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I. L’ ACCOMPAGNEMENT AMONT ! : ÉVALUATION ET SÉLECTION

2. D IVERSITÉ DES ACCOMPAGNEMENTS AMONT ET COPRODUCTION

2.3 Quel degré d’investigation!?

La pudeur des bénévoles à parler d’argent nous mène vers le degré d’investigation nécessaire pour monter un dossier de Crédit projet personnel. Les pratiques des bénévoles sont extrêmement diverses de ce point de vue, à la fois parce que l’organisation des dispositifs varie entre les régions, mais également au sein de chaque région, chaque bénévole ayant sa propre manière de faire. Certains poussent l’investigation plus loin que d’autres!: alors qu’il suffit de 3 relevés de compte et d’une discussion de quelques dizaines de minutes dans certains lieux, ailleurs, les bénévoles s’avancent assez loin dans la vérification de ce que les bénéficiaires ont pu leur dire.

2.3.1 Entre nécessité et habitude

Plusieurs bénévoles téléphonent aux employeurs des demandeurs pour s’assurer qu’ils sont bien embauchés ou que les promesses d’embauche sont réelles!; les assistantes sociales sont également consultées, on leur demande parfois leur avis sur les personnes tout comme aux responsables de formation ou même aux banquiers. Un bénévole exige même que toutes les personnes qui viennent demander un crédit arrivent avec une lettre de leur assistante sociale.

Diverses raisons sont invoquées pour justifier ce qui s’apparente parfois à des enquêtes. D’abord, les demandeurs peuvent cacher des choses pour que leur dossier soit accepté, une lettre de l’assistante sociale ou une recommandation téléphonique de l’employeur atteste de leur sérieux. Ensuite, ils n’ont peut-être pas toujours compris ce qu’on leur a dit, c’est ce que nous précise Acc. A2 afin de nous expliquer pourquoi elle a appelé le centre de formation dans lequel voulait s’inscrire une demandeuse : «!Je veux savoir ce que c’est pour essayer de me rendre compte moi. Parce que quelque fois, elles

comprennent de travers aussi, elles sont étrangères.!» Enfin, cela crée une forme d’engagement pour la

personne contactée, qui devient partie prenante du projet. D’ailleurs, mais cela est exprimé plus clairement par les banquiers plus habitués à de telles démarches, ces investigations poussées sont considérées comme nécessaires pour aider les personnes. Elles permettent d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Sans elles, certains éléments auraient pu échapper aux accompagnateurs ou aux banquiers et rendre leurs conseils moins pertinents.

Mademoiselle Khalil, une bénéficiaire, affirme être satisfaite du fait que l’accompagnateur qui la suit, ait contacté son patron au préalable!: «![Acc. A4] s’est mis en contact avec mon patron pour être sûr que

j’allais être embauchée, que c’était pas… Parce que bon souvent, on peut très bien dire!: «!Oui, oui on vous embauche!» et puis finalement, beaucoup ne tiennent pas parole.!»

Les bénéficiaires ne sont en général pas heurtés par les démarches des bénévoles en tant que telles. Ils sont étonnés du fait qu’on accepte de leur prêter et sont donc ouverts à d’éventuelles vérifications. Il arrive cependant que ces démarches allongent le temps nécessaire à la mise en place du dossier, au point de le compromettre, notamment car les demandeurs perdent espoir dans cette solution qui n’arrive pas. Ils en cherchent alors une autre ou renoncent à leur projet.

2.3.2 Un risque pour l’esprit de l’expérimentation

Les risques d’une enquête trop poussée ne se mesurent pas seulement en termes de temps passé, c’est l’esprit même du dispositif qui est parfois ébranlé, et les effets sur l’impact ne sont pas à négliger. Les Crédits projet personnel proposent une nouvelle culture d’aide fondée sur la responsabilisation des bénéficiaires et sur la confiance inhérente au crédit. Or, pour que ce rapport se crée, il semble nécessaire d’avoir confiance en la parole des personnes. Les bénéficiaires, nous l’avons souligné, ne sont pas réticents à ces enquêtes, néanmoins leur situation de demandeurs les empêche d’émettre une protestation à ce sujet. En outre, certains eux sont habitués aux services sociaux, à répondre à des questions, à prouver leurs dires par des papiers!: les enquêtes du Secours Catholique doivent-elles ressembler à celles des assistantes sociales!? Le dispositif cherche à mettre en place un lien différent, dans lequel les bénéficiaires auraient un sentiment de maîtrise plus important sur le cours des événements. Vérifier l’ensemble de leurs affirmations revient à leur retirer cette maîtrise.

