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I. L’ ACCOMPAGNEMENT AMONT ! : ÉVALUATION ET SÉLECTION

3. L A DÉCISION DE PRÊTER

3.3 Les critères d’octroi du crédit

3.3.1 Le projet de vie

Les familles d’objets éligibles au financement sont listées dans les conventions. Cependant, ce n’est pas tant l’objet lui-même que la nécessité d’avoir un «!projet!», voire un «!projet de vie!», qui préoccupe les Comités de crédit et les bénévoles qui montent les dossiers.

3.3.1.1 Une dénomination exigeante

Le terme de «!projet!» est inscrit dans le nom même de l’expérimentation. Il implique que l’objet du financement ne soit pas ponctuel mais s’inscrive dans une dynamique. C’est souvent plus de la capacité à se projeter que du projet qu’il s’agit. L’impact espéré de l’objet sur les différentes sphères de la vie sociale est un des critères primordiaux de l’octroi des Crédits projet personnel, c’est en ce sens que certains ne parlent pas seulement de «!projets!», mais de «!projets de vie!», comme cela est indiqué dans les conventions entre le Secours Catholique et ses partenaires.

De ce point de vue les objets servant à soutenir l’insertion professionnelle entrent parfaitement dans la convention. Nous avons montré précédemment30 que ce sont eux qui ont le plus d’effets sur l’ensemble des domaines d’impacts. Tous les bénévoles et les banquiers sont d’accord pour considérer comme extrêmement bénéfiques les prêts devant servir à une formation ou à l’achat d’un véhicule pour aller travailler, surtout lorsque le travail est déjà trouvé et que le véhicule est le dernier obstacle. Ainsi, un banquier de la Banque B nous dit!:

«!G!: Et comment vous définissez projet de vie!?

R!: Une personne qui a besoin d’acheter un véhicule pour aller travailler, pour moi c’est un projet de vie.!»

La légitimité des objets liés au travail n’est mise en cause par personne, cependant, des différences sont lisibles quant à l’importance et à la primeur données à l’aspect professionnel de l’impact du prêt. La

30 Cf. première partie.

moitié des bénévoles que nous avons rencontrés estiment que les projets permettant un retour à l’emploi sont prioritaires. Ceux-là affirment que les prêts destinés à améliorer l’insertion professionnelle sont ceux qui correspondent le mieux à la façon dont ils perçoivent le dispositif!: «!En ce qui concerne le

microcrédit, pour moi, le but c’est d’empêcher les gens de perdre un travail ou leur permettre d’en trouver un. C’est pour moi la finalité!», dit Acc. C6. Il s’agit de financer «!un outil pour pouvoir bosser parce que c’est quand même une priorité!», pour Acc. C1.

Retrouver un emploi permettra d’avoir de quoi rembourser le crédit, et c’est également la preuve de la motivation des personnes et de leur mérite!: des raisons supplémentaires de privilégier ce type de dossiers. Les dossiers rejetés concernent des prêts considérés comme de confort ou de loisir, les exemples donnés varient, mais le caméscope ou la télévision à écran plat reviennent souvent comme des exemples archétypaux de demandes qui seraient immédiatement refusées. Notons qu’aucun bénévole n’a jamais reçu une telle requête. Cependant, la crainte de personnes qui voudraient «!profiter!» d’un système trop généreux est présente chez une partie des bénévoles qui soulignent l’importance d’avoir un projet raisonnable et servant à améliorer la situation sociale à long terme.

Une autre approche des objets consiste à suivre scrupuleusement ce qui est écrit dans la convention!: trois familles de prêts sont autorisées!: pour l’emploi, pour le logement et pour la vie familiale. Les bénévoles estiment alors que si le projet correspond à l’un de ces trois groupes ils doivent l’accepter, Acc. A5 dit!: «!Moi dès l’instant où ça m’est marqué dans le papier…!» Le but du dispositif étant d’aider les gens à se réinsérer dans le système bancaire, il n’y a alors pas de raison de limiter les projets tant qu’ils sont éligibles.

Enfin, une minorité de bénévoles nous répond que ce n’est pas tant l’objet qui compte que la situation de la personne!:

«!Q!: Est-ce que la question de l’objet du prêt se pose!?

