jour, les

technologies audio et vidéo permettant une formation à distance, etc. (Tsafak, 2008). De plus, les ressources didactiques sont chères :

For most schools, students and parents, the secondary school textbook list in a majority of African countries has become now a symbol rather than an expected reality. For secondary schools in remote areas or the down market private schools there is little expectation that any pupils will buy their own textbooks. […] In one school in Uganda, the recommended biology textbook for S5 and S6 was an undergraduate biology textbook at far high too high a level for the UACE at a price of almost US$90. However, no student in the school had purchased this title and the school hadn’t purchased a copy for its own library despite the fact that this was one of the specified textbooks on the school book list. (Banque Mondiale, 2008, p. 42)

En Afrique subsaharienne, il n’y a même pas un livre pour deux élèves du primaire (Bold, Gauthier, Svensson, & Wane, 2010). Les centres de documentation et les bibliothèques scolaires sont dépourvus et désuets (Kabamba, 2008). Dans beaucoup de cas, les établissements scolaires se limitent à prêter les supports pédagogiques, de façon à pouvoir les réutiliser l’année suivante (Banque Mondiale, 2008). La technologie numérique, par sa facilité de reproduction et de diffusion promet de résoudre beaucoup de ces problèmes (Suliman, Fie, Raman, & Alam, 2008). Ainsi, la consultation par Internet, par exemple, peut combler le manque de bibliothèques (Asamoah-Hassan, 2007; Adelsberger, Kinshuk, Pawlowski, & Sampson, 2008). L’utilisation de logiciels libres, de cédéroms et de didacticiels permet de remplacer les livres et de simuler l’utilisation d’équipement très spécialisé à une fraction du coût (Unwin, 2009; Mutula & Kalaote, 2010). Finalement, il y a la possibilité de l’enseignement à distance des étudiants africains par des experts étrangers. Ceci est beaucoup plus abordable de nos jours grâce à l’Internet et aux technologies de communication synchrones (Vrasidas, Zembylas, & Glass, 2009).

Pour conclure, il importe de noter que les avantages mentionnés dans cette section nécessitent évidemment un accès matériel aux TIC mais que le niveau matériel d’intégration des TICE n’est pas un signe de qualité ou de réussite en soi (Tilya, 2007; Hennessy, et al., 2010). Comme Butcher (2004) le constate, « la réussite réside dans

l’atteinte d’un équilibre entre les éléments techniques, éducatifs, institutionnel et personnel […] il importe que les TIC soient perçues comme un moyen d’améliorer la prestation des services d’éducation, et non comme un fin en soi » (p. 83). En effet, pour que les avantages cités ici se réalisent, les TIC doivent être intégrées écologiquement (pas de parachutage

technologique) en mettant en jeu tous les acteurs présents de façon à assurer la pérennité

des actions d’intégration. À ce sujet, quand est-il de l’intégration des TICE en Afrique ? Où se situe l’Afrique dans son adoption de la technologie à des fins éducatives ? Quelles sont les pratiques éducatives liées aux TIC en Afrique ? Nous abordons les réponses à ces questions dans la section suivante.