Un tiers des bénévoles nous dit garder beaucoup de pudeur dans les investigations auprès des demandeurs de Crédits projet personnel. Ils expliquent qu’ils ne demandent que ce qu’ils auraient supporté qu’on leur demande. Plusieurs déclarent ne pas aller chez les personnes. Deux disent ne pas aimer enquêter sur les gens, et l’une d’elle affirme même qu’elle trouve que le dispositif est trop intrusif. Notons que cette bénévole référente n’a monté aucun prêt.

Pour autant, il ne s’agit pas de nier l’importance d’une bonne information car son insuffisance présente elle-même des risques. D’abord en se limitant au projet, sans interroger la situation générale de la

Expérimentation «!Crédit Projet Personnel!» 72

personne, les Crédits projet personnel risquent d’avoir des impacts qui s’arrêtent aux besoins ponctuels, les impacts secondaires seront éventuellement moins importants. Certains bénévoles affirment que ce qui compte ce n’est pas le crédit en lui-même mais le fait d’aider à redresser une situation, de sorte qu’ils craignent parfois que les crédits proposés ne finissent par ressembler à des crédits à la consommation tels que les banques en proposent. Les bénévoles justifient également leurs investigations par d’éventuelles dissimulations des demandeurs qu’il s’agirait de débusquer, comme ces bénéficiaires qui ne reviennent pas à partir du moment où on leur demande de présenter des justificatifs. Les banquiers qui parfois accomplissent un travail d’investigation sont plus soupçonneux de ce point de vue que les bénévoles du Secours Catholique.

Cependant, les risques semblent plus liés à un manque de liens créés entre le Secours Catholique et le bénéficiaire qu’au risque de prêter à des personnes cyniques et menteuses cherchant à profiter d’un système. Dans ce cas, c’est le manque d’accompagnement dans la construction du projet qui pose des problèmes!: 2 ou 3 bénéficiaires n’ont, par exemple, pas utilisé l’argent réellement dans le sens du projet qu’ils avaient annoncé. À les écouter, c’est la possibilité d’avoir un crédit qui les a conduits vers le Secours Catholique, leur projet n’étant pas encore solidement décidé. L’accompagnement amont aurait pu contribuer à préciser les choses.

Acc. A3 souligne d’ailleurs qu’une investigation suffisante doit être réalisée au préalable afin de rappeler aux bénéficiaires leurs engagements en cas de défaillances par la suite. C’est ici de l’engagement des personnes dans le dispositif qu’il s’agit. Les banquiers le soulignent également!: pour que le remboursement se déroule correctement, il est nécessaire que les personnes se sentent engagées vis- à-vis de l’expérimentation et que l’objet du financement réponde à un véritable besoin. Un dossier qui lors de son montage n’aurait pas permis de créer des liens entre le bénéficiaire et le Secours Catholique ou la banque a plus de risques de voir des problèmes de remboursement, à la fois parce que d’éventuelles difficultés extérieures n’auront peut-être pas été prises en compte, et aussi parce que le remboursement du crédit ne représente alors pas une priorité morale.

Le bon degré d’investigation ne semble donc pas se mesurer en termes de quantité mais être plus lié à l’esprit qui préside à sa mise en œuvre!: si celle-ci se déroule comme une coproduction, l’accompagnateur et le bénéficiaire réfléchissant ensemble aux éléments à prendre en compte avant l’octroi du prêt, alors la confiance peut se nouer, les compétences de chacun peuvent être utilisées, et aucun des protagonistes n’aura le sentiment que les questions ou les démarches de l’accompagnateur sont intrusives. Les renseignements pris auprès de tiers s’intègrent alors dans une réflexion commune. En revanche, une investigation trop soupçonneuse empêche le plus souvent qu’un rapport de confiance se crée. Elle instaure plutôt une relation de sujétion entre le bénéficiaire et l’accompagnateur. C’est le cas lorsque les bénévoles téléphonent au centre de formation pour vérifier que ce que le demandeur leur a dit correspond bien à la réalité. A l’inverse, un accompagnement amont trop superficiel ne met pas en place de liens pour la suite. L’enjeu réside donc dans la définition d’une relation personnalisée impliquant des éléments techniques mais aussi et surtout humains.