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CHAPITRE 3 RÉCIT DE TRANSFORMATION

3.1 R ENCONTRER LA P SYCHOSOCIOLOGIE RIMOUSKOISE

3.1.4 Le projet PARLE, une expérience d’alternance travail-étude

3.1.4.2 Le projet PARLE, un face à face avec moi-même

L’expérience vécue au projet PARLE a été formatrice à tous les niveaux. Elle m’a servi de miroir. En effet, apprendre à réfléchir sur l’expérience vécue, à analyser ma pratique professionnelle et relationnelle et à dialoguer autour de ce que je perçois, m’a permis de me

voir avec un niveau d’acuité et de lucidité jusque-là jamais atteint. J’ai ainsi eu l’opportunité de renouveler la vision que j’avais de moi-même et des autres.

D’une part, je me suis observée dans mes actions et mes interactions, ce qui m’a permis de voir avec plus de clarté ce que je savais faire, de le reconnaitre, de le valider et de m'y appuyer pour construire une confiance nouvelle en moi et en mes compétences. D’autre part, j’ai aussi vu avec la même clarté qu’à certains moments, je ne savais pas faire. Je me suis vue avoir de la difficulté à valider mes intuitions. Je me suis vue douter, hésiter, être préoccupée, stressée, puis céder à la tentation de donner autorité à ma peur. Dans ce genre de situations, ma première stratégie consistait à vouloir contrôler mon environnement dans laquelle j’étais encline à faire des choix inadaptés et de manière précipitée.

Analyser ma propre pratique professionnelle et relationnelle m’a permis de découvrir combien j’avais besoin d’apprendre à cultiver une forme de stabilité intérieure surtout en situation d’incertitude ou d’incapacité de lire et de comprendre ce qui se joue dans mon environnement. Dans ce type de contexte, je me sentais dans l’urgence d’apprendre à développer un rapport plus sain à l’imprévu, à l’inconnu et aux difficultés d’ordre relationnel ou institutionnel. Je me rendais compte que ce type de situation me faisait vivre un sentiment d’insécurité qui m’exilait de moi et me privait de mes compétences habituelles. J’ai remarqué que lorsque je restais calme, stable et confiante, je discernais plus facilement le geste juste à poser et sa mise en action. Ma posture était alors rassurante, autant pour moi que pour les personnes que j’accompagnais, alors que le contraire créait justement l’effet opposé.

Je comprenais que pour évoluer vers ma maturité personnelle, professionnelle et vers le développement des compétences relationnelles indispensables au métier d’intervenant en relations humaines, il me fallait trouver des voies de passages pour consolider ce rapport à moi-même et me construire une sécurité intérieure. À la suite de Jeanne-Marie Rugira et Marc Humpich (2013), je constatais que l’analyse de l’expérience vécue ou encore les moments fondateurs de renouvellement des sujets ou de leurs pratiques se donnent au sein d’une dynamique d’émergence. Il s’agissait donc pour moi de faire face au questionnement que Jeanne-Marie Rugira et Marc Humpich (2013, p. 13) présentent en ces termes : « […]

dans le temps réel de l’accompagnement, que se donne-t-il à suivre qui n’a pas été planifié, et qui permet de se faire le relais de la potentialité, plutôt que de s’en tenir à du déjà prévu ? » Jeme découvrais de plus en plus compétente, mais je voyais bien qu’en cours d’action, j’avais besoin de repères pour saisir l’information juste, pour identifier les meilleures stratégies ainsi que les outils les plus adaptés à mon contexte et à mon projet d’accompagnement. Au même moment, je constatais que plusieurs membres du corps professoral, en psychosociologie, portaient presque la même question bien qu’ils la posaient différemment : « À quelles compétences faut-il former pour faciliter la saisie de l’émergent et l’audace de le suivre ? » (Rugira et Humpich, 2013, p. 13). Pour tenter de répondre à cette question, ces formateurs ont fait des choix pédagogiques orientés vers des options de formation centrées sur les pratiques somatiques dans la lignée des pratiques de soi telles que préconisées par Michel Foucault (2001). Préoccupés de veiller sur la congruence (chère à la psychologie humaniste) et à la cohérence (héritée de la science-action) entre ce que le praticien dit, vit, sent et fait, les professeurs en psychosociologie tentent d’incarner au quotidien ces deux incontournables. Ils sont conscients que la pertinence et la cohérence de leur enseignement sont à ce prix.

L’enjeu vécu ici est double : pour saisir l’émergence, encore faut-il que je sois présent à moi, au groupe et à ce qui se passe dans les interactions ; pour réguler la cohérence entre ce que je dis, vis, sens et fais, encore faut-il m’apercevoir clairement et savoir où poser mon attention. (Rugira et Humpich, 2013, p. 13)

C’est donc pour répondre à cette préoccupation que les membres du groupe de recherche en approche somato-pédagogique de l’accompagnement (GRASPA), qui sont aussi formateurs dans les programmes en psychosociologie (Noël, 2009 ; Rugira, 2009 ; Gauthier, 2015 ; Cousin, 2016), se sont mis à l’école des travaux de Danis Bois pour développer une pratique somatique12 adaptée à leur contexte de formation et d’intervention.

12 La particularité de notre démarche puise aux sources d’une pratique et de recherches innovatrices

d’accompagnement somatique et pédagogique développées par Danis Bois et ses collaborateurs. Nous renvoyons ici aux nombreux travaux réalisés au sein de leur laboratoire (Bois, 2001, 2006, 2007 ; Berger, 2006, 2009 ; Bourhis, 2012 ; Courraud, 2015 ; Bois et Humpich, 2009 ; Bois et Austry, 2007 ; Bois et Rugira, 2006 ; etc.)

Comme le précisent Jeanne-Marie Rugira et Diane Léger (2015) les travaux de Danis Bois (2007) en pédagogie perceptive ont été non seulement inspirants pour les formateurs en psychosociologie, mais leur ont également offert des voies de passage inédites pour sortir d’une vision du monde qui sépare le corps et l’esprit, les affects et la cognition, la sensibilité et la rationalité. Les protocoles pratiques et les théories développées en pédagogie perceptive permettent de construire un rapport au monde incarné, conscient et sensible qui favorise le renouvellement du rapport à soi, aux autres et à l’environnement tout en permettant d’accéder à une intelligence inédite dans l’immédiateté de l’expérience par la médiation du corps sensible.D’après les mêmes auteurs, les recherches sur le corps sensible ont montré que :

[...] être attentif, percevoir, sentir, éprouver, résonner et nommer son expérience immédiate, constituent des clés majeures pour un projet de formation à la sensibilité et à l’agir éthique [en relations humaines]. Des compétences indispensables à l’exercice du métier d’accompagnement pour autant qu’on les conjugue avec des compétences réflexives et dialogiques indispensables au discernement et à la délibération éthique [ainsi qu’à l’action juste]. (Rugira et Léger, 2015, p. 77)