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CHAPITRE 3 RÉCIT DE TRANSFORMATION

3.1 R ENCONTRER LA P SYCHOSOCIOLOGIE RIMOUSKOISE

3.1.4 Le projet PARLE, une expérience d’alternance travail-étude

3.1.4.1 Le projet PARLE, une école d’analyse réflexive des pratiques

La plupart des choix paradigmatiques, méthodologiques et politiques effectués dans ce projet étaient influencés par la vision de Jean-Marc Pilon sur les phénomènes d’apprentissage et de transfert des connaissances. Pour lui, chaque praticien a un savoir d’expérience issu de sa pratique, et ce savoir est déjà opérant même s’il reste parfois implicite. En science-action, on parle de savoirs tacites (Barbier, 2004 ; Lejeune, 2005) ou encore de savoirs insus.

Jean-Marc Pilon était convaincu qu’aider un praticien à expliciter son savoir tacite le rendait encore plus compétent, dans la mesure où il devenait plus conscient de ses capacités et donc plus confiant. Ainsi, expliciter les savoirs pratiques rend ces connaissances partageables, transmissibles et transférables dans d’autres contextes. Pour lui, c’était la voie formatrice la plus gagnante. C’est dans cette perspective qu’il m’accompagnait et m’encourageait sans cesse à observer, valider et analyser ma pratique. Cette démarche me permettait d’éclairer mes savoirs tacites et de les comparer ensuite à ce qu’on m’enseignait en classe sur le plan théorique et méthodologique.

C’est depuis ce point de vue que le comité de coordination ainsi que les gestionnaires des organisations partenaires du projet PARLE ont pris la décision de miser sur la formation des intervenants et la transformation de leurs pratiques. Ils pensaient qu’agir directement auprès des jeunes ne serait pas aussi gagnant que générer un impact significatif auprès des intervenants. En effet, il n’est pas si simple de rejoindre les jeunes hommes en difficulté ni de tisser un lien de confiance avec eux. Le comité de coordination faisait l’hypothèse qu’il fallait passer par le soutien des intervenants qui ont déjà un lien de confiance auprès de ces jeunes. Nous avions l’espoir que susciter des changements dans les équipes et de les pérenniser par le renouvellement des pratiques des intervenants permettraient d’avoir un effet positif sur les jeunes hommes.

Pour ma part, j’ai le sentiment que c’est non seulement l’expérience du projet PARLE qui m’a appris les bases de mon métier de psychosociologue, mais aussi la relation de coaching offert par Jean-Marc Pilon en sa qualité de chercheur collaborateur à ce projet. Lors

de ma deuxième et troisième année de ma formation, il était aussi mon professeur dans le cours d’animation ainsi qu’accompagnateur dans mes stages. Dans nos moments de supervision consacrés au projet PARLE, il s’appuyait sur les enseignements que je recevais dans mon baccalauréat pour m’aider à effectuer des liens. Je prends aujourd’hui la mesure du privilège qu’a été cet accompagnement dans ma vie.

Dans le cours laboratoire, il encourageait la mise en action pour permettre à tous ses étudiants de découvrir leurs propres talents. Il faut rappeler que Jean-Marc Pilon était avant tout un grand andragogue et un praxéologue reconnu. Il ne jurait que par la science-action (Saint-Arnaud, 1992). Pour ma part, comme le proposent Chris Argyris et Donald A. Schön (1999), je veillais constamment à cet objectif de déceler ma théorie pratiquée ou d’usage par rapport à celle que je professais. Pour ces deux auteurs :

La théorie d’action peut revêtir deux formes : la théorie professée correspondant à « ce qu’on dit vouloir faire », c’est-à-dire à un schéma de l’activité projeté, et la théorie d’usage, correspondant à « ce que l’on fait en réalité » c’est-à-dire à un schéma de l’activité réalisée. (Leplat, 2002, p. 3)

J’étais préoccupée de découvrir l’écart qu’il y a entre ce que je pense que je fais, ce que je dis que je fais et ce que je fais réellement. C’est pourquoi, je m’entrainais à réfléchir sur mon action, parfois en cours d’action et d’autres fois a posteriori. Travailler dans mon domaine d’étude me donnait un terrain de jeu vaste et riche pour développer des outils et des compétences d’analyse réflexive de pratique. En groupe, avec les collègues de ma cohorte, nous animions des ateliers d’analyse praxéologique ou encore de codéveloppement professionnel. Nous apprenions à multiplier nos points de vue sur nos pratiques et à changer le regard posé sur nos actions. Nous nous pratiquions à créer et à animer des communautés de pratique, à en faire de vrais laboratoires d’analyse pour le renouvellement de pratiques, en plus d’apprendre de nos pratiques en tant que praticiens apprenant et évoluant au sein de cette communauté.

Avec le recul, je réalise que cet entrainement à analyser des pratiques en groupe me préparait à accompagner les équipes du projet PARLE, à les outiller pour qu’ils puissent réfléchir individuellement et collectivement sur leurs pratiques. Il devenait alors possible de créer des conditions pour partager les expertises et prendre conscience des ressources collectives déjà disponibles dans les différentes organisations. Cet effort collectif permettait également de promouvoir la collaboration et de développer des compétences et de concertation dans les équipes et entre différentes équipes.

J’ai beaucoup appris dans cette expérience. En effet, accompagner des équipes à se donner un projet commun et à s’y engager m’a permis d’assister à un processus qui mettait de l’avant les ressources d’une équipe, ses besoins, ainsi qu’une prise de responsabilité de chaque membre pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés collectivement.

Mon expérience au projet PARLE m’a initiée à toute la portée mobilisatrice et transformatrice de l’intervention psychosociologique (Lescarbeau, Payette et Saint-Arnaud, 2003), et elle m’a permis de vivre une riche expérience de relation coopérative (Saint- Arnaud, 2003). Ce qui me rend le plus fière est d’avoir collectivement réussi à créer des conditions pour libérer le pouvoir d’agir (Le Bossé, 2003, 2012) des différents acteurs tout en favorisant l’autonomisation des personnes et des équipes au sein des institutions engagées dans cette aventure. Nous avons vécu un magnifique processus de développement organisationnel et communautaire (Tessier et Tellier, 1992) basé sur la concertation communautaire, inter-organisme et intra-organisationnel au service de la santé et de l’intégrité des jeunes hommes dans la région.