R!: Non. Dans la mesure où notre intervention permet à la personne de trouver une solution à sa situation qui lui permette de repartir, que ce soit pour passer le permis, pour acheter une voiture pour faire une formation, pour équiper le ménage, pour apurer ses dettes parce que c’est la conséquence d’une situation qu’elle n’a pas voulu.!» (Acc. A1)

Cette plus grande ouverture par rapport aux objets finançables vient du fait que l’objet en lui-même est perçu comme secondaire par rapport à l’«!humain!» (Acc. A6). Ce qui est utile, c’est ce qui peut améliorer la vie des personnes, et en ce sens, ce sont les demandeurs qui sont souvent les plus à même de dire ce qui est important pour eux. Une télévision ou des vacances paraissent superflues à certains bénévoles, d’autres au contraire estiment que cela peut avoir un effet apaisant sur une famille et doit donc être financé31. Les impacts attendus sont alors souvent moindres, ils ne sont pas pour autant négligeables. De ce point de vue, l’expérimentation dans le cadre du partenariat avec la Banque A, présente une vraie spécificité!: c’est là qu’on été accordés le plus de prêts, et des prêts qui sont parfois sans rapport direct ou indirect avec l’emploi, 6 prêts sur 17 n’étaient pas liés à une reprise ou une recherche d’emploi. Pour les autres partenariats, tous les prêts avaient un rapport avec la recherche d’emploi, même si tous n’ont pas débouché sur une embauche.

3.3.1.2 Des stratégies de contournement

Nous nous sommes cependant aperçus d’un écart important entre les projets éligibles dans les discours des accompagnateurs et les objets réellement financés. Tout se passe comme si la rencontre avec les demandeurs et leurs situations de précarité faisait prendre conscience aux bénévoles de l’importance que peuvent avoir des meubles pour celui qui n’en a pas ou une voiture pour la vie familiale, même si il y

Expérimentation «!Crédit Projet Personnel!» 76

a peu de chance qu’elle conduise rapidement l’emprunteur à obtenir un travail. Acc. C4 décrit ainsi le besoin qu’il a perçu chez la bénéficiaire qu’il accompagne!:

«!Enfin elle invoquait des raisons professionnelles qui étaient de pouvoir être mobile pour aller

chercher du travail. Ces raisons étaient vraies. Mais derrière tout ça, il y avait une attente personnelle et familiale qui était de pouvoir sortir d’un certain isolement, peut-être de se justifier vis-à-vis de ses filles. Parce que son grand problème c’était qu’il fallait qu’elle aille les récupérer. Comme elle n’avait pas de véhicule il fallait qu’elle trouve quelqu'un. Est-ce que son ex-mari avec lequel elle s’entendait pas… Vous voyez, finalement ça a aussi pesé.!»

La bénéficiaire quant à elle, ne dit pas autre chose!: «!Au début dans les réunions!: «!Ça va être pour

quoi!? Pour le personnel ou le professionnel!?!» Je dis «!Les deux [Acc. C4]...!» «!Mais non, il faut que ce soit professionnel...!» Je lui dis «!Oui, mais personnel aussi. Vous avez vu ce que je vis!?!» je lui dis!! «!Je vais pas vous mentir... Vous voulez que je vous mente!? D'accord, on va mettre que professionnel!».!» On perçoit ici une alliance entre l’accompagnateur et le bénéficiaire pour écrire

«!professionnel!» dans le dossier, afin de convaincre le Comité de crédit, les deux sachant bien que le plus important n’était pas là. Plusieurs dossiers correspondent à ces stratégies. Elles permettent de faire financer un besoin réel semblant permettre à la personne de passer un cap mais dont la nature (des dettes notamment) pourrait rendre plus délicate son acceptation par le Comité voire l’exclure de l’expérimentation.

Les accompagnateurs du Secours Catholique semblent souvent plus attachés que les banquiers à ce que le projet s’inscrive dans une dynamique ce qui explique qu’ils soient parfois prêts à faire une entorse à la convention. Cette dynamique légitime leur action et la distingue autant que possible des crédits à la consommation ponctuels. Les banquiers en revanche affichent une plus grande ouverture quant aux objets!: «!Moi je pense que tout ça, il n’y a aucun projet qui me choquera, la seule chose qui me

choquera, c’est!: est-ce qu’ils pourront assumer le remboursement!de ce financement!? Il n’y a que ça. Après, c’est vraiment que du cas par cas, si ils peuvent le rembourser, il n’y a aucun projet qui me choque.!» (Banquier B). Les ressources seraient-elles la clé!?