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I. L’ ACCOMPAGNEMENT AMONT ! : ÉVALUATION ET SÉLECTION

3. L A DÉCISION DE PRÊTER

3.4 Quelques prêts non accordés

Pour finir de décrire les critères qui président à l’acceptation des prêts, il nous semble intéressant d’analyser quelques prêts qui n’ont pas été accordés pour comprendre ce qui a emporté la décision. Nous ne tenons pas compte des prêts éliminés au téléphone dont nous avons déjà parlé.

Certaines demandes n’ont pas atteint le stade du Comité de crédit!: lors de l’accompagnement amont le bénévole s’aperçoit que le budget est insuffisant ou mal géré, qu’il y a des problèmes avec la banque, ou tout simplement perd confiance dans le bénéficiaire. C’est le cas de ce demandeur qu’a rencontré Acc. A2!: un ancien SDF qui travaillait, qui avait eu des problèmes de drogue et tentait de s’en sortir. A priori, il remplissait les critères moraux puisqu’il avait vécu des choses difficiles et avait réussi à redresser la situation. Il souhaitait un prêt pour acheter une mobylette lui permettant de ne plus aller au travail en vélo. L’employeur contacté en a dit le plus grand bien, Acc. A2 était convaincue. Cependant, lors du rendez-vous suivant le demandeur est arrivé en lui montrant ce qu’il venait de s’acheter!: un appareil photo numérique et un vélo cross!; en outre en appelant l’employeur elle a su qu’il avait donné sa démission. Elle s’est donc aperçue que cet homme manquait de stabilité, qu’il n’était pas en mesure de s’engager dans un prêt de long terme. D’une part, il avait acheté l’appareil photo et le vélo à crédit illustrant qu’il pouvait y avoir accès. D’autre part, ayant quitté son emploi, ses ressources n’étaient plus suffisantes pour rembourser un Crédit projet personnel. Acc. A2 a donc arrêté là l’accompagnement amont et n’a pas monté de dossier.

Dans d’autres cas, le dossier n’atteint pas le comité de crédit parce que les bénéficiaires renoncent quand ils s’aperçoivent qu’il s’agit d’un véritable crédit auprès d’une banque, avec un taux d’intérêt comme nous l’avons expliqué précédemment.

Les dossiers qui arrivent tout de même devant le Comité de crédit ne sont pas pour autant toujours acceptés. Le Comité de crédit de la banque B ajourne parfois les dossiers en demandant que certains points soient éclaircis!comme le montre le relevé de décision pour la demande suivante!:

Mr CAMPAGNA Etienne

Personne aiguillée par Mme L. du Secours Catholique B Objet du prêt!: Financement formation permis de conduire

Montant!: 950!¤ Durée!: 24 mois

Commentaires des membres du Comité!: Différents points sont encore à éclaircir!: prendre contact avec l’employeur potentiel, établir un contact direct avec Mr Campagna pour analyse complète de sa situation financière, obtenir un devis détaillé et personnalisé du coût réel du permis et voir quelles aides sont obtenues pour réajuster une éventuelle demande de crédit.

Décision Comité!: Ajournement du dossier en l’état

Ailleurs, le Comité ajourne en demandant des changements dans la situation du bénéficiaire avant d’accorder le prêt. Ce fut le cas pour un dossier présenté par Acc. A6!: une jeune femme vivant avec son compagnon dans un mobil home souhaitait faire financer son permis pour améliorer sa mobilité afin de trouver du travail. Le comité de crédit lui a conseillé de déménager avant de lui accorder le prêt, estimant qu’elle trouverait plus de travail en habitant plus près d’une ville. Acc. A6 a d’ailleurs considéré que le comité de crédit outrepassait largement ses compétences et entrait dans la vie privée des personnes.

Les refus sans appels sont rares, ils sont limités aux cas où une interdiction bancaire non annoncée par le bénéficiaire est découverte. Cependant, une partie des ajournements reviennent à des refus, les

Expérimentation «!Crédit Projet Personnel!» 82

demandeurs ne souhaitant pas appliquer les conseils du Comité de crédit, ou bien l’ajournement est une façon de «!faire traîner!» un dossier pour mesurer la motivation du demandeur qui ne poursuit alors pas les démarches entreprises.

De vrais refus existent pourtant, ce fut le cas pour Monsieur Nardy, dont le dossier a été présenté plusieurs fois au Comité de crédit de la Banque B. Il s’agissait de payer un arriéré de factures EDF. Bien qu’il s’agisse de dettes, le comité acceptait d’étudier la demande au nom de l’urgence sociale. Cependant, au bout de quelques mois, la motivation du demandeur est apparue au Comité comme trop faible!: il ne prenait pas contact avec EDF, il parlait de recherche d’emploi au début mais de moins en moins, et surtout il a affirmé à son accompagnateur que si le crédit lui était accordé il ne le rembourserait pas. Dans ces conditions le dossier a été définitivement rejeté.

Les raisons des refus confirment donc l’importance des ressources morales des personnes dans l’acceptation ou non d’un dossier, et montrent que la situation financière et le projet sont loin d’être les uniques critères pris en compte.

Conclusion! : Le lien entre les impacts attendus et les profils sélectionnés

Les critères d’évaluation et le fonctionnement de la sélection se comprennent en référence à ce que les participants à l’expérimentation attendent des Crédits projet personnel. C’est l’impact espéré qui conduit les bénévoles et les banquiers à attendre telle ou telle qualité d’un projet ou d’une personne.

Quand l’impact espéré est uniquement celui de l’insertion ou de la réinsertion, les attentes vis-à-vis des bénéficiaires potentiels ressemblent à celles nécessaires pour participer au marché de l’emploi!: dynamisme, autonomie, bonne présentation de soi, projet solide et qu’ils sont capables d’expliquer, preuves d’une motivation sans faille. Les demandeurs choisis sont alors les plus forts parmi les pauvres. En revanche, lorsque les bénévoles et les banquiers perçoivent l’importance des améliorations partielles et des impacts secondaires que nous avons définis plus haut, ils semblent moins soucieux de lire chez les personnes des qualités comme le dynamisme et la volonté, les accompagnateurs parlent alors plus volontiers d’honnêteté et de mérite. Le terme de projet quant à lui est minimisé et ce sont plutôt les besoins sociaux des personnes qui sont mis en avant. Notons qu’une partie des bénévoles et des banquiers ont évolué en participant à cette expérimentation et sont passés de la première à la seconde catégorie, en s’apercevant que s’ils plaquaient sur les personnes rencontrées des attentes relevant de personnes plus intégrées socialement, ils ne pourraient que refuser les demandes.